Intervention de éric Aubry

Réunion du 11 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

éric Aubry, membre du groupe de travail sur le dialogue social :

Pour faire le lien avec les propos de Gérard Adam, je dirai : « Au commencement était le Verbe », car j'ignore comment on fait ou refait le monde.

En réponse à une question que semble se poser la mission d'information, je souhaite lever d'emblée un malentendu : à aucun moment notre rapport ne propose que chaque entreprise puisse poser son droit interne ; il propose simplement que des accords d'entreprise, que nous avons souhaités majoritaires, puissent fixer un certain nombre de dispositions qui seront applicables dans ces entreprises, qui pourraient concerner le temps de travail, l'organisation des institutions représentatives du personnel ou les motifs de licenciement économique. Il va sans dire que ce surcroît de liberté accordé aux entreprises ne se conçoit que dans le respect d'un ordre public absolu ainsi que d'un ordre social déterminé par le législateur - la souveraineté nationale.

Il faut se garder de diaboliser les accords d'entreprise, qui ont été consacrés en 1982 par l'une des lois dites Auroux. Avant cela, ils n'avaient pas d'existence juridique. Notre rapport doit être considéré dans la perspective d'un temps long. Les accords de la période 1997-2002 relatifs à la réduction du temps de travail ont, eux aussi, privilégié la négociation. L'idée de donner plus de liberté aux acteurs de l'entreprise répond à une aspiration de la société française qui s'inscrit dans la durée.

Pour répondre au questionnement de la mission relatif au droit du travail et à la concurrence, si le rapport de l'Institut propose effectivement de faire de l'accord d'entreprise le socle de la négociation collective, de préférence à la négociation de branche ou interprofessionnelle, il ne s'abstrait pas d'un cadre respectueux des principes de solidarité attachés au droit du travail qui vient tempérer le rapport de subordination caractéristique de la relation existant entre le salarié et l'employeur. Il ne s'agit pas non plus, à travers ces accords, de remettre en cause le principe de concurrence : dans le domaine de la durée du travail par exemple, cette liberté qui leur est donnée s'exercera dans le respect des durées maximales fixées par les directives européennes et le droit national. Il n'existe donc pas de contradiction entre ce droit du travail reposant davantage sur les accords d'entreprise et le droit de la concurrence. Ainsi, en Allemagne, jusqu'à ces dernières années, il n'y avait pas de salaire minimum obligatoire ; il en allait de même au Royaume-Uni jusqu'à l'institution du salaire national minimum par le gouvernement travailliste à la fin des années 1990 ; pourtant, personne ne pensait que le droit de la concurrence n'était pas respecté dans le système allemand du fait de l'absence de salaire national minimum.

Un autre de vos questionnements concerne la place de l'État dans l'élaboration du droit social, qui demeure un sujet sensible et se situe au coeur de votre réflexion sur le paritarisme et la négociation collective. Gérard Adam l'a relevé, et la lecture de vos travaux souligne l'ambiguïté : comment définit-on ces deux notions, notamment le paritarisme de gestion ? Quels sont leurs liens ? Enfin, quelles sont les relations existant entre la négociation collective, le paritarisme de gestion et l'intervention de l'État ?

L'objet de notre rapport n'a pas été de retracer les événements de notre histoire sociale ayant conduit l'État à jouer un si grand rôle, mais de montrer le plus précisément possible les limites comme les défauts du fonctionnement de notre système de négociation collective et de paritarisme actuel. À nos yeux, la place de l'État et de la loi est excessive au regard de la négociation collective, et cette situation diffère totalement de celle des autres pays membres de l'Union européenne, pour ne pas évoquer d'autres cieux tels les États-Unis. Nous avons donc souhaité proposer des solutions propres à remédier à cet état de fait.

Modestement, notre réflexion rejoint les préoccupations qui sont aujourd'hui celles de Pierre Rosanvallon au sujet de la crise de la représentation et ce qu'il nomme le « mal-gouvernement », qui concerne aussi les partenaires sociaux : comment les institutions paritaires peuvent-elles être légitimes et efficaces ? Il me semble que c'est là l'objet des travaux de votre mission d'information : déterminer à quel moment le paritarisme est légitime à intervenir, particulièrement par rapport à l'État, et si les institutions paritaires sont efficaces, transparentes et lisibles afin de remplir leurs fonctions. C'est la réponse à ces questions qui permettra de juger du bien-fondé du paritarisme dans tel ou tel secteur, mais aussi, le cas échéant, de constater son inefficacité.

Je souhaite à nouveau lever un malentendu : notre rapport ne va pas contre l'État ; il livre une réflexion sur les possibilités de mieux articuler les compétences respectives de l'État et des partenaires sociaux. Gérard Adam a évoqué le tripartisme camouflé, que M. Freycinet désignait pour sa part comme un tripartisme asymétrique masqué. Comment sortir de cette hypocrisie dans laquelle on prétend que le paritarisme est le fait des seuls partenaires sociaux, alors qu'il est notoire qu'il s'agit d'un « ménage à trois » au sein duquel l'État est constamment présent ? Reprenant de façon plus générale les propositions de Pierre Rosanvallon, nous nous intéressons à la façon de rendre le système plus transparent et plus lisible par nos concitoyens, afin qu'ils comprennent mieux qui fait quoi et comment cela fonctionne.

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