Intervention de Anne Paugam

Réunion du 20 janvier 2016 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Anne Paugam, directrice générale de l'Agence française de développement :

Certes, mais leur rôle est plus étendu que celui de l'AFD.

J'en reviens aux synergies avec la Caisse des dépôts. De ce point de vue, la valorisation des parcours professionnels est une piste prometteuse. Les pyramides des âges et les cultures d'entreprise des deux institutions sont différentes. L'AFD s'est beaucoup renouvelée et emploie un personnel plus jeune que celui de la Caisse des dépôts, laquelle indique elle-même par ailleurs que la mobilité interne en son sein est faible. Nous partons donc de loin, et le rapprochement nécessitera des efforts. Je pense néanmoins que les deux parties manifesteront leur désir de créer des réseaux d'experts exerçant dans les domaines de savoir-faire communs que nous aurons identifiés – ville durable, logement social, transition énergétique, questions démographiques et autres –, les uns au niveau national, les autres au niveau international. Une fois ces réseaux constitués, il faudra fixer de manière volontariste des objectifs annuels de mobilité entre les deux institutions en ouvrant les postes correspondants au moyen de conventions ou de mises à disposition réciproques. Chacun gérera ses ressources humaines dans le cadre de cette politique commune qui, j'en suis convaincue, sera féconde, et dont j'attends beaucoup en termes de rapprochement des cultures et des savoir-faire.

Le rapprochement de l'AFD avec la Caisse des dépôts est-il motivé par la dimension financière des engagements que la France a pris – à juste titre, selon moi – pour rester à la pointe de l'agenda de développement et du climat ? La dimension financière existe en effet : la Caisse investira à hauteur de 500 millions d'euros, et la recapitalisation de l'AFD par l'État prendra la forme d'une transformation de quasi fonds propres en fonds propres. Cependant, cette dimension n'est pas primordiale ; elle est adossée à une dimension stratégique cohérente avec les objectifs de développement durable. Il existe aussi l'idée d'une forme de mise en commun des savoir-faire et des expériences, de capacité à partager une vision du développement durable. S'agissant d'Expertise France, elle a été conçue pour devenir l'opérateur spécialisé dans la mobilisation de l'expertise publique – en la mariant quand c'est utile, comme c'est souvent le cas, avec l'expertise privée – afin de répondre aux besoins des financeurs du développement, au premier rang desquels se trouve l'AFD, qui a noué avec cette institution un partenariat très étroit. Dans ce domaine, Expertise France a un boulevard devant elle, car elle peut mobiliser cette expertise non seulement avec nous, mais aussi avec de nombreux autres bailleurs de fonds : l'Union européenne, la Banque mondiale ou encore des banques régionales, par exemple. L'expertise technique, en effet, est une dimension essentielle de notre métier. De ce point de vue, le lien est évident avec les moyens que les pays peuvent consacrer en dons, car l'expertise s'appuie sur des financements soft.

Nous nous félicitons à cet égard du renversement historique de la tendance des dons, auquel les parlementaires ont pris une part déterminante. Nous allons donc pouvoir augmenter nos financements, même s'ils ne sont pas les mêmes que ceux des agences allemandes, puisque la GIZ dispose de plusieurs milliards d'euros – ce qui la place en position non seulement d'opérateur, mais aussi de financeur – et si la KFW dispose de dons nettement plus abondants que nous pour financer les études. Je rappelle que l'AFD a, lors de ma première année de mandat, créé le Financement pour l'expertise française (FEXTE), qui est l'un des outils de projection des savoir-faire français et des entreprises dans les pays émergents. Il fonctionne si bien qu'il est épuisé ; je suis actuellement en discussion avec les ministères de tutelle pour que cette ligne de financement soit renouvelée dans le cadre de l'augmentation globale des moyens en dons que vous avez approuvée. En tout état de cause, nous faisons tout ce que nous pouvons en matière de financement d'expertise. Nous avons un partenariat privilégié avec Expertise France, à qui nous pensons même pouvoir garantir par avance des cibles de financement compte tenu de son positionnement spécifique par rapport à la galaxie des autres opérateurs tels que les bureaux d'études privés, qui savent souvent marier de l'expertise publique et privée. À chaque fois que c'est utile car ils sont alors les seuls à pouvoir répondre à la demande, nous concluons des contrats en gré à gré avec Expertise France, qui sait se distinguer des autres opérateurs dans plusieurs créneaux de valeur ajoutée, même si cet univers est très concurrentiel – ce qui permet à Expertise France de répondre non seulement à nos appels d'offres, mais aussi à ceux d'autres bailleurs. Les financements consacrés aux activités que nous conduisons ensemble sont appelés à croître ; nous avons besoin de cet opérateur et souhaitons qu'il se professionnalise afin de nourrir un vivier d'expertise publique française dans tous les domaines principaux des objectifs de développement durable. Plus il sera compétent, plus nous feront appel à lui. Quoi qu'il en soit, notre collaboration avec Sébastien Mosneron-Dupin et ses équipes est excellente et recèle un potentiel très prometteur – dans les limites des financements qui nous sont alloués.

S'agissant de l'équilibre entre actions bilatérales et actions multilatérales, les annonces concernant le renforcement des moyens en prêts et en dons vont naturellement se traduire par un redressement en faveur du bilatéral.

Les collectivités locales me semblent constituer l'un des secteurs les plus prometteurs de notre rapprochement avec la Caisse des dépôts, laquelle n'a pas compétence en termes de financement de la ville durable dans les pays en développement – compétence que nous avons. Inversement, la Caisse possède une connaissance très fine – que nous n'avons pas – des savoir-faire qui existent dans le tissu des collectivités locales françaises. Certes, nous participons aux différentes instances nationales de concertation avec les collectivités et nous avons tissé des liens avec leurs principales associations, mais nous pouvons faire bien davantage et j'attends de notre rapprochement avec la Caisse qu'il nous permette d'être plus présents en régions. En outre, au-delà de la seule question des financements, il est important d'associer les collectivités en amont des réflexions thématiques. La gouvernance, par exemple, est une compétence qui vient de nous être transférée et qui couvre des questions de gestion publique relevant directement des collectivités territoriales. Dans ce domaine comme dans d'autres, il nous sera donc très utile de pouvoir puiser dans leur expérience en les consultant en amont et de manière structurée sur nos stratégies opérationnelles et sur nos interventions. Enfin, les collectivités locales des pays dans lesquels nous intervenons expriment une demande très forte de pouvoir travailler directement avec leurs homologues des collectivités territoriales françaises, avec lesquelles elles entretiennent un lien de confiance entre élus locaux. Dans ce contexte, nous devons jouer un rôle de financeur et de facilitateur. C'est l'un des domaines dans lesquels l'AFD passera d'ici 2020 dans une nouvelle dimension non seulement quantitative, mais aussi qualitative.

L'AFD a été associée via le ministère des finances aux discussions qui ont eu lieu avant même la décision qu'a prise la France de participer à la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures et d'entrer à son capital. J'y étais pour ma part favorable : cette banque allait de toute façon se créer, et il convenait de la prendre au mot quant à ses objectifs et son engagement à respecter le plus haut niveau des normes internationales en matière de diligence environnementale et sociale ou encore d'ouverture et de déliement – ce qui semble à ce stade être le cas. Mieux vaut en effet faire le pari d'y participer pour l'influencer plutôt que de laisser faire avec le risque qu'ils redéfinissent des règles du jeu unilatérales. Cela permettra en outre d'impliquer davantage la Chine dans les normes générales de l'OCDE. Nous prônons donc une stratégie de l'engagement qui semble porter ses fruits : j'ai rencontré le préfigurateur de cette institution qui souhaite vivement établir des liens techniques directs avec l'Agence, par lesquels nous pourront exercer notre influence en matière de sauvegarde environnementale et sociale, par exemple. Qu'en sera-t-il de l'évolution du volume des financements dans la zone couverte par cette banque ? Chacun devrait pouvoir y trouver sa place, tant les besoins sont importants. Certes, la Banque asiatique de développement – à laquelle la France est partie et avec laquelle l'AFD a noué un partenariat très structuré – devra faire de la place à cette nouvelle banque, mais il ne devrait se produire aucun phénomène d'exclusion, car les besoins sont supérieurs aux financements disponibles.

Nous déployons en Tunisie une action très particulière. En termes quantitatifs, nous avons atteint les limites de ce que nous pouvons faire compte tenu de nos fonds propres actuels, mais le doublement prévu en 2016 nous permettra de faire davantage encore. Sous réserve de ce que décidera le Gouvernement, nous devrions poursuivre l'augmentation du financement global accordé à ce pays. Quant à la question des inégalités territoriales qui y existent, nous avons précisément mis en place en 2015 des programmes visant à les atténuer, notamment dans des zones rurales particulièrement défavorisées comme la région de Kasserine, par exemple, où les « printemps arabes » avaient commencé suite à l'immolation d'un jeune homme. De plus, la Tunisie est l'un des pays où nous exercerons notre nouvelle compétence en matière de gestion publique en ajoutant un poste consacré à la gouvernance dans notre agence locale.

L'Algérie, en revanche, ne contracte plus d'emprunts auprès de nous depuis de nombreuses années. Nous y avons maintenu un dispositif pour achever les financements en cours en espérant que le fil du dialogue et de la demande puisse se renouer. Nous recevons des signaux positifs mais restons très prudents en espérant une éventuelle demande. Plus que le financement lui-même, c'est le véhicule du dialogue et du partenariat qui importe.

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