Intervention de éric Aubry

Réunion du 11 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

éric Aubry, membre du groupe de travail sur le dialogue social :

Small peut être aussi beautiful dans le cas des branches. L'objectif n'est pas de n'avoir que cinquante branches comptant 500 000 voire des millions de salariés ; les maîtres mots sont bien solidarité et efficacité.

Vous avez abordé la question de la portabilité des droits sociaux. Nous sommes effectivement en train de passer d'une logique de branche classique – qui conserve toute son utilité et demeurera –, à une personnalisation des droits. La logique du CPA constitue l'un des moyens d'adaptation à la nouvelle économie, car elle garantit la conservation des droits du salarié alors même qu'il est appelé à changer toujours plus souvent d'entreprise et, parfois, à multiplier les activités partielles.

J'ai lu dans l'un des comptes rendus de réunion de la mission d'information que vous considériez, Monsieur le rapporteur, que la sécurité sociale avait été étatisée en 1995 avec les ordonnances dites « Juppé ». Il me semble, au contraire, qu'historiquement la sécurité sociale n'a jamais été paritaire. Elle l'a sans doute été dans l'esprit du président Laroque dans les années 1945-1946, peut-être sous la IVe République – bien que j'en doute –, mais, à compter du décret du 12 mai 1960, qui confère à l'État le pouvoir de nomination des directeurs de caisse de sécurité sociale, et de l'ordonnance du 21 août 1967 relative à l'organisation administrative et financière de la sécurité sociale, cela n'a plus été le cas. Les partenaires sociaux n'ont d'ailleurs pas utilisé les dispositions de l'ordonnance qui leur donnaient la possibilité d'augmenter les cotisations et d'adopter des mesures d'économie.

L'étatisation était en germe dans les fonts baptismaux de la sécurité sociale. Ainsi, en 1982, ce ne sont pas les partenaires sociaux qui ont ramené l'âge de la retraite à soixante ans, mais une ordonnance résultant d'une loi d'habilitation de décembre 1981. La création de la contribution sociale généralisée a largement bouleversé les données de la question. Ce n'est pas à vous, mesdames et messieurs les députés, que je rappellerai que voter le budget constitue la première marque de la démocratie parlementaire ; le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) n'est rien d'autre que cela, quand bien même il s'agit d'un budget ad hoc. En réalité, dans notre système de sécurité sociale, le paritarisme a toujours occupé un strapontin et l'État a toujours joué un rôle majeur.

Mon analyse diffère donc de la vôtre. La réforme de 1995 a mis fin à l'hypocrisie dont chacun s'accommodait : in fine, c'était bien l'État qui prenait les mesures d'économie, d'augmentation des cotisations et décidait de l'abaissement de l'âge de la retraite. Elle a également eu le mérite de la clarification : il a été reconnu que le système n'est pas paritaire, et que c'est bien le Parlement qui adopte le PLFSS et l'État qui prend les décisions.

J'ai fondé mon point de vue sur le temps long, car il permet de mettre en lumière la logique qui sous-tend les évolutions de la sécurité sociale et transcende les clivages partisans. Cela n'exclut pas les divergences de sensibilité, mais signifie qu'il existe une recherche commune de l'intérêt général. Cette mise en perspective montre que les responsabilités reviennent à l'État et au Parlement, ce qu'illustrent à l'envi les réformes des retraites de 2003, 2010 et 2013. Cela ne veut pas dire que les partenaires sociaux ne sont pas consultés, et la répartition des pouvoirs telle qu'elle existe aujourd'hui me paraît très saine, très efficace et très lisible.

La question du monopole syndical a divisé notre groupe – nous sommes deux à penser qu'il convient de le maintenir. Les réformes annoncées, en accord avec la CFDT, par la ministre du travail Mme Myriam El Khomri portent sur la possibilité de procéder à des référendums à la main des syndicats lorsque les syndicats signataires représentent 30 % des salariés. En donnant la parole de manière plus large aux salariés eux-mêmes, le référendum répond en partie à la question du monopole syndical ainsi qu'à celle de la représentativité. Cela montre à quel point il faut être proche de ses mandants, en l'occurrence les salariés. En 1997 et 2000, le Gouvernement avait déjà introduit la possibilité du référendum afin de confirmer les accords passés par les salariés mandatés, mais aussi dans les entreprises où l'accord n'était pas majoritaire.

Aujourd'hui, les deux syndicats numériquement les plus importants, la CFDT et la CGT, tentent, chacun à sa façon, de répondre à la crise de la représentativité : le premier en proposant le référendum, le second en proposant un syndicalisme ramené à la base et très proche des salariés. Les deux centrales ont conscience qu'un écart se creuse avec leur base et cherchent à prouver leur légitimité de représentation. Cette problématique peut être inscrite dans une réflexion plus générale relative aux évolutions de notre société et à la façon dont les citoyens ou les salariés y sont représentés.

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