Intervention de Jean-Marc Bournigal

Réunion du 15 mars 2016 à 16h00
Commission des affaires économiques

Jean-Marc Bournigal, président-directeur général de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture, IRSTEA :

Nous avons veillé à ne pas parler de modèles d'agriculture car nous aurions pu alors porter des jugements. La majorité de nos recommandations peuvent s'appliquer à des types d'agriculture très différents, même si certaines sont plus ou moins accessibles à certains modèles que d'autres.

Pour ma part, j'insisterai sur l'agriculture numérique et la robotique. La lettre de mission nous a demandé de cibler les agroéquipements et de regarder quel était l'impact de la société numérique, au sens large du terme, sur le secteur agricole. Nous avons choisi de faire des recommandations sur l'agriculture numérique parce que ce secteur est très fortement concerné. Si les prévisions au niveau mondial font état de potentiels extrêmement importants, le numérique présente aussi des risques dans la mesure où de grandes sociétés investissent assez massivement dans ce secteur, ce qui, si l'on n'y prenait garde, pourrait avoir des conséquences non négligeables sur la limitation des capacités d'intervention du monde agricole.

Il y a deux grands types d'investisseurs en la matière : d'un côté les agrochimistes et les semenciers qui ont souvent une tendance d'intégration verticale, et de l'autre les grands agroéquipementiers, notamment les tractoristes, qui développent des plateformes au niveau mondial pour récupérer sur le cloud les données des agriculteurs et qui potentiellement développent des services. Il faudra prendre garde à ne pas se retrouver dans des situations où les seules solutions qui existeraient dépendraient de quelques grands donneurs d'ordre qui fourniraient les services numériques mais aussi les semences, les produits chimiques, les pratiques agricoles associées, les équipements qui les sous-tendent et qui ne laisseraient plus aucune marge de manoeuvre et imposeraient un modèle d'agriculture en total décalage avec les souhaits de notre pays de maintenir une réelle diversité des modes d'exploitation, en préservant notamment le modèle familial.

Nous recommandons d'essayer d'introduire quelque chose qui n'existe pas encore, c'est-à-dire de créer le plus rapidement possible un écosystème ouvert d'innovation pour permettre le développement de services en direction des agriculteurs. Pour ce faire, il convient de créer un portail numérique qui pourrait rassembler les données de l'État, celles qui sont déjà en grande partie ouvertes à travers Étalab, mais qui ne le sont pas encore dans certains secteurs spécifiques. Il serait alors possible de récupérer les données de la recherche, celles des instituts techniques et les données privées que fourniraient les agriculteurs eux-mêmes, les coopératives et les acteurs. Ce portail permettrait de faire émerger des startups ou de conforter un certain nombre d'acteurs qui ont déjà investi – je pense à l'éditeur de logiciels ISAGRI – ou des gros investisseurs qui ont des capacités de développement assez importantes comme SMAG, filiale du groupe coopératif InVivo, et de les amener à un niveau européen et international.

Avec cet écosystème ouvert d'innovation, il s'agit de montrer que c'est le partage des données qui génère de la valeur. Ce portail pourrait voir le jour sous la forme d'une société de droit privé contrôlée par le monde agricole lui-même, de façon qu'il s'approprie ces données, qu'il génère des services en direction des différents modes d'agriculture et qu'il se penche sur la répartition de la valeur puisqu'on voit bien, à travers la crise que nous traversons, que la question est de savoir où est la valeur et qui la capte. Si le partage des données est entre les mains des grands tractoristes, de l'agrochimie, voire des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui commencent à investir dans le système, alors la captation de la valeur se fera surtout en dehors du monde agricole. Il est donc urgent d'évoluer et de concevoir ce portail en essayant ensuite d'inciter à son élargissement pour qu'il ait un sens.

Pour accompagner la transition agro-écologique, les outils d'aide à la décision seront extrêmement précieux. L'agro-écologie nécessite en effet la maîtrise de paramètres de plus en plus nombreux au-delà du climat, du sol, de la surveillance sur les ravageurs, les maladies et les choix d'itinéraires techniques et de la complexité qu'ils peuvent générer. Nous proposons donc de créer un institut qui regrouperait toutes les forces de recherche publique en termes de numérique agricole, qui se retrouvent principalement réparties entre l'IRSTEA, l'INRA, l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) et probablement un peu le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il faut aussi développer le nombre de capteurs parce que plus ils sont nombreux, plus il y a d'informations, plus on maîtrise les paramètres et plus on sera capable d'aller vers des agricultures durables.

Le deuxième élément sur lequel on peut insister est la robotique. Les analyses mondiales montrent en effet qu'en dehors de l'aide à la personne, l'agriculture est le deuxième secteur qui connaîtra un développement de la robotique le plus important au niveau mondial. Le marché est estimé à plus de 16 milliards de dollars d'ici à 2020.

La robotique est déjà très présente dans le domaine de l'élevage puisqu'une installation sur deux se fait avec des robots de traite. Mais il ne faut pas oublier non plus les robots d'affouragement et les robots de nettoyage dans les bâtiments. Nous proposons de travailler très rapidement sur la robotique en milieu naturel qui pose des difficultés un peu plus particulières, en raison du climat et du terrain. En la matière, il n'y a pas encore d'acteur dominant. Le développement de la robotique agricole permettra d'avoir davantage de précision dans les interventions, qui iront dans le sens de la limitation de l'utilisation de l'eau, des pesticides, des intrants, et de la limitation de la pénibilité. Avec la rupture technologique autorisée par l'avènement d'autres sources d'énergie que le moteur à explosion – le moteur électrique, les piles à hydrogène –, l'apparition d'outils de gestion qui limiteront la course au gigantisme des capacités de stockage et la possibilité désormais d'utiliser les équipements de façon conjointe et connectée, c'est un nouveau marché qui s'ouvre au niveau mondial.

La France a des capacités assez importantes dans le domaine de la robotique. Nous estimons que nous pouvons accélérer le processus pour pouvoir faire émerger cinq types de robots à l'horizon 2025, en commençant par s'attaquer aux traitements phytosanitaires qui posent des problèmes de contamination du milieu mais aussi d'exposition des agriculteurs. Bien entendu, le développement de la robotique serait accompagné de dispositifs de tests, car qui dit robot dans le milieu naturel dit élaboration dans le même temps d'une nouvelle réglementation. Il serait en effet assez absurde de lancer de nouveaux outils sans être capable de les commercialiser ou de ne pas devancer la normalisation au niveau mondial.

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