Intervention de Gérard Adam

Réunion du 11 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Gérard Adam, président du groupe de travail sur le dialogue social :

Le concept de paritarisme est faussement clair : de quoi parle-t-on ? En annexe à l'accord que les partenaires sociaux ont signé en 2014, figure une longue liste d'organismes présentés comme paritaires alors qu'un certain nombre d'entre eux ne le sont nullement. Les instances de sécurité sociale, par exemple, n'ont jamais été paritaires.

Trois critères peuvent être pris en compte pour définir le paritarisme.

Le premier est l'origine contractuelle du système, ce qui est le cas pour l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC), l'Unédic, la formation et aussi l'Association pour l'emploi des cadres (APEC), mais sans doute pas pour l'Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (Agefiph) qui résulte de la loi du 10 juillet 1987.

Le deuxième critère est celui de l'origine des ressources – proviennent-elles de cotisations et contributions pesant sur les entreprises et les salariés ou de subventions publiques ?

Le troisième est celui de la liberté d'utilisation de ces ressources.

Si l'on cumulait ces trois critères, on pourrait être conduit à considérer que le paritarisme n'existe plus aujourd'hui. La question serait alors plutôt de savoir où placer le curseur entre ce que l'on appelle le paritarisme de gestion et ce qui relèverait d'autres systèmes de concertation sociale.

Quatre questions me paraissent se poser au sujet du paritarisme.

La première porte sur son fonctionnement. On n'a pas encore terminé l'inventaire de l'accord national interprofessionnel sur la modernisation du paritarisme de gestion du 17 février 2012. Cet accord laissait entendre en creux que les mandataires manquaient de professionnalisme, ce qui a entraîné l'adoption de dispositions relatives à leur formation, leur nomination ou leur rôle, avec un flou considérable sur le financement des organisations syndicales et patronales. D'autres mesures sont intervenues depuis, qui n'emportent pas la complète adhésion des organisations représentatives : la CGT a demandé que les subventions soient fonction de la représentativité de chaque organisation, et des démêlés persistent entre les organisations patronales au sujet de la répartition de leur influence respective.

Nombre de rapports ont été publiés sur les organismes paritaires par la Cour des comptes comme par les assemblées parlementaires, mais, à mes yeux, la première question porte sur le bilan du fonctionnement des organismes paritaires ; il y a là une zone opaque qui mériterait d'être éclaircie.

La deuxième question, plus importante, est celle des relations avec l'État. Il faut reconnaître d'emblée que nous connaissons un système de tripartisme larvé ou occulte n'osant pas s'avouer comme tel. Les partenaires sociaux ne souhaiteraient d'ailleurs pas que cela apparaisse de façon trop nette. Les modalités d'intervention de l'État sont multiples, les unes étant très claires, les autres plus subreptices, tels des prélèvements effectués sur des organismes comme l'Agefiph ou l'ancien 1 % logement, au motif, soit que la gestion était déficiente, soit qu'ils devaient contribuer à des objectifs d'intérêt général.

Les règles de procédure d'agrément, par exemple, sont plus claires, mais elles ne concernent pas l'ensemble des organismes paritaires. Je ne reviens pas sur le difficile passage de l'accord à la convention pour l'assurance chômage. Dans les mois à venir, nous aurons une nouvelle illustration de la complexité des rapports entre les partenaires sociaux, dont ceux qui ont signé souhaitent que l'on ne dénature pas leur texte, et le Gouvernement et le Parlement qui entendent jouir de leur totale liberté d'intervention.

Ce qu'il est convenu d'appeler « document d'orientation » constitue un euphémisme pour dire que le Gouvernement tient la main des partenaires sociaux en les invitant à négocier librement, mais selon des modalités et un calendrier qu'il a lui-même fixés. Les discussions relatives au compte personnel d'activité (CPA), qui n'est pas paritaire, montrent bien que les syndicats et le patronat rechignent devant cette pratique du document d'orientation.

La question se pose donc de savoir si l'on évolue vers un système dirigé par l'État ou si, au contraire, il ne serait pas souhaitable de revenir à l'esprit de départ des organismes paritaires, c'est-à-dire à une plus grande liberté de gestion et de décision des partenaires sociaux.

La troisième interrogation porte sur la capacité du paritarisme à assurer des réformes structurelles. À ce sujet, deux points de vue s'opposent. D'un côté, le diagnostic peut être établi que le paritarisme menace de sombrer dans l'immobilisme, particulièrement en période de faible croissance, car les partenaires sociaux manquent de marge de manoeuvre. D'un autre côté, il peut être considéré que la gestion par les partenaires sociaux fait précisément la force du paritarisme.

Fait assez unique dans le droit, des syndicats qui ne sont pas signataires des accords participent à la gestion de ces accords. On pourrait considérer qu'il y a là quelque schizophrénie. Le débat a d'ailleurs eu lieu au sein du patronat, il y a quelques années : avec une certaine sagesse, celui-ci a conclu qu'il était préférable d'avoir les opposants dedans plutôt que dehors, et ainsi a-t-il été décidé que les non-signataires devaient continuer de siéger au sein des instances paritaires.

La dernière question est celle de la logique de représentation. Le système tend vers l'universalisation des prestations sociales, alors que l'organisation des organismes paritaires repose sur une vision étroite de la société, comme si elle se limitait à la représentation des salariés, d'un côté, et celle des employeurs, de l'autre. Le monde d'aujourd'hui est plus complexe, mais comment assurer d'autres présences ? Des tentatives ont été faites par le passé pour inclure les chômeurs ou les retraités, mais l'absence de structures représentatives de ces catégories a conduit à un abandon.

Au-delà de la question de la représentation, il convient de définir si les dispositifs considérés constituent des systèmes de solidarité ou d'assurance. La solidarité conduit à envisager l'universalité des prestations, alors que l'assurance réduit cette solidarité aux seuls cotisants et, par conséquent, limite les possibilités de développement des prestations. La création du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) a montré qu'un équilibre restait à trouver entre un système qui resterait dans la main des partenaires sociaux pour les entreprises et les cotisants salariés, et son ouverture à d'autres catégories sociales. De façon quelque peu cynique, les entreprises considèrent ne pas avoir à cotiser pour les jeunes décrocheurs du système scolaire sans formation à qui il conviendrait pourtant de donner un métier ; la tentation est grande d'abandonner à l'État les coûts correspondants.

En définitive, la question demeure posée : faut-il ou non réformer le système paritaire en profondeur ? Deux atouts subsistent en sa faveur : l'un est cette cogestion étrange incluant même ceux qui n'ont pas signé les accords, qui constitue un facteur non négligeable de réduction des tensions et des divergences ; l'autre est que, quelles que soient les majorités politiques, le système paritaire demeure un utile contre-pouvoir social, tant il est vrai que garantir l'autonomie des partenaires sociaux importe beaucoup dans un régime démocratique.

Je me permettrais une référence à Albert Camus pour qui il convenait d'éviter au moins que le monde ne se défasse plutôt que de se hasarder à le refaire ; c'est là le parti auquel je me rangerai.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion