Intervention de Philippe Cochet

Réunion du 20 janvier 2016 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Cochet, rapporteur :

Madame la Présidente, Mes chers collègues, les autorités françaises ont fait de notre relation avec l'Amérique latine une priorité. Sans sous-estimer l'influence réelle qui reste celle des Etats-Unis et en ayant à l'esprit que nombre de pays latino-américains se tourne aujourd'hui résolument vers l'Asie, les pays européens, et parmi eux, la France, ont une carte à jouer en Amérique latine. L'influence grandissante de pays émergents tels que le Brésil et le Mexique, la richesse de la région en matières premières et la place croissante de l'Amérique latine dans l'approvisionnement du monde en hydrocarbures, en minéraux, en produits agricoles, en font un sous-continent stratégique.

Le Pérou, souvent qualifié, comme la Colombie, de néo-émergent, est un pays qui monte en Amérique latine. Économie de taille moyenne, avec un PIB de 203 milliards de dollars en 2014, le Pérou a connu une forte croissance entre 2006 et 2013 (+ 6,78 % en moyenne annuelle). Le pays bénéficie également de bons indicateurs macro-économiques (endettement et inflation limités, réserves de change, équilibre budgétaire).

L'année 2014 a coïncidé avec un net ralentissement de la croissance (+ 2,4%) du fait, entre autres, de la baisse des prix des matières premières sur le marché international. Le ralentissement économique de la Chine, premier partenaire commercial du Pérou, risque de prolonger la période de moindre croissance.

Par ailleurs, le Pérou est confronté à des défis structurels importants : narcotrafic (le Pérou est l'un des deux principaux producteurs de cocaïne au monde), carences majeures en matière d'éducation, faiblesses de l'administration de l'Etat et des territoires, marqués par une très forte corruption, multiplication des conflits sociaux et environnementaux dans les régions minières.

La double nécessité pour le Pérou de diversifier son économie et ses partenaires commerciaux, et de répondre à ces défis sociétaux expliquent peut être le regain de dynamisme de nos relations bilatérales ces dernières années.

Les relations franco-péruviennes se sont en effet particulièrement intensifiées pendant le mandat du président Humala, francophone et francophile. Sa visite officielle en France, du 14 au 16 novembre 2012, a permis de relancer la coopération bilatérale dans de nombreux domaines : universitaire, institutionnel, judiciaire, économiques et commerciaux. Cette dynamique a été prolongée par la visite du Ministre à Lima en février 2013. M. Humala a de nouveau été reçu par le Président de la République à Paris le 9 octobre 2013, puis le 1er juillet 2014. Le Président Hollande a prévu de s'y rendre en visite officielle en février prochain.

La thématique de l'environnement est centrale dans la concertation bilatérale, puisque Paris a succédé, le 30 novembre 2015, à la présidence péruvienne de la COP20, mais d'autres domaines, tels que les échanges universitaires et scientifiques, la coopération en matière de santé sont particulièrement prometteurs. La coopération en matière de défense s'est significativement développée avec notamment la signature d'un accord-cadre de défense signé à Lima en novembre 2013, la création d'un poste d'Attaché de Défense près notre ambassade à Lima en septembre 2014 et le lancement d'une coopération spatiale ambitieuse. Enfin, en matière de sécurité, notre coopération est appelée à se renforcer, en se concentrant principalement sur la lutte contre les narcotrafics.

Après ce rapide aperçu de nos relations bilatérales, j'en viens à l'objet du présent projet de loi, soit la ratification de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale signée en 2012 entre la France et le Pérou.

En réalité notre coopération judiciaire avec le Pérou est ancienne puisqu'elle remonte à la fin du XIXème siècle, mais en matière pénale, elle ne reposait sur aucun texte, mais sur le principe de réciprocité dans le cadre de la courtoisie internationale.

En dépit de l'absence d'instrument conventionnel en la matière, notre coopération judiciaire avec le Pérou a toujours été très active. Depuis 2010, les autorités judiciaires françaises ont émis 9 demandes d'entraide en matière pénale dont 5 sont encore en cours. Sur la même période, les autorités judiciaires péruviennes ont délivré 44 demandes d'entraide dont 18 sont en cours d'exécution.

Néanmoins, en 2003, dans le contexte de l'affaire « Fujimori » mettant en cause l'ancien président péruvien, les autorités péruviennes ont proposé à la France de moderniser la convention d'extradition de 1874 et de compléter le tissu conventionnel applicable entre les deux pays en suggérant également la négociation de deux autres conventions, l'une relative à l'entraide judiciaire en matière pénale et l'autre au transfèrement de personnes condamnées.

Accueillie favorablement par la partie française, cette initiative a rapidement débouché sur la tenue d'une première réunion de négociation à Lima au mois de juin 2004. Ces négociations ont abouti, le 15 novembre 2012, à la signature par le ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, et le ministre des relations extérieures du Pérou, de cette convention d'entraide judiciaire en matière pénale.

Les stipulations du texte, qui comprend 40 articles, sont largement inspirées des mécanismes de coopération qui prévalent déjà au sein de l'Union européenne et dans le cadre du Conseil de l'Europe.

Elles reprennent, pour l'essentiel, les dispositions classiques de la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et de son protocole additionnel en date du 17 mars 1978.

Le champ de cette entraide a été voulu le plus large possible. Elle est notamment étendue aux hypothèses de poursuites diligentées à l'encontre d'une personne morale à l'article 1er, ce qui permettra de coopérer en présence d'hypothèses de pollutions maritimes par exemple.

L'article 2 stipule ensuite que l'entraide, à la différence de ce qui prévaut dans le domaine de l'extradition et à l'exception des mesures coercitives visées à l'article 6, est accordée même en l'absence de double incrimination.

L'article 3 vient préciser que sont en revanche exclues du champ de l'entraide, l'exécution des décisions d'arrestation et d'extradition, l'exécution des condamnations pénales, sous réserve des mesures de confiscation, et les infractions exclusivement militaires.

De même, reprenant la logique du protocole additionnel du 16 octobre 2001, le secret bancaire ne saurait s'ériger en obstacle à une demande d'entraide.

Par ailleurs, le texte vise à rendre cette coopération la plus fluide et efficace possible. Afin d'optimiser les chances de succès des demandes formulées, le texte permet à la Partie requise d'ajourner l'entraide plutôt que de la refuser, lorsqu'une réaction immédiate à la demande pourrait porter préjudice à une enquête ou à une procédure menée sur le territoire de la Partie requise.

Dans un même souci d'efficacité, si la Partie requise doit refuser l'entraide ou y surseoir, elle doit en communiquer les motifs à la Partie requérante.

Afin de faciliter l'intégration au dossier pénal de la Partie requérante des preuves qui seront obtenues l'article 5 prévoit la possibilité pour la Partie requise de réaliser les actes d'entraide sollicités selon les modalités prévues par le droit de la Partie requérante, sous réserve que les principes fondamentaux du droit de la Partie requise ne s'y opposent pas. La convention pose également, détail important, une exigence de célérité dans l'exécution des demandes.

Enfin, le texte encadre, et la France y a veillé, l'usage des informations et éléments de preuve communiqués ou obtenus en exécution de la convention. Pour l'heure, la C.N.I.L. estime que le Pérou ne dispose pas d'une législation adéquate en matière de protection des données à caractère personnel. L'article 8 permet donc de soumettre l'utilisation des données à caractère personnel transmises aux autorités péruviennes à des restrictions.

Ceci pour souligner que la signature de la présente convention devrait utilement s'accompagner d'un renforcement de notre coopération technique en matière judiciaire, afin d'accompagner le Pérou dans la mise en place de réformes de son système judiciaire.

Le système judiciaire péruvien rencontre encore d'importantes difficultés qui ne lui permettent pas toujours de garantir la protection des droits de la personne et de régler les conflits juridiques. Très faiblement présente voire totalement absente en milieu rural, la Justice n'offre pas des services de qualité notamment aux femmes et aux enfants autochtones victimes de violence.

Par ailleurs, si le pays s'est engagé dans la voie de la lutte contre l'impunité pour les violences commises sous la présidence d'Alberto Fujimori avec notamment la mise en place d'une commission vérité et réconciliation, les mesures d'indemnisation tardent à être appliquées. Enfin, l'utilisation excessive de la force par les autorités lors des manifestations et l'atteinte aux libertés fondamentales (libertés de réunion, d'association) dans les zones de conflits sociaux sont des sujets d'inquiétude, notamment dans les régions minières.

M. Ollanta Humala fait valoir la légitimité de son Plan National des Droits de l´Homme 2012-2016 qui a été adopté après consultation de plus de vingt comités regroupant des représentants de l´Etat et de la société civile. Des progrès ont été relevés dans le traitement des affaires, la réduction des délais de procédure, renforcement de la lutte contre la corruption avec la création de juges spécialisés et le renforcement des systèmes de contrôle et d'observation. La France pourrait utilement accompagner le Pérou dans ces réformes.

Pour conclure, les procédures internes requises pour l'entrée en vigueur au Pérou de la Convention sont désormais achevées. Les autorités péruviennes ont procédé à la notification requise au titre de l'article 39 de la Convention et communiqué leur instrument de ratification à l'ambassade de France à Lima au moyen d'une note verbale du 24 juin 2015. Il revient donc à la France d'approuver cet accord.

Cette convention devrait naturellement faciliter le rassemblement des preuves dans le cadre des affaires transnationales, et favoriser la conclusion des poursuites dans des délais plus satisfaisants pour l'ensemble des justiciables concernés, français et péruviens. Ces demandes concernent principalement des affaires de biens culturels, d'infractions à la législation sur les stupéfiants et des faits de blanchimentescroquerieassociation de malfaiteurs ou de vols aggravés. S'agissant des menaces transversales, depuis 2003, trois demandes d'entraide émanant des autorités péruviennes visaient des faits de terrorisme. C'est dire l'importance de disposer d'instruments juridiques pour fluidifier nos échanges et améliorer l'efficacité de notre coopération.

Au bénéfice de ces remarques, je vous invite à adopter le présent projet de loi.

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