Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 8 mars 2016 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

Je salue notre collègue Patrice Verchère, président du groupe d'amitié France-Monténégro. Martine Carrillon -Couvreur n'a pu être présente parmi nous car elle préside à cet instant même une réunion du groupe d'amitié France-Serbie.

Avec Christophe Caresche, Yves Fromion et Didier Quentin, ainsi que Joaquim Pueyo et Rudy Salles pour le volet Serbie, et Jean-Luc Bleunven et Michel Piron pour le volet Monténégro, nous avons effectué la semaine dernière une mission à Belgrade et Podgorica, sur le thème des négociations d'adhésion de ces pays à l'Union européenne. En l'espace de trois journées très intenses, nous avons rencontré plusieurs membres du Gouvernement de chacun des deux pays, les Présidents de leurs chambres parlementaires monocamérales, ainsi que de nombreux députés et représentants de la société civile, notamment des Organisations non gouvernementales (ONG).

Cette mission a fait suite à celle que j'avais déjà conduite en avril 2013, conjointement avec une délégation de la Commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag. Celle-ci avait donné lieu à la publication d'un communiqué commun, à destination de la presse serbe, réaffirmant « le soutien […] aux efforts de la Serbie en vue de son adhésion à l'Union européenne », position commune obtenue par la délégation française, alors que les représentants du Bundestag s'étaient initialement montrés réticents à l'élargissement à la Serbie.

Ajoutons que, cette année, compte tenu de l'actualité européenne, le dossier des réfugiés cheminant par la route est-méditerranéenne, en majorité originaires des pays en guerre du Moyen-Orient, a évidemment aussi été abordé lors de tous les entretiens.

Après les élargissements à la Slovénie puis à la Croatie, l'ensemble des Balkans occidentaux a vocation à rejoindre l'Union européenne à moyen terme : malgré les conflits récents, ces pays pluriethniques, intriqués géographiquement et héritiers d'une histoire commune, sont liés par une communauté de destin. Il s'agit là, pour l'Union européenne, d'un devoir politique historique, matérialisé par un engagement solennel au sommet de Salonique de 2003.

Cela rejoint au demeurant l'aspiration, courante dans de larges pans des sociétés civiles, à la reconstitution, d'une certaine façon, de la cohésion interethnique yougoslave, au sein, cette fois-ci, de l'Union européenne.

Mais l'adhésion requiert des conditions préalables très exigeantes, qui ne sont pas atteintes, loin s'en faut, chez ces six partenaires : le Président Juncker a donc clairement déclaré qu'un nouvel élargissement ne pourrait pas intervenir avant 2020.

Si leurs quatre voisons sont reconnus comme candidats par l'Union européenne, seules les négociations d'adhésion avec le Monténégro et, plus récemment, avec la Serbie sont d'ailleurs réellement engagées.

Notre Commission soutient cette logique d'une marche réfléchie vers l'élargissement aux pays des Balkans occidentaux, à un rythme adapté à la capacité de transformation politique, économique, sociale et environnementale de chacun d'entre eux. Elle souhaite par conséquent encourager les dirigeants politiques et les acteurs de la société civile qui s'engagent en faveur de cette logique.

Notre mission s'est déroulée à des moments clés de la vie politique nationale des deux pays visités.

Le soir même de notre arrivée, le Président du Gouvernement serbe confirmait la dissolution de l'Assemblée nationale et la convocation d'un nouveau scrutin législatif pour le 24 avril 2016, afin de consolider l'assise de son cabinet en vue de dynamiser les négociations d'adhésion à l'Union européenne. L'essentiel de la classe politique a accompli, ces dernières années, un aggiornamento politique remarquable et est manifestement déterminé à maintenir ce cap pro-européen, même s'il s'agit d'un choix de raison plus que de coeur.

D'autre part, la coalition majoritaire au Monténégro depuis des années ayant éclaté, diverses pistes de recomposition sont explorées, dans la perspective du prochain scrutin législatif, prévu pour octobre 2016. Les tentatives de cette nature sont néanmoins compliquées par la fragmentation extrême au Parlement ; comme à l'Assemblée nationale serbe, le seul point de convergence politique unanime est l'adhésion du pays à l'Union européenne.

Avec son poids économique et sa population relativement importante, mais aussi compte tenu de son implication dans les conflits qui ont endeuillé la région au cours des années 1990, le dynamisme des relations entretenues par la Serbie avec l'Union européenne a une importance stratégique et symbolique spéciale. Tous les responsables politiques serbes que nous avons rencontrés ont au demeurant insisté sur le consensus parlementaire à propos de l'adhésion à l'Union européenne.

La Serbie s'est vue reconnaître le statut de candidat officiel le 1er mars 2012. Mais les négociations avec ce pays présentent une particularité gênante : le chapitre 35, « autres questions », est le plus délicat, puisqu'il inclut la problématique du dialogue avec le Kosovo.

Est principalement en jeu le dossier de l'AssociationCommunauté des municipalités serbes du Kosovo, qui vise à permettre aux quatre communes à majorité serbe du nord du Kosovo de se réunir pour exercer conjointement un certain nombre de compétences, dans le respect de la réglementation kosovare en matière de décentralisation. Un accord à ce sujet, obtenu en août 2015, tarde à entrer en vigueur.

Et l'autre face de l'appétence unanime de la classe parlementaire serbe pour l'adhésion à l'Union européenne est son rejet non moins unanime de l'indépendance du Kosovo. Exiger de la Serbie, comme condition à son adhésion, qu'elle reconnaisse le Kosovo entraînerait inévitablement le retrait de sa candidature.

Au cours de notre séjour à Belgrade, nous avons systématiquement mis en avant l'amitié historique franco-serbe et l'engagement des autorités françaises en faveur du dossier d'adhésion serbe à l'Union européenne, en soulignant qu'une obligation de reconnaissance du Kosovo n'est nullement à l'ordre du jour, ni pour la Serbie ni pour les États membres de l'Union européenne, cinq d'entre eux s'y refusant d'ailleurs toujours.

En tout cas, deux premiers chapitres de négociation ont enfin été ouverts le 4 décembre 2015 : le 35 mais aussi le 32, de nature technique, consacré au contrôle financier.

La Serbie oeuvre maintenant pour l'ouverture rapide de chapitres supplémentaires, à commencer par les 23 et 24, relatifs à la prédominance du droit. Les Serbes se doivent d'adopter des plans d'action concernant la police, la justice et l'administration, particulièrement pour s'attaquer à trois points noirs, sur lesquels tous nos interlocuteurs nous ont alertés : la transparence du secteur judiciaire ; la lutte contre la corruption ; la réforme de l'administration publique.

L'administration serbe semble néanmoins en ordre de marche, structurée, consciente de ce qu'elle peut réaliser à court terme et à l'écoute des attentes et des conseils de ses partenaires communautaires pour améliorer ses performances à moyen terme. En somme, la Serbie est riche d'un vrai appareil étatique, fruit de son histoire institutionnelle, ce qui n'est pas le cas de certains États membres…

Selon la doctrine officielle serbe, le pays sera prêt à l'adhésion fin 2019.

Mais il est sujet à des fragilités économiques qu'il convient de corriger progressivement pour envisager un approfondissement des négociations d'adhésion : la grande pauvreté, surtout dans les régions du sud du pays ; le niveau et de la dette publique, qui atteint 75 % du PIB ; l'ampleur de la capitalisation publique dans le secteur industriel.

Quatre chapitres supplémentaires, sur lesquels la position de négociation de la Serbie est pratiquement finalisée, pourraient cependant être ouverts dans le courant de 2016.

Si l'adhésion à l'Union européenne constitue un objectif prioritaire pour la Serbie, elle n'envisage nullement l'adhésion à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), dans la mesure où elle entend conserver sa souveraineté militaire et où elle entretient des relations d'amitié avec la Russie. L'Assemblée nationale serbe a du reste adopté une résolution réaffirmant l'indépendance stratégique nationale.

Rien ne fait obstacle, cela dit, ni sa coopération technique, ni à son engagement dans les missions pour lesquelles l'Union européenne la sollicite, ni à sa participation aux exercices otaniens.

Sur la marche vers l'adhésion à l'Union européenne, il n'en demeure pas moins qu'elle devra progressivement se rapprocher des positions européennes.

Le Monténégro, avec ses 600 000 habitants – ce qui en fait le plus petit pays des Balkans – a pour réputation d'être le « bon élève » : c'est le pays le plus avancé, et de loin, dans l'exigeant processus des négociations d'adhésion.

Les négociations d'adhésion du Monténégro à l'Union européenne ont débuté le 29 juin 2012. Trois ans après, le pays continue de se rapprocher des critères politiques : il a accompli de nouveaux progrès dans l'établissement d'une économie de marché effective et a amélioré sa capacité à assumer les obligations futures qui lui incomberont après son adhésion. À ce jour, depuis septembre 2012, pas moins de vingt-deux chapitres – soit près des deux tiers – ont d'ores et déjà été successivement ouverts, dont deux sont déjà provisoirement refermés. En réalité, la totalité des chapitres font l'objet de discussions formelles et six supplémentaires pourraient être officiellement ouverts courant 2016.

Ajoutons que le Monténégro a adopté unilatéralement l'euro comme monnaie unique dès sa création, en 2002.

Enfin, il est l'un des rares pays au monde à avoir inscrit, dans sa Constitution, l'objectif de l'agriculture durable, ce qui lui donne un temps d'avance dans le développement de la production biologique.

Mais toutes les personnes que nous avons rencontrées, quoique se félicitant que leur pays démontre les meilleurs résultats, sur la route vers l'Union européenne, par rapport à leurs voisins, ont évoqué de multiples manquements en matière de respect de l'État de droit et de lutte contre la corruption. Le Parti démocratique des socialistes (DPS), issu de l'ancien Parti communiste, est au pouvoir, seul ou en coalition, depuis 1992. Cette absence d'alternance – cas unique parmi les candidats à l'adhésion à l'Union européenne – entraîne un contrôle de tous les rouages de la vie administrative et économique par l'entourage des responsables gouvernementaux, ce qui crée une situation relativement malsaine.

Les négociateurs monténégrins se révèlent très compétents et efficaces, contrairement à l'administration locale, faiblement dimensionnée, servie par des fonctionnaires mal formés et victime de sa tradition de corruption, naguère érigée en mode de fonctionnement, notamment pour ce qui concerne les marchés publics. Au final, si le pays adapte régulièrement sa réglementation au fil des négociations, les nouvelles normes de droit en vigueur ne sont pas toujours correctement appliquées.

Les décideurs monténégrins font preuve d'un grand esprit de responsabilité par rapport aux exigences inhérentes à la candidature de leur pays : ils admettent que les mauvaises expériences des phases d'élargissement précédentes incitent l'Union européenne à davantage de prudence et de rigueur, et considèrent même que le Monténégro a intérêt à se voir imposer des exigences élevées afin de mieux se préparer à son avenir européen et par conséquent assurer sa stabilité, sa démocratie et sa prospérité.

En alignant ses positions diplomatiques sur celles de l'Union européenne, le Monténégro apporte un soutien utile à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Le pays a notamment mis en oeuvre les mesures restrictives adoptées par l'Union européenne à l'encontre de la Russie.

Les forces armées monténégrines sont très modestes mais présentent un bon degré d'interopérabilité et le pays a démontré son intérêt pour les missions de paix pilotées par l'Union européenne, en particulier au Mali et en République centrafricaine.

Surtout, le Monténégro se singularise par sa candidature à l'OTAN, qui suscite le rejet de la frange proserbe et prorusse de l'opinion publique mais recueille tout de même l'adhésion de plus de 60 % de la population. Le protocole d'adhésion pourrait être signé dès le printemps 2016, avant d'être ratifié par les parlements nationaux des vingt-huit Alliés.

Jeunes démocraties, les pays des Balkans occidentaux étaient tous des économies administrées il y a encore vingt-cinq ans. Ils sont aujourd'hui confrontés aux mêmes problématiques de développement économique et social, de mauvaise administration, de corruption, de faible transparence du système judiciaire, de puissance des réseaux mafieux et de difficultés à accepter les règles du jeu démocratique et à intégrer le corpus européen de respect des droits fondamentaux, notamment en faveur des minorités ethniques ou sexuelles.

Ils doivent en outre combattre les démons du nationalisme et du repli sur soi. De ce point de vue, les facteurs potentiellement déstabilisateurs restent préoccupants.

Un autre enjeu fondamental est celui des réseaux d'infrastructures lourdes et de connectivité : voies routières et fluviales, transports des ressources énergétiques, télécommunications et Internet.

Deux processus de coopération multilatéraux parallèles ont été lancés parallèlement depuis 2014. Lors du sommet avec les pays des Balkans occidentaux que la France organisera à Paris le 4 juillet prochain, elle s'efforcera de les unifier, afin de renforcer la coordination sur trois dossiers : l'amitié entre les jeunes, à travers la création d'un Office de coopération régionale pour la jeunesse des Balkans occidentaux, sur le modèle de l'Office franco-allemand pour la jeunesse, et la mise en oeuvre d'un Agenda pour la jeunesse tendant à promouvoir le développement des dispositifs de mobilité ; la stimulation des investissements et l'amélioration du climat des affaires ; le soutien aux projets d'infrastructures de transport et d'interconnexion électrique.

La Serbie ne revendique pas le rôle de leader régional mais est appelée à jouer un rôle moteur vis-à-vis de ses voisins. Quant au Monténégro, il est prêt à les aider à en leur faisant profiter de son expérience plus approfondies des négociations d'adhésion. De fait, la coopération politique et économique progresse bien, appuyée sur de multiples initiatives.

Les Balkans occidentaux constituent aussi une zone extrêmement sensible en ce qui concerne le dossier des migrations.

Environ 600 000 réfugiés fuyant les conflits du Moyen-Orient ont transité par la Serbie en 2015 et 100 000 depuis le début de l'année 2016.

Pour être efficaces, les réponses coordonnées en cours de construction au sein de l'Union européenne doivent impérativement s'accompagner d'une réflexion commune avec tous nos partenaires des Balkans – y compris la Turquie, d'ailleurs –, toujours dans un esprit de responsabilité et de solidarité, notamment en vue de renforcer l'efficacité des hot-spots et de constituer des voie d'accès légales et sécurisées.

Les autorités monténégrines et surtout serbes ont assuré à la délégation que, par souci de solidarité, elles resteraient dévouées aux décisions européennes pour gérer de façon concertée les conséquences de l'afflux de réfugiés. En vérité, cela ne les engage guère : car même si la Serbie et le Monténégro proposent aux migrants en transit sur leur territoire de demander le droit d'asile, un nombre infime d'entre eux répond à l'invitation, les autres préférant rejoindre l'Union européenne, particulièrement l'Allemagne, l'Autriche et les pays scandinaves.

Les deux pays se sont du reste associés, avec tous leurs voisins balkaniques, à l'initiative autrichienne de fin février qui a acté la fermeture de la porte d'entrée en Europe via l'Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM).

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