Intervention de Laurent Michel

Réunion du 27 janvier 2016 à 16h30
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

Voilà qui me conduit à mon troisième point relatif aux essais, à l'homologation et au contrôle technique.

Dès la publication de la directive 200746CE, la Commission européenne a lancé une série de réflexions sur l'entrée en vigueur de deux cycles d'essais, l'un censé mesurer les émissions d'oxyde d'azote – le cycle Real Driving Emission (RDE) –, un autre celles de dioxyde de carbone – le cycle Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures (WLTP). Le débat en est à la définition d'un cycle RDE et de valeurs de conformité, adopté par un comité technique le 28 octobre dernier et qui doit maintenant être soumis à la procédure d'objection ou de non-objection du Parlement européen et du Conseil européen, Mme Royal ayant jugé trop élevé le dépassement toléré prévu, dans les mesures en situation de conduite, pour la phase 2017 et pour la phase 2019. Un débat aura donc lieu en Conseil des ministres de l'UE et, probablement, en séance plénière au Parlement européen début février. Là, au sein de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, une assez large coalition a demandé le rejet du compromis proposé par le comité technique.

Nous partageons, au ministère, l'idée qu'il faut renforcer les tests afin qu'ils soient plus proches des conditions de circulation réelle. Cela renvoie à la question plus large du système d'homologation, de la surveillance de la production et du marché, enfin du contrôle technique. Aujourd'hui même, la Commission européenne a adopté une proposition ayant pour objet une refonte majeure du cadre de la réception dite « UE par type » pour les véhicules à moteur fabriqués en série. Cette homologation, globale, délivrée par un État qui s'appuie sur un ou plusieurs organismes d'essais – en France le CNRV, qui dépend du ministère de l'écologie –, fait l'objet d'une reconnaissance mutuelle. Le CNRV est un service de la direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie (DRIEE), l'un des services déconcentrés du ministère en Ile-de-France – où se trouvent traditionnellement les constructeurs nationaux, tout au moins pour ce qui concerne les véhicules légers. En effet, nos collègues de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de la région Rhône-Alpes sont chargés de la réception pour les poids lourds et autres bus. Le CNRV, où travaillent vingt-sept personnes, est rattaché au service énergie, climat, véhicules (SEVC) de la DRIEE et tient ses instructions techniques de la direction générale de l'énergie et du climat et, en particulier, de la sous-direction de la sécurité et des émissions des véhicules.

Comme nous l'avons déjà souligné dans nos discussions préalables avec les représentants de la Commission européenne, nous avons besoin de renforcer le système d'homologation, qu'il s'agisse des services qui réalisent les essais ou des services administratifs qui délivrent les homologations. Les critères de compétences et de moyens doivent être plus clairs, plus sévères. Il faut que l'agrément des services en question aient une durée limitée et qu'ils puissent faire l'objet d'audits, y compris de la part de la Commission européenne. D'autre part, une plus grande capacité de réaction des autorités – États membres et Commission européenne – est souhaitable, dès lors qu'est détecté un problème de non-conformité. Le système en vigueur implique en effet que seul l'État membre où a été délivrée l'homologation peut procéder à un retrait, une suspension ou à une mesure de sauvegarde efficiente. Or, en cas d'atteinte grave à l'environnement, n'importe quel État devrait pouvoir le faire.

Voilà qui nous ramène à une affaire médiatisée, en son temps, en France. La marque Daimler refusait obstinément d'utiliser pour ses véhicules un fluide de climatisation obligatoire, avançant des arguments que nous avons jugés fallacieux, si bien que nous avons suspendu la vente de ces modèles. Le Conseil d'État a cependant estimé que la clause de sauvegarde ne pouvait pas être activée parce que le nombre de véhicules concernés n'était pas suffisamment important pour constituer un risque grave pour l'environnement. Nous avons porté le dossier auprès de la Commission européenne qui a ouvert une procédure en novembre dernier, soit plus de deux ans après le déclenchement de l'affaire. Or la réforme proposée par la Commission devrait permettre aux États membres ou à elle-même d'appliquer de telles mesures de sauvegarde si sont constatées des non-conformités majeures. Il convient par ailleurs que les États puissent prendre des sanctions plus opératoires, je pense aux amendes administratives, la voie pénale se révélant, pour ce genre d'affaires, longue et donc pas forcément très efficiente. Enfin, il faut renforcer les échanges entre la Commission et les États membres sur tous les problèmes rencontrés dans le but de moraliser certaines pratiques d'homologation. En effet, plusieurs organismes délivrent un nombre considérable d'homologations alors qu'ils sont dépourvus des moyens techniques et de l'expérience nécessaires – dans le jargon du secteur on parle de type approval shopping : on va chercher son approbation là où il est le plus facile de l'obtenir !

Par ailleurs, il existe des systèmes de surveillance de la production et des systèmes de surveillance sur le marché. Il faut, comme c'est le cas pour diverses réglementations, prévoir un dispositif d'autosurveillance pour les constructeurs automobiles, de la même manière qu'on oblige un exploitant dont l'activité implique des rejets industriels polluants en sortie de cheminée ou en sortie de station d'épuration, à réaliser lui-même des contrôles en recourant, en général, à des organismes agréés. On doit assortir un tel dispositif de la faculté pour les autorités de déclencher des contrôles inopinés comme c'est le cas pour les rejets polluants. Ce système s'inscrit dans la logique « pollueur-payeur ».

J'en viens au contrôle technique en fonctionnement. Ce n'est pas le tout d'avoir des véhicules sûrs et non polluants une fois sortis d'usine, encore faut-il que leur état d'entretien soit suffisant pour garantir de bonnes performances : c'est l'objet des contrôles techniques introduits progressivement ces dernières décennies et qui intègrent d'ores et déjà des éléments environnementaux. En application de la récente loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, nous avons récemment proposé à la ministre de l'écologie de lancer une consultation publique avec les acteurs concernés dans les tout prochains jours, et, à cette fin, nous lui avons soumis un projet de décret en application de l'article 65 de la loi visant à renforcer « le contrôle des émissions de polluants atmosphériques et des particules fines émanant de l'échappement des véhicules particuliers ou utilitaires légers […] lors du contrôle technique », article dont les modalités d'application doivent être précisées par décret avant le 1er janvier 2017.

Le projet de décret que nous avons soumis à la ministre prévoit de compléter le contrôle des véhicules essence par la mesure des émissions d'oxyde d'azote et de particules fines et, pour les véhicules diesel, par la mesure des émissions de monoxyde de carbone, d'hydrocarbures imbrûlés, d'oxydes d'azote, de dioxyde de carbone et d'oxygène. L'idée est que ce dispositif soit opérationnel à partir du 1er janvier 2018, afin qu'au 1er janvier 2019 nous disposions de valeurs de référence. Il s'agit de passer progressivement de l'information – votre véhicule dépasse les normes admises – à l'obligation – vous devez procéder aux réparations et contre-visites nécessaires.

Quatrième point, ces dernières années, le Gouvernement a pris certaines mesures pour que le parc automobile soit plus équilibré dans sa composition – notamment entre les véhicules essence et les véhicules diesel – et moins polluant. Vous l'avez rappelé, madame la présidente, plusieurs rapports, dont celui de la Cour des comptes, ont évoqué la nécessité, au regard des avantages et des inconvénients respectifs des différents carburants, de mettre en place une fiscalité plus équilibrée entre les carburants et tenant plus compte des bilans énergétiques et environnementaux. Ainsi la loi de finances pour 2014 a-t-elle ajouté, dans le calcul de la taxe sur les véhicules de société (TVS), jusque-là basé sur les émissions de dioxyde de carbone, des critères d'émission de polluants. En outre, l'écart de taxation du diesel et de l'essence, qui était de dix-sept centimes en 2014, a été réduit de deux centimes en 2015, avec un centime de plus pour le diesel et un de moins pour l'essence, notamment, et de façon mathématique, par l'introduction de la taxe carbone, mais aussi, donc, par l'ajout de deux centimes de rattrapage destinés, en particulier, au financement des infrastructures de transport – dont il a été amplement débattu à l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2016. L'idée est d'accentuer cette convergence dans les prochaines années.

Les mesures visant à rénover le parc de véhicules légers ont été introduites en 2015 avec la prime de conversion des véhicules diesel de plus de quinze ans d'âge, à partir du 1er avril, cela dans le cadre de la norme Euro 6. Au vu du faible nombre de conversions en véhicules thermiques, il a été décidé que l'éligibilité à la prime serait étendue aux véhicules de plus de dix ans d'âge, soit les véhicules répondant aux normes Euro 1, 2 et 3. Par ailleurs, la prime pour les véhicules thermiques est à la fois recentrée et renforcée puisque son montant est porté à 1 000 euros pour l'achat d'un véhicule de norme Euro 6 émettant moins de 110 grammes de dioxyde de carbone par kilomètre, ou bien à 500 euros pour l'achat d'un véhicule de norme Euro 5 – voilà, dans ce dernier cas, qui ouvre la possibilité d'acheter des véhicules relativement peu polluants et peu chers ; mais le bénéfice du dispositif est réservé aux seuls véhicules essence afin d'être en cohérence avec l'objectif de réduire la pollution atmosphérique.

J'en viens à mon cinquième et dernier point qui concerne le développement des véhicules à très faibles émissions. Le bonus pour le véhicule électrique est maintenu cette année encore à hauteur de 6 300 euros avec en sus, éventuellement, la prime de conversion. La loi relative à la transition énergétique prévoit l'implantation de prises électriques dans les parkings, l'achat de véhicules à faibles émissions – chaque catégorie, véhicules légers, véhicules lourds, bus et cars, devant faire l'objet d'un décret – à raison de 50 % pour l'État, 20 % pour les collectivités, 10 % pour les flottes importantes de taxis ou de sociétés de location de véhicules. La loi prévoit le renouvellement de 50 % à 100 % des véhicules pour les flottes de bus. Les décrets sont en préparation et devraient, dans les toutes prochaines semaines, être mis en consultation.

Un ensemble d'aides au déploiement des infrastructures est également prévu. Un programme de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), dans le cadre des Investissements d'avenir, soutient, à hauteur d'environ 50 millions d'euros, les projets des collectivités locales investissant dans des réseaux de recharge des véhicules électriques. Ont été par ailleurs instaurées des possibilités d'exonération fiscale pour l'élaboration de réseaux nationaux de bornes pour véhicules électriques, les deux plus connus étant celui de la société Bolloré et celui de la Compagnie nationale du Rhône, d'autres étant en cours d'agrément.

Enfin, nous soutenons le développement de carburants alternatifs. Ainsi, par exemple, à titre transitoire, pour les poids lourds, le gaz naturel mais aussi l'hydrogène peuvent être des pistes intéressantes. La programmation pluriannuelle de l'énergie, prévue par la loi relative à la transition énergétique, comportera un volet de stratégie pour le développement de la mobilité propre qui donnera des indications sur le développement des infrastructures telles que stations de gaz ou stations d'hydrogène, deux technologies pour lesquelles nous nous efforçons de définir des dispositifs de type appels à projets. Je rappelle que la loi de finances pour 2016 prévoit des aides à l'achat de poids lourds au gaz, l'idée étant que les entreprises en équipent leur flotte afin de favoriser un partenariat entre elles et un vendeur de gaz quel qu'il soit, la station pouvant par la suite être ouverte à d'autres véhicules que ceux appartenant à la flotte de l'entreprise.

Toutes ces mesures s'inscrivent dans un ensemble de dispositifs plus larges destinés à améliorer la qualité de l'air. Je signale que devrait très prochainement être signé l'arrêté interministériel révisant le cadre des arrêtés préfectoraux de mesures d'urgence. Par ailleurs, sont en consultation les décrets et arrêtés qui instaureront la possibilité, pour les collectivités locales, de créer des zones à circulation restreinte en s'appuyant sur les dispositifs dits de la pastille ou certificat qualité de l'air. Je mentionnerai pour finir deux dispositifs : le lancement par l'ADEME d'un appel à candidatures auprès des collectivités locales pour la mise en place conjointe, par l'État et les collectivités, du fonds air-bois destiné à favoriser le remplacement des vieilles chaudières à bois des particuliers, ainsi que l'appel à projets « Ville respirable » par le biais duquel vingt collectivités – en général des métropoles ou des zones où l'on constate des dépassements de polluants – ont été sélectionnées pour recevoir chacune, en moyenne, un accompagnement financier de l'ordre de 1 million d'euros.

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