Intervention de Jean Gaubert

Réunion du 16 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires économiques

Jean Gaubert :

Il est vrai que le grand opérateur national doit résoudre une équation terriblement difficile : il doit consentir des investissements considérables alors que depuis quelques mois le marché de l'électricité se retourne. Si vous augmentez les tarifs pour qu'EDF s'en sorte, le prix de l'électricité sur le marché étant inférieur, les clients d'EDF finiront par aller voir ailleurs, et vous perdrez en volume ce que vous aurez gagné sur les tarifs. Cela conduira à s'interroger sur la pertinence des investissements. À ce sujet, même si je sors de mon rôle, j'avoue être étonné par les faux débats qui traversent notre pays : la presse se demande par exemple ces jours-ci s'il faut aller investir en Grande-Bretagne. À condition qu'un jour nous sachions fabriquer un EPR, l'opération britannique ne présente aucun risque. En revanche, les 55 milliards d'euros du carénage vont être beaucoup plus difficiles à avaler ! Il faudra faire des choix parce que nous risquons de nous retrouver avec une augmentation vertigineuse des coûts, et une électricité pas trop chère sur la plaque européenne – au moins pour les opérateurs. Pour revenir à ma réponse à Mme Jacqueline Maquet, on nous a vendu la concurrence au début des années 2000 en promettant que cela ferait baisser les prix : il est clair que ce n'était pas vrai.

L'amendement que portait M. André Chassaigne et d'autres sur le service universel de dernier recours n'a pas été adopté. Aujourd'hui, l'opérateur historique joue encore un peu le rôle d'opérateur de dernier recours puisqu'une fois qu'on est passé chez tous les autres, on peut revenir chez lui – mais il peut aussi refuser dans certains cas. Cela dit, nous sommes confrontés à un véritable paradoxe. Nous participons souvent, à un titre ou un autre, à des opérations qui permettent d'apporter l'électricité dans des villages reculés d'Afrique ou d'Asie – c'est mon cas dans la structure locale que je préside –, et nous nous félicitons de donner aux enfants les moyens de faire leurs devoirs le soir. Dans le même temps, nous accepterions sans nous étonner que, dans notre pays, dit riche, on coupe l'électricité à des familles ? Il faudra tout de même que nous agissions sur ce sujet. L'accès à un minimum d'électricité doit constituer un droit, comme c'est le cas pour l'eau.

Le recul des interventions pour impayés n'est pas dû à l'augmentation de la solvabilité réelle de nos concitoyens. Il ne faut jamais « surinterpréter » les chiffres. La solvabilité des consommateurs par rapport au poste énergie augmente parce que le coût de ce poste diminue pour des raisons conjoncturelles – la consommation est en baisse pour cause de climat favorable. Cette tendance montre en tout cas que nos concitoyens ne sont pas des « mauvais payeurs professionnels ». S'ils ne paient pas, c'est qu'ils n'en ont pas les moyens.

Vous recommandez d'aller plus loin s'agissant du chèque énergie. La CRE a travaillé sur les coûts de gestion des tarifs sociaux : selon elles, ils sont trop élevés. Cela n'a rien d'étonnant quand on sait que la CSPE paie. On peut crier « au diable l'avarice ! » lorsque l'on dépense l'argent des autres. Les grands opérateurs distribuent des documents pour montrer combien ils sont bons pour les pauvres, mais c'est avec l'argent de tous les consommateurs. Ces derniers paient aussi les plaquettes en question sans oublier la participation au Fonds de solidarité logement (FSL) d'EDF. Sa participation s'élève à 23 millions d'euros au niveau des départements, qui sont récupérés sur la CSPE, ce qui lui permet d'être grand seigneur avec l'argent des consommateurs sans que cela soit dit.

L'enjeu de la fidélisation du consommateur explique par ailleurs que les opérateurs se battent furieusement contre le chèque énergie. L'argument selon lequel il ne sera pas utilisé nous semble franchement mauvais. Connaissez-vous des familles qui n'utilisent pas l'allocation de rentrée scolaire ? Certaines s'en servent peut-être pour acheter des téléviseurs, mais elles sont, en fait, très peu nombreuses – 1 à 5 %. Comme me le disait une de mes voisines qui a travaillé à la perception : « Ils s'en servent surtout pour payer les dettes de l'année précédente ! ». Sachant que le chèque énergie est affecté, on ne pourra pas l'utiliser pour un autre usage que ce qui est prévu. Je vous garantis qu'il n'y aura pas grand monde pour laisser un chèque au fond de son tiroir. Il ne faut pas prendre les gens pour des idiots ! Tous ces discours n'ont qu'un objectif : tuer un dispositif qui a l'énorme avantage de couvrir l'ensemble des consommations énergétiques de nos concitoyens. Laissons le chèque énergie vivre ! Je souhaite que l'on ne sabote pas l'expérimentation en cours.

Nous nous battons contre le démarchage à domicile ou les sollicitations à la sortie des hypermarchés. Je peux citer Direct Énergie qui a totalement renoncé à cette dernière démarche et assure en avoir mesuré les inconvénients. Il est vrai que lorsque vous piégez un consommateur, les relations que vous entretenez ensuite avec lui n'ont pas beaucoup de chance d'être très fluides. Nous voyons régulièrement les opérateurs pour essayer de faire avancer les choses sur ce point et sur tout ce qui nous remonte. Le sujet est difficile : quand on paie des commerciaux à la commission, il ne faut pas s'étonner qu'ils oublient un peu la déontologie et que l'on finisse par constater quelques débordements.

Le pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCEE) a fait beaucoup de progrès ; les choses vont donc un peu mieux, même si tout cela est compliqué. Le véritable problème des certificats d'économies d'énergie (CEE), c'est l'effondrement des prix ! Lorsqu'une collectivité a gagé des projets sur des CEE à 40 euros le mégawattheure et qu'ils en valent aujourd'hui moins de 20, il faut bien que quelqu'un paie la différence – ce sera le budget de la commune ou de la communauté de communes. Je l'ai toujours dit : il s'agit d'un pari très risqué sur un marché fluctuant. La nouvelle génération de CEE risque à son tour de s'effondrer comme la précédente dans le troisième tiers de la période.

Je me suis déjà exprimé sur l'éolien offshore. Intrinsèquement, il s'agit d'une bonne idée, mais pas une bonne idée partout. Dans la baie de Saint-Brieuc, vous êtes sur un banc de grès, un grès plus dur que le granit. Allez planter des piquets dans le grès ! Les entreprises qui ont soumissionné ne se sont pas posé la question de la nature des fonds marins. Elles n'y ont pensé qu'après ! Malgré cela, cette technique qui produit très peu de déchets reste intéressante. Mais on ne peut sans doute pas l'utiliser partout, et puis, à titre personnel, je crois qu'il y a encore beaucoup de place sur notre territoire pour l'éolien terrestre. Et je ne suis pas certain qu'une éolienne soit beaucoup moins jolie – l'argument esthétique est souvent avancé – qu'un pylône de 400 kilovolts.

NEON est le réseau des médiateurs publics européens en matière d'énergie. Il n'est pas encore très développé et comprend aujourd'hui les médiateurs tchèque, anglais, irlandais, belges – ils sont deux, pour chacune des langues principales du pays – catalan, et français. Nous essayons de le développer et d'entretenir des relations avec Bruxelles. La médiation se généralise et on trouve même des médiateurs dans les entreprises privées. Nous avons accepté de signer une convention avec eux pour qu'ils soient reconnus. Nous espérons que cela ne se retournera pas contre nous.

Nous n'avons n'a pas eu à connaître de demande en matière d'actions de groupe, mais il m'est arrivé d'expliquer aux opérateurs que, s'ils ne réagissaient pas, ils s'exposeraient à ce type de démarche. J'ai même dû leur dire que je donnerai moi-même des informations aux associations. Je n'ai pas peur sur ce genre de sujet. Il faut bien réagir lorsque nous sommes confrontés à une certaine mauvaise foi.

Monsieur Yves Daniel, j'ai déjà répondu sur la médiation de la transition énergétique. J'y suis favorable mais je ne suis pas législateur.

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