Intervention de Bernard Maurin

Réunion du 11 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Bernard Maurin, ancien président de plusieurs commissions mixtes paritaires :

Je commencerai par me présenter. À la retraite depuis un an, j'ai été, de 1998 à 2015, chargé de la section « Aide à la négociation collective et conflits » à la direction générale du travail. Dans ce cadre, j'animais le réseau des présidents de commissions mixtes paritaires pour ce qui concernait le recrutement, la formation et l'affectation à différentes commissions. Dans le même temps, ma section suivait l'évolution des commissions mixtes, tant sur le fond que sur la forme, étant entendu que ces commissions n'ont pas vocation à être pérennes. Enfin, je suis également formateur à l'Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (INTEFP) dans les champs de la formation et des conflits en entreprise.

Durant cette période, j'ai également eu l'occasion de présider des commissions mixtes paritaires de négociation de branche dans l'animation, les entreprises de propreté, le sport, les grands magasins, les hôtels, cafés et restaurants, l'industrie pharmaceutique, la chimie, la distribution directe, le portage de presse, etc. J'ai également effectué divers remplacements.

Je vais vous faire part de deux éléments tirés de ma pratique et de mon expérience de président de commission mixte : d'une part, un état des lieux des différentes commissions mixtes et, d'autre part, une connaissance des savoir-faire et savoir-être des présidents de commissions mixtes paritaires.

Les commissions mixtes paritaires de négociation de branche constituent une sorte d'aide de l'État, le passage en commission mixte entraînant la mise à disposition d'un agent, mais elles sont aussi une exception à la règle du paritarisme de la négociation de branche. D'où l'intérêt de les utiliser avec parcimonie. Cette forme de commission est fréquemment sollicitée pour surmonter une carence persistante, un blocage ponctuel ou une absence de savoir-faire. L'objet d'une commission mixte paritaire est d'aider à la négociation de textes conventionnels de branche susceptibles d'extension, un tiers apportant une compétence technique et juridique pour mettre fin à des situations de blocage parfois passagères.

On peut distinguer quatre types de commissions mixtes : celles qui regroupent des partenaires sociaux n'ayant que peu ou pas d'expérience de la négociation au niveau d'une branche ; celles qui sont mises en place par la direction générale du travail, comme l'y autorise l'article L. 2261-20 du code du travail, à la suite d'une carence ou d'un blocage considéré comme grave au regard des sujets de négociation devant être abordés par les partenaires sociaux d'une branche ; celles qui, malgré de longues années de négociation en formation mixte, et sans trop de difficultés particulières, n'arrivent pas ou ne souhaitent pas fonctionner autrement qu'en commission mixte alors que ce type de fonctionnement n'est pas censé être pérennisé ; enfin, celles dont les organisations représentatives au sein d'un même collège – celui des employeurs ou celui des salariés – n'arrivent pas à s'entendre pour élaborer une position commune vis-à-vis de l'autre collège.

Sauf lorsque ces commissions sont directement mises en place par l'autorité administrative, elles sont, dans la plupart des cas, sollicitées par les organisations syndicales de salariés qui, à divers titres, ne sont pas satisfaites de l'état des négociations de la branche. Les organisations syndicales interviennent alors auprès de l'autorité administrative, toujours sur le fondement de l'article précité. À l'inverse, les organisations d'employeurs n'apprécient guère a priori la mise en place d'une commission mixte. D'une part, parce qu'à de rares exceptions près, elles ne partagent pas l'avis des organisations représentatives des salariés quant à l'état des négociations de leur branche. D'autre part, parce qu'elles sont a priori hostiles à l'incursion d'un tiers, notamment d'un représentant de l'État, au sein de leurs négociations paritaires de branche.

J'en viens aux savoir-faire et aux savoir-être des présidents de commissions mixtes. De manière générale, la tâche du président de commission mixte est d'être un « facilitateur », d'aider à l'établissement ou au rétablissement du dialogue social. Le président offre un cadre de discussion et assure le respect des règles du jeu de la négociation mais ne se substitue pas aux négociateurs dans les débats de fond. Le président de commission mixte a donc un rôle pédagogique essentiel, destiné à favoriser l'émergence d'une dynamique et d'une pratique autonomes de négociation. En tant que de besoin, il est susceptible d'apporter aux partenaires sociaux un appui technique ou une expertise juridique.

Plus précisément, son rôle peut recouvrir trois fonctions essentielles.

Une fonction d'animation, tout d'abord. Le président n'intervient pas directement sur le contenu. Il est plutôt dans le « faire faire » et le savoir-être. C'est ce rôle d'animateur que l'on perçoit d'emblée de la façon la plus évidente. Il ne consiste pas seulement à apparaître comme le simple garant de la discipline des discussions et de la bonne tenue des réunions mais suppose une démarche active au double niveau de la conduite des discussions et de la résolution des conflits. Il appartient en effet au président de commission mixte de diriger et de recentrer les débats en veillant à ce que chacun s'exprime, à reformuler les différentes propositions ou à proposer une synthèse des discussions. Cette fonction exige une grande qualité d'écoute, une certaine sensibilité aux réactions et une capacité à ménager les sensibilités. L'équilibre d'une négociation est extrêmement fragile. Un événement en apparence anodin, une parole maladroite, une prise de position intempestive peuvent être la cause d'un retournement complet de situation. Il importe de demeurer attentif en permanence et d'anticiper le plus possible les réactions des différents intervenants pour en atténuer, le cas échéant, les effets négatifs. Lorsqu'un conflit survient, il est de la responsabilité du président de commission mixte de trouver les moyens de rétablir le dialogue. Une bonne perception de la personnalité des acteurs, la connaissance réelle des enjeux et la mise en évidence des non-dits sont autant d'aides à la résolution de conflit. Souvent, la suspension des négociations est souhaitable pour tenter, en dehors des réunions formelles et par des contacts bilatéraux, de rétablir les bases d'une reprise des discussions. De même, le recours à une autorité supérieure ou extérieure est parfois un moyen de nature à permettre de renouer les fils d'une négociation interrompue.

Le président de commission mixte exerce également une deuxième fonction, d'expert ou de conseil qui, de mon point de vue, n'est pas forcément indispensable et ne devrait pas empiéter sur le rôle d'animateur qui doit rester dominant. Souvent, les partenaires sociaux nient leur difficulté à dialoguer et ont tendance à vouloir nous enfermer dans un rôle d'expert qui ne les aidera pas forcément à dégager un consensus. En effet, l'expert porte un jugement ou un avis sur le contenu des décisions à prendre. Il est détenteur du savoir. Il peut se retrouver en position d'arbitre du seul fait de la réponse qu'il apporte sur le fond. Ce faisant, il peut donner tort ou raison à l'une ou l'autre des parties. C'est pourquoi nous recommandons aux présidents de commission mixte d'être équidistants de chacune d'elles et parcimonieux en analyses.

Ce rôle est lié aux compétences qu'a le titulaire de la fonction de président de commission mixte dans le domaine du droit du travail et du droit social. Le président étant souvent perçu d'abord comme un juriste attaché à l'administration du travail, son expertise peut être précieuse pour les partenaires sociaux. Mais, d'une part, elle n'est pas toujours sollicitée sans arrière-pensées et, d'autre part, le président de commission mixte ne peut pas répondre à toutes les questions. Pour autant, dans certaines branches où les représentants sont peu ou mal informés, l'intervention pédagogique du président peut être déterminante. Il est donc conseillé de l'utiliser avec parcimonie, de préférer l'intervention d'experts extérieurs et de ne pas hésiter à faire faire les expertises par les parties qui les demandent, en dehors des réunions si nécessaire. Cela peut constituer un premier pas vers l'autonomie que nous recherchons. En effet, les organisations que nous rencontrons ne sont souvent pas suffisamment équipées sur le plan juridique. Elles attendent donc du président de commission mixte qu'il joue le rôle de juriste de service, mis à leur disposition par le service public. Or, telle n'est pas, loin de là, l'entièreté de sa fonction.

Enfin, le président de commission mixte exerce une fonction d'acteur, à condition qu'un contenu ait déjà été élaboré par les parties. Paradoxalement, le président doit, dans cette situation, rester très humble. Un tel rôle ne s'improvise pas et ne peut être joué qu'à l'occasion voire à l'issue de débats et d'un processus de négociation qui tende effectivement vers une solution acceptable par l'ensemble des parties. Dans ce cas, le président de commission mixte intervient sur le contenu, donc sur la « propriété » des parties, en proposant une solution voire une rédaction susceptible d'emporter l'accord de tous ou d'une majorité. La qualification d'acteur peut paraître inappropriée au regard des véritables acteurs de la négociation que sont les représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés. Pour autant, il peut être naturel de penser que, par sa position centrale, le président de commission mixte est aussi le mieux placé pour extraire des débats la motion de synthèse sur laquelle une certaine convergence est susceptible de s'exprimer.

En conclusion, je citerai mon ancien sous-directeur, selon qui le président de commission mixte est un peu un « mouton à cinq pattes ». L'intervention de chaque président est d'ailleurs marquée par la singularité de sa personnalité. Et pour répondre à votre question, monsieur le président, les présidents de commission mixte sont effectivement souvent perçus comme des représentants du ministère, bien qu'ils soient, en tant que conciliateurs, dans une position particulière. Les présidents ont en effet des marges de manoeuvre beaucoup plus larges que s'ils s'exprimaient directement au nom de l'administration.

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