Intervention de Patrice Cochelin

Réunion du 1er mars 2016 à 18h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Patrice Cochelin :

Je suis l'un des responsables analytiques de l'agence Standard & Poor's, chargé de la notation du secteur public, qui comprend les États souverains, les collectivités locales, les émetteurs du secteur parapublic et certains émetteurs à but non-lucratif, notamment le secteur du logement social. Je suis responsable d'une équipe qui couvre une zone géographique comprenant la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Espagne et l'Italie. Dans cette zone, nous notons environ 160 émetteurs, dont quinze États souverains, ainsi que des collectivités locales et d'autres émetteurs du secteur public et institutions multilatérales. Je travaille chez Standard & Poor's depuis 2001, j'y suis entré en tant qu'analyste de crédit dans le secteur de la notation des entreprises ; auparavant, j'avais passé six ans au sein de la Société Générale, également comme analyste de crédit. Quant à Jean-Michel Six, il est notre chef économiste pour la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique.

Standard & Poor's est présente en Europe depuis 1984 et en France depuis 1990, date à laquelle elle a succédé à l'Agence d'évaluation financière française (ADEF) – nous sommes donc présents en France depuis un peu plus de vingt-cinq ans. Notre bureau parisien est un établissement important, comprenant environ 80 analystes sur un effectif mondial de l'ordre de 1 400 analystes. Notre société a été fondée en 1860 par Henry Varnum Poor, qui a commencé son activité en émettant des opinions sur les chemins de fer américains, qui cherchaient à lever de la dette auprès d'investisseurs européens, notamment britanniques, afin de fournir à ces derniers des informations financières de nature à les aider à évaluer la solvabilité des compagnies désireuses d'emprunter. Notre activité est réglementée au niveau européen depuis 2009 et notre superviseur est l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF, également connue sous son acronyme anglais ESMA).

La note est l'expression synthétique d'une analyse de crédit. Elle s'adresse aux créanciers de l'émetteur, qui sont des investisseurs et des épargnants. De nature très technique, elle est cantonnée à un risque très spécifique, à savoir le risque de non-paiement en temps et en heure du principal et des intérêts de la dette. Il s'agit d'un avis indépendant sur la qualité future d'une signature, donc une opinion prospective, portant sur la capacité, mais aussi la volonté d'un émetteur à honorer ses engagements en temps et en heure. Il faut dissocier le risque de crédit – le seul qui nous intéresse – de l'opinion que l'on peut avoir sur d'autres types de risques souvent attachés aux mêmes obligations financières, par exemple le risque de liquidité – c'est-à-dire le degré de difficulté auquel sera confronté l'investisseur souhaitant revendre son titre.

Enfin, la notation est relative, c'est-à-dire que nous cherchons en permanence à comparer les différents émetteurs de dette, le plus souvent entre pairs – ainsi la France sera-t-elle fréquemment comparée à d'autres grands États souverains, au sein de l'Union européenne et en dehors –, mais aussi entre différentes classes d'actifs, en prenant pour critère l'identité ou la proximité des notes des émetteurs. La notation est un outil parmi d'autres pour les investisseurs et, en ce qui nous concerne, nous nous efforçons d'offrir le maximum de comparabilité entre les notes et de transparence dans leur utilisation. J'insiste sur le fait que la notation n'est pas un audit des comptes de l'émetteur, ni un exercice de vérification comptable – pour effectuer notre travail, nous nous fondons sur des informations publiques –, ni une garantie de remboursement : à terme, même les obligations notées AAA peuvent, dans des cas exceptionnels, faire défaut.

Nous avons attribué une note à l'État français à partir de 1975. Il s'agissait à l'époque de noter une émission faite par la Caisse nationale des télécommunications, garantie par l'État français. Dans notre travail, la note des États souverains ne sert pas seulement à évaluer la qualité de crédit des gouvernements, mais joue également le rôle de référence pour les emprunteurs du pays, soit parce qu'ils sont considérés comme très proches de l'État, soit parce qu'ils ont une qualité de crédit qui pourrait éventuellement paraître supérieure à celle de l'État – ce qui justifie alors que nous procédions à un exercice de comparaison permettant de déterminer si un emprunteur doit voir sa note rapprochée de celle de l'État concerné.

Standard & Poor's attribue actuellement à la France une note à long terme de AA, sur une échelle de vingt-deux crans ne comportant que des lettres assorties de plus et de moins – les deux crans les plus bas étant les crans de défaut de paiement ; défaut sur la totalité des obligations (CD) ou défaut sélectif (SD) –, tandis que les vingt autres crans correspondent à des émetteurs à jour sur le paiement de leurs obligations. La note AA de la France est le troisième cran le plus élevé de l'échelle de notation : elle reste donc très élevée. Depuis octobre 2014, cette note est assortie d'une perspective négative indiquant qu'il existe selon nous une probabilité de l'ordre d'au moins une chance sur trois pour que la note soit abaissée à horizon de dix-huit à vingt-quatre mois. En décembre 2015, nous avons maintenu à la fois la note AA et la perspective négative.

Conformément à la réglementation, nous publions chaque année un calendrier indiquant les dates de réactualisation des notes des États souverains, qui couvre également tous les émetteurs du type collectivités locales ; ce calendrier précise que les prochaines dates de prévision pour la France seront le 22 avril 2016 et le 21 octobre 2016.

Nous avons publié aujourd'hui une mise à jour de nos actualisations en termes de prévision d'émission de dette pour 2016 pour les 132 États souverains que nous notons. Notre méthodologie, qui est très claire et peut être consultée par tout un chacun, comprend cinq grands piliers : d'une part, le cadre institutionnel et le cadre économique, regroupés en un profil économique et institutionnel, d'autre part, le facteur extérieur, le facteur budgétaire et le facteur monétaire, regroupés en un profil de flexibilité et de performance. Les deux permettent d'aboutir à un niveau indicatif de la note de l'État, pouvant faire l'objet d'ajustements en fonction de facteurs exceptionnels typiques pour certains emprunteurs.

J'en viens à la note AA actuellement attribuée à la France. Lorsque nous communiquons publiquement sur les éléments entrant dans l'explication d'une note, nous indiquons quels facteurs sont considérés comme des forces et quels facteurs sont considérés comme neutres ou comme constituant des faiblesses. En ce qui concerne la France, aucun des cinq facteurs n'est considéré comme une faiblesse à proprement parler : soit ils sont neutres, soit ils constituent des forces.

Le facteur institutionnel est le reflet des institutions et de leur fonctionnement, en particulier de leur stabilité en matière de mise en oeuvre de la politique économique. En pratique, nous nous efforçons de déterminer si les institutions sont susceptibles de provoquer des blocages ou des difficultés à exercer le pouvoir, en particulier en matière économique. À ce facteur, nous ajoutons dans certains cas des risques particuliers, par exemple de type sécuritaire ; ces risques ne s'appliquent généralement pas aux États européens. Pour la France, ce facteur est positif. C'est une force.

Le facteur constitué par la structure économique et les perspectives de croissance se fonde en premier lieu sur l'analyse du PIB – son niveau absolu, mais aussi son niveau relatif par rapport à d'autres États –, puis sur l'analyse de la croissance : il s'agit de déterminer des anticipations de croissance pour les deux ou trois prochaines années – c'est le travail des analystes, effectué en étroite collaboration avec les équipes de Jean-Michel Six, qui s'occupe de la prospective macroéconomique à court et moyen terme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion