Intervention de Jean-Marc Germain

Réunion du 11 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Germain, rapporteur :

Je partage, monsieur Aubry, votre analyse de la réforme Juppé : elle a fait prendre acte de la répartition des divers pouvoirs de décision en présence, la part des partenaires sociaux étant amoindrie. Le vaste mouvement de contestation sociale que ce programme a provoqué, mettant des millions de personnes dans la rue, a inscrit cette date dans l'histoire, et celle-ci l'a retenue. Je partage aussi, par ailleurs, votre remise en perspective de l'évolution de notre système de sécurité sociale.

La question du référendum est complexe. Le secrétaire général de la CFDT a indiqué hier au journal Les Échos qu'il n'en était pas demandeur. Cette proposition n'émane donc pas des syndicats, même réformateurs. La situation est délicate, certains accords, notamment relatifs au travail dominical, n'étant toujours pas signés par tous les syndicats. Le référendum constitue, dès lors, une manoeuvre de contournement des syndicats non réformateurs. Les limites de cette pratique sont par ailleurs connues, le film Deux jours, une nuit des frères Dardenne en livre la parabole : tout le monde est augmenté mais une employée est licenciée. Certes, une majorité peut se dégager sur la question posée, mais les salariés sont placés devant un choix cornélien. L'idée que l'on puisse recourir au référendum afin de contrer les syndicats majoritaires en opposition me gêne, car elle porte en elle la capacité de faire perdre toute légitimité à la moitié du paysage syndical français. Je suis partagé, car attaché également au développement des possibilités d'expression démocratique. C'est d'ailleurs à juste titre que vous rappelez que la réforme des 35 heures a ouvert la voie à ce mode de consultation, principalement en cas d'absence de syndicat. Je ne pense pas, néanmoins, qu'il s'agissait à l'époque de manoeuvres de contournement. Je ne serais évidemment pas hostile à la procédure du référendum si les organisations syndicales non-signataires s'y montraient favorables.

Dans la recherche d'un équilibre, fondamental, entre encadrement et liberté, je considère que l'encadrement doit protéger la partie la plus faible. C'est pourquoi nous sommes très réticents quant à la possibilité de négocier le contrat de travail : dans nos permanences, nous rencontrons des salariés à qui l'on propose des contrats stipulant que, si leur téléphone portable s'éteint au cours de la nuit, cela constitue un motif de licenciement qui ne sera pas économique. Nous savons bien que le salarié à la recherche d'un emploi depuis trois ans n'est pas en position de négocier son contrat de travail lorsqu'il se présente devant un employeur. Contrairement à vous, il ne me paraît pas souhaitable qu'un élément aussi fondamental du droit du travail soit abandonné à la négociation d'entreprise au nom d'une plus grande liberté. Le risque de restriction de liberté de la partie en position de faiblesse – en général, dans le code du travail, le salarié – serait très élevé.

Certes, ce raisonnement ne saurait s'appliquer, par exemple, à une entreprise composée d'un employeur et d'un unique employé, un cadre qui s'approprierait le savoir-faire de son patron et s'engagerait dans un contentieux devant les prud'hommes. Nous ne serions plus dans un contexte d'opposition du faible et du fort, où le faible serait le salarié et le fort l'employeur. Sans remettre en question les principes fondamentaux, nous devons prévoir de tels cas. Nous ne devons toutefois pas faire preuve de naïveté en ignorant les risques que ferait peser sur le contrat de travail une plus grande liberté de négociation. L'enjeu est la vie personnelle des salariés : leur lieu de travail et leurs déplacements, mais aussi leurs conjoints, car désormais les deux membres du couple travaillent. Demander à un salarié d'aller travailler à 300 kilomètres de son domicile bouleverse sa vie familiale.

Gérard Adam a évoqué la nécessaire articulation du paritarisme avec la loi et l'intervention de l'État. L'idée de sanctuariser dans la Constitution ou dans la loi un certain nombre de domaines qui relèverait de la négociation collective me laisse dubitatif, car des évolutions sont susceptibles de survenir au fil du temps.

En tant que rapporteur du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi, j'ai souhaité laisser beaucoup de places aux partenaires sociaux, sans pour autant faire mine d'ignorer que, in fine, le législateur interviendrait. À l'époque, j'avais évoqué une valse à trois temps, dont l'un est politique, car les majorités, quelles qu'elles soient, une fois aux affaires, souhaitent donner des orientations ; c'est à cela que servent les conférences sociales. Vient ensuite le temps de la négociation, dans lequel, je vous le concède volontiers, les pouvoirs publics ne doivent pas intervenir, notamment dans les domaines de l'assurance chômage et des retraites complémentaires, faute de quoi l'équilibre de la négociation serait rompu. Il est cependant possible d'indiquer, sans nécessairement le faire de façon publique, quelles sont les limites infranchissables. Ainsi, en 2000, nous avions fait savoir aux partenaires sociaux, sans publicité, que nous ne souhaitions pas que les sanctions applicables aux chômeurs, particulièrement la suppression des allocations, puissent être décidées par les partenaires sociaux gestionnaires de l'assurance chômage. L'accord passé ne s'est pas conformé à cette prescription et, pour cette raison, n'a pas obtenu l'agrément ministériel. Enfin, vient le temps du législateur qui pose un certain nombre de règles d'intérêt général. C'est ce que nous avons fait dans le cadre de la loi de sécurisation de l'emploi, en étant néanmoins conscients que bafouer l'engagement des signataires aurait eu des conséquences considérables sur le déroulement des négociations à venir.

Avec beaucoup de rigueur, nous pouvons inventer des procédures proches du dispositif d'agrément que vous évoquiez afin que ce processus demeure respectueux de la négociation sociale et de l'engagement des signataires. Il faudra cependant que le pouvoir politique demeure maître des compétences qui découlent de sa légitimité : personne ne saurait se présenter devant les électeurs en annonçant qu'il abandonnera les questions sociales aux partenaires sociaux.

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