Intervention de François Houllier

Réunion du 15 mars 2016 à 16h00
Commission des affaires économiques

François Houllier, président-directeur général de l'Institut national de la recherche agronomique, INRA :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de nous accueillir et de nous donner l'opportunité de vous présenter le rapport « Agriculture – Innovation 2025 : 30 projets pour une agriculture compétitive et respectueuse de l'environnement ». Je dois vous présenter les excuses de M. Pierre Pringuet, coauteur du rapport, ancien directeur général de Pernod Ricard et président du conseil d'administration d'AgroParisTech.

Cette mission nous a été confiée par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, à la suite des rencontres qui ont eu lieu entre des professionnels et le Premier ministre à l'automne 2014, dans un contexte déjà difficile pour l'agriculture mais qui n'avait pas encore pris l'aspect de la crise aiguë que nous avons connue et que nous connaissons encore à certains égards.

Il nous avait été demandé de proposer les bases d'un plan « Agriculture-Innovation 2025 », c'est-à-dire de nous focaliser sur les questions relatives à l'agriculture et non sur l'agroalimentaire, la consommation et la distribution, et plus particulièrement sur un spectre allant de la recherche plus ou moins finalisée, plus ou moins appliquée, à l'innovation, y compris jusqu'au transfert. L'horizon retenu est 2025, les propositions que nous formulons devant avoir un impact plein dans plusieurs années et faire la différence en matière de compétitivité et de durabilité de l'agriculture à cette échéance.

Nous avons choisi une méthode aussi inclusive que possible ; nous avons été amenés à rencontrer plus de 300 personnes, issues principalement du monde agricole. Mais nous avons rencontré également les acteurs de l'alimentation et des responsables d'entreprises de la transformation, même si ce n'était pas le coeur de notre mission.

Nous n'avons pas fait un rapport d'orientation, préférant soumettre des propositions sous forme de projets avec des objectifs, des échéanciers, des acteurs et des modes de financement.

Nous avons couvert un spectre large de projets allant de la recherche au transfert, en considérant que ces projets devraient avoir généré, d'ici à 2025, des résultats économiquement perceptibles. Mais nous avons estimé qu'il fallait en même temps alimenter le « pipeline » d'innovations, sachant qu'il faut compter en gros une vingtaine d'années entre le début des recherches les plus en amont et ce qui arrive sur le marché, chez les consommateurs, dans les fermes, les étables ou dans les politiques publiques. Il fallait donc avoir la capacité, à la fois, de transférer ce qui était déjà transférable et d'alimenter une sorte de « pipeline » d'innovations.

Le rapport comporte par ailleurs trois annexes intéressantes. Premièrement, nous avons voulu savoir ce qui se faisait à l'étranger. Nous avons pu observer qu'il existait, dans un grand nombre de pays, et pas seulement européens, des stratégies de politique agricole et de recherche et développement (R&D) d'innovation dans ce domaine particulier. L'Irlande, par exemple, a clairement une ambition agricole et une stratégie de R & D au service de cette ambition agricole. Vous trouverez donc dans ce rapport un certain nombre d'éléments de parangonnage ou benchmarking avec nos partenaires étrangers.

Une autre annexe rassemble des éléments de mise en perspective ou en prospective par rapport à différents scénarios d'évolution de l'agriculture européenne – plus ou moins écologique, plus ou moins industrielle, plus ou moins exportatrice, plus ou moins libérale. L'idée était de parvenir à des propositions qui restent robustes et adaptées à différentes évolutions potentielles de l'agriculture française et européenne.

Enfin, une dernière annexe porte sur les modes de financement de la R & D et de l'innovation en France, sachant qu'il existe un grand nombre de canaux de financement. Il était important de savoir si tel projet pouvait être financé, par exemple, dans le cadre du programme d'investissements d'avenir ou dans un autre cadre particulier.

Cette mission nous a été confiée avant la crise que nous connaissons actuellement – mais la situation était déjà latente. Elle se situe à l'amont du programme d'investissements d'avenir annoncé tout récemment, et à l'aval de la stratégie nationale de recherche (SNR) publiée durant la mission, au printemps 2015, et présentée au Premier ministre au mois de décembre 2015, et de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'agroalimentaire et la forêt.

Chacun des 30 projets que nous proposons se présente en deux pages – c'est un format particulier que nous avons souhaité défendre – où sont à chaque fois détaillés le contexte, les objectifs, les livrables, l'échéance, le financement, les acteurs.

Ces 30 projets ont été structurés en neuf grands axes et trois priorités.

Première priorité : pour progresser en matière de recherche, d'innovation et de transfert dans le domaine agricole en France, il faut pouvoir mobiliser tous les acteurs concernés, c'est-à-dire ceux qui font de la recherche académique mais aussi ceux qui sont dans des activités de transfert et d'innovation stricto sensu et pas uniquement l'INRA que je préside, les instituts techniques ou les organismes de conseil comme les chambres d'agriculture.

Deuxième priorité : il faut aussi pouvoir mobiliser un certain nombre d'instruments, de techniques ou de technologies. Nous avons fait des propositions dans le domaine du numérique, de la robotique, de la génétique, des biotechnologies et du biocontrôle. Nous pensons qu'il est important que ces technologies, qui sont toutes en train de se déployer ou de se développer à un titre ou un autre, puissent être effectivement soutenues et que l'agriculture se les approprie pleinement.

Troisième priorité : aucune technologie ne pouvant, par elle-même, suffire à lever les verrous de compétitivité ou de durabilité, il faut pouvoir les assembler dans des systèmes comme l'agro-écologie et la bio-économie. Avec l'agro-écologie, il s'agit de tirer parti des processus naturels, par exemple en fixant comme priorité la recherche sur le sol qui est un vecteur – ou un verrou – déterminant. Avec la bio-économie, il s'agit de recycler des biomasses tout au long des chaînes de transformation.

J'insisterai pour finir sur trois sujets particuliers qui me tiennent à coeur.

Tout d'abord le sol, le climat, l'adaptation au changement climatique. Des recherches très en amont et tout à fait nouvelles sont en cours sur la biologie des sols, ce que nous n'étions pas capables de faire il y a cinq ou dix ans. Jusqu'à présent, nous avions une approche très physique des sols, alors qu'aujourd'hui on peut avoir une approche de la biodiversité des sols. Cela génère des services, de l'emploi, de l'activité, par exemple en termes d'analyse de la qualité des sols vue sous l'angle biologique. En matière d'adaptation au changement climatique, on peut développer de nouveaux services, par exemple en couplant des modèles de prédiction des cultures, des modèles d'élevage avec des modèles climatiques issus de la météorologie nationale. Voilà un type de projet particulier que nous avons voulu défendre.

Deuxième sujet, le biocontrôle en tant que méthode alternative à l'usage d'intrants chimiques ou de produits de synthèse. Toute une série d'activités conduisent la recherche publique et les acteurs privés à travailler de plus en plus ensemble, les acteurs privés étant aussi bien des petites et moyennes entreprises susceptibles d'être rachetées que des grands groupes qui sont déjà installés. Une activité est en train de se développer pour rechercher des méthodes alternatives aux produits de synthèse, aussi bien en nutrition animale qu'en protection des cultures. Nous pensons que c'est un secteur d'avenir. Certes, ce n'est pas un grand secteur économique puisqu'il ne représente encore qu'une centaine de millions d'euros de chiffre d'affaires, mais c'est un domaine en forte croissance et sur lequel il y a à la fois de la R & D et de la concentration économique.

Troisième sujet, la génétique et les biotechnologies. On ne pourra pas, à certains égards, réduire l'usage des pesticides, s'adapter au changement climatique, utiliser moins d'azote dans les cultures si l'on n'utilise pas pleinement le levier génétique. Une fois que l'on a décidé de l'utiliser, la question se pose de savoir quelles sont les technologies particulières à mettre en oeuvre. Nous faisons un certain nombre de propositions : d'une part, utiliser des technologies conventionnelles qui sont de plus en plus rapides et puissantes – il faut continuer de développer nos activités dans ce domaine – d'autre part, faire appel aux nouvelles biotechnologies dont vous avez certainement entendu parler car elles s'appliquent aussi bien à l'homme, à l'animal, aux micro-organismes qu'aux plantes. Il nous paraît important que la France soit compétente. Voilà le message que nous avons voulu adresser dans ce rapport.

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