Intervention de Jean-Marc Germain

Réunion du 11 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Germain, rapporteur :

Merci pour vos exposés ainsi que pour les contributions de l'Institut Montaigne, quand bien même je n'en partage pas toutes les conclusions. Le débat relatif au renversement de la hiérarchie des normes, qu'Éric Aubry a replacé dans une perspective historique, s'apparente à mes yeux à celui portant sur le sexe des anges : depuis trente ans, le législateur s'attache à ouvrir des espaces de négociation ainsi qu'à distinguer ce qui relève des principes fondamentaux de ce qui est susceptible d'être négocié au niveau de la branche ou de l'entreprise.

Il est vrai que les lois instituant le régime des 35 heures ont, à cet égard, constitué une innovation puisqu'il a été décidé que, faute d'accord, un certain nombre de normes devaient s'appliquer. Ce principe est d'ailleurs repris par le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle, publié il y a quelques mois, intitulé La négociation collective, le travail et l'emploi. Le sujet n'est donc pas de savoir s'il faut ouvrir tel ou tel espace de développement à la négociation collective, puisqu'elle existe et que ses effets bénéfiques sont reconnus, mais, d'une part, de savoir s'il faut l'ériger en principe général du droit, ce qui semble être l'orientation de votre rapport et, d'autre part, de savoir comment on aborde les sujets concrets : en tant que rapporteur du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi, j'ai pu constater, par exemple, que les juges et les avocats sont très concernés par la question de la mobilité, qui concerne la vie quotidienne. Nous avons considéré que, s'il était bon d'élargir le champ de la négociation collective, celui-ci n'en devait pas moins être encadré. Ainsi, s'il nous a paru judicieux de négocier au sujet de la mobilité, nous avons cependant souhaité que les salariés ne se trouvent pas en position de faiblesse. Il convient que ces négociations se déroulent lorsque l'entreprise va bien, car, lorsqu'elle se trouve en difficulté, l'alternative imposée est alors les licenciements massifs ou le renoncement à un lieu de travail défini avec des temps de trajet stables entre le domicile et l'entreprise.

Ainsi que l'a relevé M. Adam, chaque acteur doit trouver sa place. Cela pose la question de la légitimité : comment sont élus les représentants syndicaux et patronaux ? Surtout sont-ils légitimes à agir dans tous les domaines ? Par exemple, les partenaires sociaux passent des accords relatifs à la réforme des conseils de prud'hommes alors que, intellectuellement, le sujet relève de la compétence du législateur. Certes, les protagonistes des accords, soumis qu'ils sont aux décisions des juridictions prud'homales, doivent être consultés par le législateur ; il n'en demeure pas moins, qu'à mes yeux, les sanctions applicables à ces acteurs relèvent du pouvoir régalien.

Comme vous, je considère que la question de la légitimité est fondamentale, tout comme, bien que dans une moindre mesure sur le plan démocratique, celle de l'efficacité : nous sommes condamnés à réfléchir à des systèmes qui ne seront jamais parfaits aux yeux de l'ensemble des intéressés.

L'analyse que vous faites du paritarisme et de la négociation sociale laisse l'impression qu'ils sont bien adaptés à des entreprises d'une certaine taille disposant de représentants syndicaux et de la capacité à négocier, et au sein desquelles les salariés passent une partie conséquente de leur vie professionnelle. En revanche, dans le contexte d'une économie nouvelle où les modes de production connaissent des transformations considérables et où les petites entreprises aux statuts juridiques incertains se multiplient, les changements de métier, d'entreprise et de branche professionnelle tout au long de la vie deviennent courants. Une telle situation incite à déterminer les normes à l'échelon national plutôt qu'au sein des branches ou des entreprises, par le seul acteur légitime à embrasser l'intérêt général bien mieux que des acteurs dispersés, quel que puisse être leur ascendant sur des salariés ou leur relation avec des actionnaires. Cela a bel et bien constitué un mouvement puissant qui a conduit à une relative étatisation de la sécurité sociale ou, à tout le moins, au renforcement du contrôle exercé sur certains organismes paritaires.

Par ailleurs, comme vous l'avez souligné en faisant allusion à l'ouvrage de Pierre Rosanvallon, nos sociétés connaissent une demande de participation accrue de la part des acteurs, notamment des acteurs sociaux. Les syndicats représentatifs des salariés et du patronat constituent des corps intermédiaires essentiels : ils doivent donc occuper toute leur place, fût-ce dans le contexte d'une légitimité affaiblie, faute de quoi la capacité d'entraînement du pays, ainsi que l'acceptation et l'efficacité de la réforme seront bien moindres qu'escompté.

Vous avez clarifié la manière dont il convenait de réfléchir à notre sujet tout en formulant des propositions. Dès lors ma question est la suivante : prônez-vous le statu quo en considérant qu'au vu des évolutions du paritarisme, une légitimité et une stabilisation ont été atteintes au fil du temps – le paritarisme apparaissant très efficient dans les domaines de l'assurance chômage et de la retraite complémentaire, comme dans d'autres secteurs de moindre importance ? Ou au contraire d'autres évolutions vous semblent-elles nécessaires ?

Notre mission réfléchit notamment sur deux sujets. D'abord, à une conception de la vie professionnelle non plus découpée en tranches – assurance chômage, retraite, formation professionnelle –, mais caractérisée par la fongibilité de ces divers éléments. La question est déjà abordée pour l'outil qu'est le CPA ; faut-il la prolonger jusqu'à la gouvernance ? Autrement dit, une gestion unique par un organisme paritaire de sécurité sociale professionnelle intégrant tous les droits concernés aurait-elle un sens ?

Ensuite, l'articulation des relations entre l'État et les partenaires sociaux - marque d'un paritarisme fort dont je suis partisan – doit-elle prendre une forme verticale ou horizontale ? En d'autres termes, faut-il un socle de droits fondamentaux déterminés et gérés par l'État – ce que vous avez appelé la solidarité –, complété par un étage, relevant plutôt de l'assurance et constitué par les régimes complémentaires, notamment l'assurance chômage et la retraite complémentaire ? On peut aussi songer à la santé, car, aujourd'hui, les deux systèmes tendent à coexister ; aujourd'hui, l'Unédic gère l'ensemble du risque chômage pendant un temps avant de « passer la main » à la solidarité, et, pour la retraite, il existe un régime de base et un régime complémentaire.

Enfin, quelle incidence la nouvelle économie collaborative pourrait-elle avoir sur le système paritaire ? À la lecture de votre rapport, et bien que cela ne constituât pas son objet, on constate à quel point la situation nouvellement créée pose des difficultés.

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