Intervention de Yves Fromion

Réunion du 8 mars 2016 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Fromion, co-rapporteur :

Vingt-deux États membres de l'Union européenne participent à Sophia, mettant à disposition 1 327 personnels. Leurs moyens sont coordonnés par un état-major international situé à Rome, commandé par un vice-amiral italien. L'état-major est placé sous les ordres directs du Comité politique et de sécurité (CoPS) de l'Union européenne.

L'Italie, compte tenu de sa situation géographique en première ligne et de sa sensibilité à la question des migrations en provenance de la Libye, a évidemment manifesté la volonté de prendre le leadership et d'être désignée nation-cadre. Il faut dire que Sophia s'articule avec Mare Sicuro, une opération nationale italienne aux objectifs et au champ d'action similaires.

Depuis décembre 2015, sept bâtiments sont déployés, derrière le porte-aéronefs Cavour, sur lequel nous avons été reçus. Fleuron de la marine italienne, son équipage est constitué de 600 marins et il peut héberger 400 personnels de l'aéronavale.

Actuellement, quatre hélicoptères sont embarqués à bord et trois avions de patrouille et de reconnaissance maritimes sont mis à disposition à partir de bases terrestres.

La force navale bénéficie de l'appui de trois bases logistiques italiennes : les ports d'Augusta, au sud-est de la Sicile – là où nous ont été reçus sur le Cavour –, et de l'île de Pantelleria, plus la base aérienne de Sigonella.

En cette période hivernale, moins propice aux passages des embarcations des trafiquants, les moyens mobilisés sont en retrait par rapport aux débuts de la phase 2a, durant lesquels étaient employés onze bâtiments. La frégate légère furtive française Courbet et le patrouilleur Falcon 50M, engagés par la suite en Méditerranée orientale, au sein du groupe aéronaval du Charles-de-Gaulle, ont ainsi participé à Sophia, respectivement durant 50 jours et 11 jours.

À partir d'avril, une remontée en puissance sera nécessaire pour répondre au regain prévisible de passages d'embarcations chargées de migrants.

La Libye possède un réel savoir-faire dans le trafic des migrants, dont la régulation était naguère conçue par le régime du colonel Kadhafi comme un moyen de pression contre les Occidentaux.

Nous tenons d'abord à appeler l'attention sur le fait que la grande majorité des migrants concernés par la « filière libyenne » sont originaires d'Afrique sub-saharienne. La plupart d'entre eux sont animés par des motivations économiques mais certains fuient aussi des régimes dictatoriaux et peuvent être considérés comme des réfugiés politiques.

En 2015, alors que 810 663 migrants ont été comptabilisés sur la « route orientale » balkanique et 3 209 sur la « route occidentale » nord-africaine, 154 725 migrants passant par la « route centrale » libyenne ont été recensés par les autorités italiennes. On estime que pas moins de 500 000 à 1 million de migrants séjournent actuellement en transit sur le territoire libyen, soit, au rythme d'émigration actuel, un potentiel de plusieurs années de passages par la Méditerranée.

Depuis le passage à la phase 2a de Sophia, il existe deux modes opératoires.

Le premier consiste à former un migrant, appelé « joker », et à le mettre à la manoeuvre d'un zodiac, après lui avoir confié un GPS et un téléphone satellite pour appeler les secours juste avant de parvenir dans les eaux internationales. Le coût de la traversée pour chaque migrant est de 500 à 1 000 euros ; avec une centaine de passagers, le chiffre d'affaires s'élève à 75 000 euros environ pour chaque traversée.

Le second consiste à utiliser une grosse barque en résine ou en bois, escortée par un skiff à bord duquel deux ou trois trafiquants se chargent d'appeler les secours. Ces bateaux peuvent transporter jusque 450 personnes, alors qu'ils ne sont prévus que pour une vingtaine. Ces embarcations étant réputées plus fiables, les migrants sont prêts à payer plus de 1 000 euros par personne, soit un chiffre d'affaires moyen de 480 000 euros par traversée.

Ce modèle économique est tellement profitable que les trafiquants consentent désormais à abandonner les embarcations, ce qui leur garantit tout de même un bénéfice moyen par trajets de 67 000 euros pour ceux qui utilisent un zodiac et même de 380 000 euros pour ceux qui utilisent une embarcation en bois.

Les revenus totaux tirés de l'exploitation de la misère des migrants ont été estimés, pour 2015, à 4,5 milliards d'euros, soit plus du tiers du PIB libyen.

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