Notre mission, du fait même de son caractère inclusif, a eu un écho plutôt positif. Les gens que nous avons rencontrés, qu'ils soient dans la recherche, le transfert, le développement, l'expérimentation, le monde économique stricto sensu, ont manifesté un intérêt pour y participer. Au-delà des projets que nous avons formulés, nous véhiculons cette idée que l'agriculture est bien un territoire d'innovation et de recherche. Nous-mêmes avons pris plaisir à la mener.
Je voudrais revenir sur un projet que l'INRA a conduit ces dernières années – mais je sais que l'IRSTEA, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et d'autres ont fait la même chose. Il s'agit de savoir quelles sont les trajectoires d'innovation en matière agronomique, du début des recherches jusqu'au marché, à la politique publique, à la ferme, à l'étable, à la culture ou à l'assiette. On peut en tirer quelques enseignements qui font écho à ce que vous avez dit et que l'on retrouve, d'une manière ou d'une autre, dans certaines priorités détaillées dans le rapport.
Premièrement, une période de vingt ans constitue la durée constante. Contrairement à ce que l'on peut penser, ce n'est pas plus long que ce qui existe dans le domaine du numérique. Entre le début des recherches et la mise sur le marché ou chez le consommateur ou l'agriculteur, il se passe effectivement une vingtaine d'années.
Deuxièmement, aucun établissement de recherche, qu'il s'agisse de l'INRA, de l'IRSTEA ou un autre, ne peut s'attribuer à lui seul une innovation que l'on retrouve dans les fermes ou dans la société. En général, c'est tout un tissu d'acteurs qui y a contribué. Les études de cas que nous avons faites sur des projets qui avaient obtenu de grands succès, certains ayant dégagé quelques milliards d'euros de valeur ajoutée, ont montré que l'INRA n'est jamais seul, qu'il est toujours accompagné par les instituts techniques, qui s'occupent des transferts, les coopératives, les entreprises, et le monde agricole au sens large.
Troisièmement, on peut accélérer cette constante de temps très longue chaque fois que l'on crée, en amont, les conditions partenariales favorables, chaque fois que l'on met en place très tôt des partenariats avec les bons acteurs. Ce fut le cas avec la génétique animale bovine et à certains égards dans le monde des semences végétales ; c'est ce que nous essayons de faire sur le biocontrôle, soit animal, soit végétal. À chaque fois que l'on procède ainsi, on se met en situation d'accélérer le transfert et l'entrée en application pratique.
Enfin, nous avons constaté, avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, que les impacts environnementaux et économiques sont d'autant plus grands que la recherche en amont a été la plus en rupture.
Monsieur André Chassaigne, l'une des questions majeures actuellement dans la viticulture porte sur l'usage de fongicides, notamment sur toute une série de maladies comme le mildiou et l'oïdium. Il y a une quarantaine d'années, un de nos collègues, Alain Bouquet, malheureusement décédé, a lancé un programme d'amélioration classique pour explorer la biodiversité dans des vignes sauvages d'origine centre-américaine, dans une large mesure mexicaine. Il a ainsi identifié des vignes, en l'occurrence la muscadine, naturellement résistantes au mildiou et à l'oïdium. Il a réussi à introgresser ces gènes par des méthodes de croisement classiques. On obtient aujourd'hui des variétés capables de produire du raisin présentant une bonne qualité gustative et parallèlement résistantes au mildiou et à l'oïdium : on peut donc produire du vin de qualité et réduire l'usage des fongicides.
La question est de savoir quelle est la durabilité des résistances conférées. Si cette durabilité est grande parce que la diversité des gènes qui ont été introduits est telle que les champignons auront de la peine à contourner la résistance, alors nous avons intérêt à déployer ces variétés. Mais si nous les diffusons et que le mildiou et l'oïdium parviennent à contourner la résistance, nous aurons perdu définitivement une capacité de résistance. C'est la raison pour laquelle nous continuons les expérimentations sur ces variétés développées par M. Alain Bouquet et nous développons d'autres variétés qui portent plusieurs gènes de résistance.
Nous sommes interpellés par le comportement d'un certain nombre d'autres obtenteurs d'origine étrangère, par exemple italiens, qui sont en train de déployer des matériels dont on ne sait pas très bien quelles seront les sources de résistance. La question que vous posez est donc tout à fait pertinente. Nous en avons discuté, la semaine dernière encore, avec le président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine (CNIV) pour essayer de voir quelle trajectoire permettrait une expérimentation responsable, où le risque de contournement serait maîtrisé. On le fait avec des technologies classiques – c'est de la génétique classique – que l'on peut accélérer très sensiblement par de la génomique. Sur ce sujet, il faut trouver un compromis pour aboutir à une innovation durable, afin d'éviter tout risque de contournement.
Un de nos projets porte sur le soutien à l'initiative « 4 pour 1 000 », c'est-à-dire le stockage du carbone dans les sols, pour améliorer leur fertilité, la sécurité alimentaire, lutter contre le changement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, et s'adapter au changement climatique car, dans la majorité des cas, les sols enrichis en matière organique ont une bonne capacité de rétention en eau, ce qui permet de lutter contre l'érosion, etc. Là aussi, il faudra travailler avec le monde agricole pour qualifier les bonnes pratiques, les répertorier, les extrapoler. Sur ce point, les ministres nous ont assurés de leur soutien, tant en ce qui concerne la recherche que l'élaboration d'un grand programme international.