Intervention de Jean Gaubert

Réunion du 16 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires économiques

Jean Gaubert :

Je suis heureux de me retrouver parmi vous, accompagné de Mme Frédérique Coffre, directrice générale des services de la médiation, qui remplace M. Stéphane Mialot depuis le mois de septembre dernier. Ce dernier poursuit une très brillante carrière au sein du service public.

Le Médiateur national de l'énergie a été créé en 2006, à l'époque de la libéralisation des secteurs du gaz et de l'électricité. Le premier Médiateur cumulait sa fonction avec celle de député, ce qui posait des problèmes en termes d'organisation et de déontologie. Pour ma part, j'ai succédé en novembre 2013 à M. Denis Merville, ancien député, nommé en 2008. Je rappelle que le législateur a voulu que le mandat du Médiateur ne soit ni renouvelable, ni révocable, ce qui est une bonne chose.

Notre budget s'élève à 5,7 millions d'euros pour 2016 avec quarante et un emplois équivalents temps plein occupés par des agents de droit public. Depuis 2012, ce budget a diminué de plus de 750 000 euros, et le nombre d'emplois a été réduit – on en compte cinq en moins. Il n'y avait évidemment pas de gabegie avant 2012, mais, nos missions s'affinant, nous avons pu accompagner la rigueur budgétaire en cours.

Au-delà de la médiation, le législateur nous a chargés de l'information du consommateur, ce qui nous différencie de la plupart des instances de médiation. Il était en effet intéressant qu'une structure publique accompagne les changements. Si certains opérateurs privés prétendent faire de l'information, celle-ci est la plupart du temps financée, directement ou indirectement, par la publicité. Nous savons les questions que cela peut poser.

Pour informer le public nous disposons d'un site internet, Énergie-info, créé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Cette dernière le finançait à égalité avec le Médiateur jusqu'en 2013. Depuis, nous assurons seuls son financement, même s'il contient certaines informations qui proviennent de la CRE. Sa consultation progresse de 15 à 20 % par an, et le nombre de visiteurs a dépassé 1,6 million en 2015. Ces derniers s'informent sur la réglementation ou la législation, et ils utilisent notre produit phare : le comparateur d'offres. Nous avons également signé un contrat avec un centre d'appels qui reçoit environ 250 000 appels par an. Leur nombre est en baisse car le public a de plus en plus recours à internet.

Le Médiateur est évidemment en charge des litiges. En 2015, nous aurons reçu un peu plus de 12 000 réclamations, soit légèrement moins qu'en 2014. Un pic a été observé en 2013, principalement dû à un printemps 2013 froid et humide qui avait fait flamber les factures. Le traitement de ces cas s'est étalé jusqu'à la fin de l'année 2014. Il n'y avait pas nécessairement davantage de véritables litiges mais, à coup sûr, plus de consommateurs dans l'incapacité de régler leurs factures, qui se tournaient vers le Médiateur de l'énergie afin de trouver une solution – même si nous ne sommes pas en mesure de donner satisfaction à ceux qui espèrent un rabais.

Je rappelle que les litiges dont nous avons connaissance sont résiduels : les services consommateurs des opérateurs doivent traiter les réclamations avant qu'elles ne nous parviennent, et nous ne sommes saisis que des problèmes qui n'ont pu être précédemment résolus. Nous découvrons tous les ans des cas étonnants. C'est parfois gratiné ! Les entorses flagrantes à la réglementation peuvent même venir du service public, ce qui me semble encore plus choquant.

Sur les 12 000 réclamations reçues, environ 3 500 étaient recevables. Nous ne pouvons examiner ni les litiges qui concernent les entreprises de plus de dix salariés faisant plus de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires, ni ceux qui n'ont pas encore été soumis au service consommateur de l'opérateur concerné. Nous ne pouvons pas davantage examiner les réclamations relatives au contrat et à sa compréhension : nous renvoyons alors le consommateur vers la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Nous avons finalement rédigé un peu moins de 3 000 recommandations qui précisent les responsabilités des acteurs et font des propositions afin de résoudre les conflits. Les unes confirment l'accord amiable qui a pu être trouvé sous notre responsabilité entre le consommateur et son opérateur ; les autres, à défaut d'accord, émettent un avis qui est très suivi par les opérateurs – il l'est intégralement ou partiellement dans plus de 84 % des cas. Ces résultats ne sont pas si mauvais : les opérateurs savent que si nous sommes dépourvus de moyens de coercition directs, nous avons la possibilité de leur faire un peu de « publicité ».

Nous pouvons aussi présenter des recommandations génériques lorsque nous constatons que certains faits sont récurrents. Nous dénonçons les mauvaises pratiques pour lesquelles les opérateurs se font parfois tirer un peu l'oreille. Il a fallu que la commission des clauses abusives (CCA) en dénombre publiquement trente et une, l'année dernière, dans les contrats des fournisseurs d'énergie, pour que ces derniers renoncent à des pratiques que mes prédécesseurs et moi-même montrions du doigt depuis déjà longtemps.

Les anomalies que nous constatons jouent plutôt au détriment du consommateur ; elles sont rarement en défaveur de l'opérateur. Ces derniers ne sont pas complètement idiots.

Le taux de satisfaction des consommateurs qui nous saisissent est de l'ordre de 80 %, ce qui signifie que même ceux qui n'ont pas eu satisfaction considèrent qu'ils ont été bien traités. Notre dernière étude à ce sujet montre que la relation avec nos collaborateurs est appréciée – le même jugement ne s'applique pas à de nombreux services consommateurs des entreprises du secteur.

Madame la présidente, à deux reprises, le législateur a choisi d'étendre le champ de compétence du Médiateur. Par la loi, dite « Brottes », du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique plus sobre, il a permis aux petites entreprises de faire appel à nous. C'est une bonne chose, car elles sont aussi dépourvues que les consommateurs particuliers en la matière. Il nous a également chargés de traiter des litiges nés des problèmes de qualité de service. Par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, il a ensuite élargi notre compétence à l'ensemble des énergies. À ce jour, nous n'avons pas encore enregistré beaucoup de réclamations à ce titre, mais nous pensons que c'est surtout parce que les personnes concernées ne savent pas encore qu'elles peuvent s'adresser à nous.

Il faut aussi parler de la directive sur la médiation transposée par l'ordonnance du 20 août 2015 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation. Elle s'applique aux opérateurs, qui ont l'obligation d'informer systématiquement les consommateurs de notre existence. Il faudra peut-être que je revienne vers vous à ce sujet car aucune sanction n'ayant été prévue en cas de non-application de cette règle, certains en profitent pour temporiser. Dans notre pays, on n'est pas vertueux par principe mais par obligation. Des opérateurs privés et publics nous ont toutefois fait parvenir les textes parfaitement clairs qu'ils avaient insérés dans les documents fournis aux consommateurs. D'autres, y compris des grands, restent encore dans l'expectative, pour ne pas employer d'autres termes.

Le législateur a posé un premier acte de la réforme de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), qui me paraît aller dans le bon sens. Il faut séparer un peu les choses : une véritable CSPE doit couvrir uniquement le financement des énergies renouvelables, y compris en utilisant un compte d'affectation spéciale. Cela permettra de savoir avec précision ce que l'on finance, mais aussi comment et quand on le finance. Depuis les débuts de la CSPE, on a eu tendance à y mettre beaucoup de choses, et à oublier parfois les financements. Cela explique les milliards d'euros de retard depuis 2005-2006. Ils avaient commencé à être comblés, en 2012, sous l'autorité de la ministre de l'époque, Mme Delphine Batho, que je salue. Ils font désormais l'objet de nouvelles propositions d'apurement. Le Médiateur est financé sur le budget de l'écologie, ce qui semble assez logique puisque nous travaillons essentiellement sur les questions énergétiques. Il restera cependant des questions à régler notamment concernant la concurrence entre le financement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et celui des énergies renouvelables, ou l'opportunité de financer toutes les énergies renouvelables.

En la matière, tout est-il possible partout ? Demandez-vous pourquoi l'éolien offshore allemand et danois coûte 110 euros du mégawattheure alors qu'il coûte 250 euros en Bretagne ! Ce n'est pas parce que les opérateurs se rémunèrent au passage, en tout cas pas seulement, mais parce que la nature des lieux est extrêmement différente. La géologie et la géographie ont des incidences qui méritent que l'on s'interroge sur le rapport qualité-prix. Il ne faut pas oublier qu'au bout de la chaîne, il y a toujours quelqu'un qui paie : c'est souvent le consommateur, et c'est parfois l'entreprise grosse consommatrice – votre commission a longuement évoqué les électro-intensifs.

S'agissant de la précarité, nous avons pu noter avec satisfaction que le nombre d'interventions pour impayés était en recul. C'est seulement la deuxième année où, grâce à vous, nous disposons des véritables chiffres sur ce sujet puisque les opérateurs ont désormais l'obligation de nous les communiquer. L'année dernière Mme Frédérique Coffre avait dû batailler pour les obtenir ; cette année les choses ont été beaucoup plus faciles. Cela montre que l'on peut prendre de bonnes habitudes ! Cette baisse concerne davantage le gaz que l'électricité, mais elle va dans le bon sens. Signifie-t-elle que la situation financière de nos concitoyens s'est beaucoup améliorée ? Je ne porterai pas de jugement. Il est certain, en revanche, que les deux derniers hivers peu rigoureux ont donné lieu à des factures moins élevées que lors des hivers précédents plus froids. Cette évolution constitue aussi la preuve que la mise en place d'une trêve hivernale des coupures d'énergie n'a pas conduit à la multiplication des impayés. Ceux qui criaient au loup en annonçant : « Ils en profiteront pour ne pas payer ! » fabulaient. Pour une immense majorité d'entre eux, lorsque nos concitoyens peuvent payer, ils règlent leurs factures. Nous pouvons être rassurés sur leur honnêteté.

Les tenants des tarifs sociaux débattent avec ceux du chèque énergie. Ce dernier, dont vous avez souhaité la mise en oeuvre dans la loi relative à la transition énergétique, va être expérimenté dans trois départements : l'Ardèche, l'Aveyron et les Côtes-d'Armor – des discussions sont en cours pour une expérimentation dans le Pas-de-Calais. Je vois des sourires entendus mais je ne suis vraiment pour rien dans le choix des Côtes-d'Armor. (Sourires.) Ce dispositif constitue une avancée car il couvrira l'ensemble des consommations d'énergie, de chauffage et d'éclairage de nos concitoyens. Certains considèrent que l'on subventionne le fioul – j'ai récemment vu circuler une note indignée en ce sens. Il ne s'agit pas de cela, mais d'aider des familles en difficulté. Nous constatons que nombre d'entre elles se chauffent au fioul et qu'elles sont parfois locataires – elles n'ont alors que peu de moyens pour modifier leur mode de chauffage. Quant aux propriétaires, leurs profils inquiètent les marchands de fioul : ce sont globalement des personnes plus âgées que la moyenne, souvent seules – la plupart du temps, des veuves qui occupent le grand logement conjugal. Parlons-nous de privilégiés ? Il ne faut pas se tromper d'acteurs et de responsables : le chèque énergie n'est pas un encouragement à la consommation de fioul mais une aide à des familles qui n'ont pas le choix.

Ce qui est moins positif, c'est le niveau des crédits prévus pour son financement. Ils sont à mon sens insuffisants, même si je veux bien croire qu'il ne s'agit que d'un début. Il y avait dans le dispositif précédent une grande différence entre les consommateurs de gaz et d'électricité. Elle s'estompera, mais au détriment des premiers. Le consommateur chauffé à l'électricité qui percevait 95 euros en percevra 150, mais celui qui était chauffé au gaz verra la somme en question passer de 250, voire 300 euros, à 150. Ceux qui obtiennent plus ne viennent jamais dire merci, et ceux qui ont moins ont de bonnes raisons de se plaindre.

Le Médiateur n'est pas compétent pour répondre à la question de savoir s'il faut ou non installer le compteur Linky. Je rappelle seulement que le courant porteur en ligne existe depuis cinquante ans et qu'il est installé depuis quarante ans. Les choses ne vont pas changer sur ce point. Qu'est-ce que Linky peut apporter au consommateur ? La liste de ce que cela peut rapporter à l'opérateur a déjà été faite. Nous sommes bien placés pour constater qu'avoir l'assurance de disposer de factures exactes aussi souvent que nécessaire, constitue un grand avantage pour le consommateur qui a un petit budget. Aujourd'hui, ce dernier reçoit des factures qui peuvent être, soit sous-estimées, et il s'expose alors à une régularisation ultérieure très douloureuse, soit surestimées, ce qui le transforme en banquier de l'opérateur.

Un autre avantage plus ténu réside dans la possibilité d'utiliser l'outil pour devenir un meilleur consommateur d'énergie. La connaissance de mes données en temps réel ou légèrement différé permet de s'interroger sur la façon dont je consomme et sur la pertinence des consommations. En Grande-Bretagne, un an après son installation, ce système a permis aux consommateurs d'économiser en moyenne 6 à 7 % de leur budget énergie. Si l'on vise une diminution des consommations et une meilleure gestion de nos énergies, on ne peut pas dire que cela n'est pas intéressant pour les consommateurs. Cela dépendra ensuite de ce qu'ils en feront. Ceux qui ne croient pas aujourd'hui que le consommateur peut se prendre au jeu, n'ont pas vu comment les comportements de beaucoup d'entre nous ont changé depuis que sur le tableau de bord de leur voiture se trouve un indicateur de consommation instantanée – à titre personnel, j'ai modifié ma façon de conduire, j'ai économisé un peu de gasoil, mais surtout des plaquettes et des pneus. L'outil sera efficace si l'on aide le consommateur à l'utiliser et qu'il sait s'en servir.

À propos des données, la situation ressemble à celle de la distribution des tarifs sociaux : les opérateurs se lancent dans une bataille à corps perdu pour en garder la maîtrise. Je vous donnerai mon avis sur les raisons pour lesquelles ils dénigrent autant le chèque énergie. Certains grands opérateurs disposent d'un tel historique sur les consommateurs qu'ils n'ont pas besoin d'enregistrer les données. Ceux qui me connaissent savent que je n'ai pas voté les lois de libéralisation mais, en tant que Médiateur, je me dois de faire appliquer pleinement la loi de la République. Le choix doit donc être donné aux consommateurs. Si l'on n'enregistre pas les courbes de consommation, il sera plus difficile de faire des propositions adaptées à chacun. Une question se pose cependant : comment sécuriser ces données ? J'ai toujours pensé qu'ERDF devait en être le gardien parce qu'il est un service public. J'ajoute que si l'on devait prévoir que la demande vienne du consommateur lui-même, l'exploitation des données demanderait un délai d'un an. Les consommations d'électricité étant variables dans le cours de l'année, un enregistrement long sera nécessaire pour obtenir des données utiles.

Je vous indique, pour conclure, que nous avons procédé à une réorganisation de nos services à l'occasion de la nomination de Mme Frédérique Coffre. En passant de cinq à trois services, nous avons pu gagner en efficacité et faire un certain nombre d'économies sans que les agents en subissent les conséquences en termes de rémunération ou de conditions de travail.

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