Je tiens à dire d'emblée que j'ai été ravi de faire ce travail avec Jacques Alain Bénisti, dont je n'oublie pas qu'il a été lui-même pilote : nous avions donc un cap, une bonne trajectoire, un plan de vol, et j'espère que nous avons atterri sans dommages.
La réalité, rappelée par Jacques Alain Bénisti, c'est à la fois le développement du transport aérien et la forte concurrence qui existe dans ce secteur. Notre projet, c'est de concilier les deux. Nous avons donc formulé un certain nombre de recommandations, que nous avons classées par famille.
Première famille : remédier aux lacunes dans la production des données, ce qui est essentiel pour instaurer la confiance entre les différents acteurs. Il faut à la fois assurer la pertinence et la fiabilité des données sur les nuisances, qu'il s'agisse des nuisances de bruit, de la pollution de l'air, des nuisances lumineuses ou de la pollution de l'eau. D'où toute une série de recommandations :
– Afin de compléter les PEB (plans d'exposition au bruit) et les PGS (plans de gêne sonore), produire une cartographie de la gêne, pour mieux identifier et définir la totalité de la population survolée aux environs d'un aéroport, en mobilisant les services d'urbanisme des territoires. (1)
– Mettre à la disposition de Bruitparif des données de la DGAC pour reconstituer l'altitude des avions. (2)
– Faciliter la communication des données du laboratoire d'ADP à Bruitparif et aux associations de riverains reconnues par le préfet de région. (3)
– Croiser les données de Bruitparif avec les densités de population, pour obtenir des informations plus précises, permettant de quantifier quotidiennement le nombre d'avions dépassant un niveau de bruit moyen fixe, et de répondre ainsi aux attentes légitimes des riverains. Cet indicateur global tiendrait compte de l'évolution de la population et de l'augmentation du trafic, afin de faire passer celui-ci dans les zones les moins denses et aux horaires les moins gênants. (4)
– Moduler le périmètre ouvrant droit à l'insonorisation selon un indicateur proposé par l'ACNUSA, le « number of events above » ou NA, qui permet de calculer le nombre de mouvements d'avions dépassant un certain niveau de bruit pendant une période donnée et, par conséquent, de savoir précisément combien d'avions par jour dépassent, en moyenne, un niveau de bruit fixé. (5)
– Produire des rapports d'étape des études « Survol » et « Débats », celles-ci devant, par nature, se dérouler sur plusieurs années. (6)
– Revoir les indicateurs pour le calcul du CO2, en prenant en compte les émissions d'altitude : ceux-ci sont en effet actuellement calculés sur la base d'un cycle décollage, atterrissage roulage, dit cycle LTO {Landing and Take Off), qui ne prend en compte que les émissions jusqu'à une altitude de 900 m (7)
– Consolider les missions de Bruitparif dans le domaine des nuisances aéroportuaires, maintenir son financement et clarifier les rôles respectifs de l'État et de la région. (8)
Deuxième famille de propositions : améliorer l'information des riverains, ce qui participe évidemment à l'établissement de la confiance.
– Inclure et clarifier les informations sur les nuisances sonores aéroportuaires dans la promesse de vente ou le bail locatif dans les PEB et PGS. (9)
– Réaliser des enquêtes publiques en bonne et due forme avant chaque modification de trajectoires et survol de nouvelles populations. (10) Cela a été rappelé par Jacques Alain Bénisti dans son exposé. Dans certains cas, des modifications ont été réalisées sans enquête publique. Je crois qu'il est nécessaire, pour rétablir la confiance et apporter une bonne information aux riverains, de procéder autrement et de réaliser systématiquement des enquêtes publiques.
Troisièmement famille de recommandations : revoir l'aide à l'insonorisation et son financement.
– Remodeler les PEB et PGS en leur substituant un document unique, en harmonisant les procédures, en simplifiant les cartes, et en prenant en compte les niveaux maxima de bruit. (11)
– Permettre une vision dynamique du territoire inclus dans les PEB et PGS, mais avec une extension maîtrisée, sous le contrôle du préfet du département. (12) Il ne s'agit pas d'empêcher le développement de ces territoires, qui sont déjà fortement impactés par les nuisances sonores. Mais il faut, en la matière, avoir une approche pragmatique.
– Mettre en place un système de tiers financeur, sous condition de ressources, afin que le coût des travaux d'isolation ne soit pas un obstacle à leur engagement (13) – un peu à l'instar de ce qui a été fait dans le cadre de la loi sur la transition énergétique et sur l'isolation thermique.
– Mettre en oeuvre une approche conjointe entre isolation acoustique et isolation thermique, afin de coupler les travaux. (14) On sait qu'il existe en la matière des dispositifs fiscaux ou des incitations, et il serait opportun de mener de concert ces deux approches d'isolation. Il faut éviter d'avoir à refaire des travaux ultérieurement, et de réaliser des travaux d'isolation thermique qui viennent en contradiction avec les travaux nécessaires à une meilleure couverture acoustique.
– Remettre à plat la TNSA (taxe sur les nuisances sonores aériennes) qui n'est plus efficiente, la remplacer par une nouvelle fiscalité, fondée sur le principe pollueur-payeur, et revoir le système de financement de l'insonorisation des habitations. (15)
– Enfin, prévoir la souscription d'un emprunt par ADP pour réduire les stocks de dossiers déjà instruits ; l'emprunt serait remboursé au fur et à mesure par le produit de la TNSA ou d'une nouvelle taxe. (16) On ne peut pas se satisfaire d'un tel niveau de stocks. Là encore, pour rétablir la confiance, il faut pouvoir traiter dans les meilleurs délais l'ensemble de ce stock de dossiers.
Quatrième famille de recommandations : limiter les vols de nuit à Paris-CDG
Nous souhaitons que soient étudiées et mises en oeuvre de nouvelles configurations de trajectoires permettant de survoler les zones les moins urbanisées. (17) C'est pour nous un sujet important. Il ne s'agit pas d'interdictions des vols de nuit. Ce n'est le propos ni des rapporteurs que nous sommes, ni même d'ailleurs des revendications qui ont été portées, que ce soit pour des associations de riverains ou d'autres acteurs du domaine.
Nous souhaitons également mettre en oeuvre dans les meilleurs délais les propositions du rapport du préfet Guyot : généralisation des descentes douces entre 0 h 30 et 5 heures ; mise en place d'une alternance régulière des travaux de maintenance des pistes, afin de permettre aux riverains de récupérer tous les 15 jours ; veiller à la ponctualité des vols sur les marges de nuit, afin de préserver le coeur de nuit – je crois que c'est un sujet vraiment essentiel et qui a été évoqué à plusieurs reprises avec beaucoup de force par les associations de riverains comme par les élus, dont certains sont présents aujourd'hui ; améliorer l'information des riverains, notamment par internet. (18)
Nous souhaitons : sur la période 00 h 00-05 h 00 qui est une période cruciale, de nouvelles restrictions opérationnelles avec la suppression rapide des vols commerciaux (19) ; et sur la période 22 h 00-06 h 00, la suppression des avions qui émettent au sol des émissions supérieures à 70 dB (A). (20)
Nous recommandons la réalisation du projet Euro Carex, réseau express ferroviaire européen, qui doit permettre le report modal d'une partie du trafic fret avionné – trafic express et postal. (21)
Cinquième famille de recommandations : optimiser les trajectoires.
– Limiter les nuisances résultant du trafic de l'aviation d'affaire de l'aéroport de Paris-Le Bourget : soit l'aviation d'affaires est transférée à Paris-CDG ; soit la DGAC propose de reconfigurer les trajectoires d'approche ou de décollage de cet aéroport en épargnant les zones les plus urbanisées. (22)
– Choisir des configurations permettant le survol des zones les moins peuplées, alors qu'actuellement, les trajectoires survolent les zones les plus densifiées. (23)
– Faire avaliser les trajectoires par le préfet de région. (24)
– Enfin, réaliser de vraies enquêtes publiques avec information des élus et des populations survolées à chaque changement de trajectoires. (25)
Sixième famille de recommandations : alourdir les pénalités en cas de non-respect des trajectoires et des couvre-feux.
– Porter la sanction à des niveaux bien plus élevés que ceux appliqués jusqu'à présent afin qu'elle soit réellement dissuasive. (26) Nous sommes, avec des variantes, dans des niveaux de sanction autour de 20 000 euros, selon le type d'infractions. Cela n'est manifestement pas dissuasif pour certaines compagnies. C'est une recommandation que nous souhaitons voir mettre en oeuvre assez rapidement.
– Redéployer les moyens pour recouvrer les pénalités, de manière plus performante et plus coercitive. (27)
– Examiner la possibilité d'immobiliser l'avion de compagnies multirécidivistes ou de celles qui ne règlent pas les amendes. (28) Cela existe, et là encore, il faut pouvoir taper du poing sur la table.
Septième famille de propositions, qui nous tiennent à coeur : délester les plateformes d'Île-de-France. Nous avons étayé ces propositions sur les auditions réalisées dans le cadre de notre mission. Nous avons cherché à tenir compte des remarques qui ont été formulées auprès de nous, tant au niveau par la DGAC que par ADP, ou même par les autorités douanières. Ces propositions nous semblent à la fois ambitieuses et réalistes. Il s'agit, afin de mieux répartir le trafic, de répondre à la démocratisation du transport aérien et au développement des compagnies low cost, en étudiant le report d'une partie de ce trafic selon deux scénarios.
Premier scénario : un report sur l'aéroport existant de Vatry, dont les potentialités ne sont pas toutes exploitées, en utilisant les infrastructures de la SNCF. Je vise l'ancienne ligne Paris-Strasbourg, sur laquelle circulerait une navette très rapide. Ce site peut parfaitement accueillir de nombreux vols, et dispose d'une grande marge.
Deuxième scénario : un report sur Pithiviers (Césarville), soit en construisant une piste réservée aux vols Schengen, pour tenir compte d'un certain nombre de conditions particulières en matière de contrôles douaniers, avec une voie LGV dédiée la reliant à Orly ; soit en construisant un nouvel aéroport près de la future gare TGV. (29)
Ces propositions relèvent du bon sens et tiennent compte d'un certain nombre de remarques que l'on nous a faites.
Nous souhaitons – huitième famille de propositions – renforcer le rôle de la Gendarmerie des transports aériens (GTA), en lui attribuant les compétences actuellement dévolues aux agents instructeurs de la DGAC. (30)
Nous proposons – neuvième famille – de revoir les CCE (comité central d'entreprise) pour organiser une vraie gouvernance entre l'État, Aéroports de Paris et les collectivités concernées – nous connaissons le travail de notre collègue Jean-Pierre Blazy en la matière.
Nous proposons donc de revoir le mode de fonctionnement, le pouvoir et la composition des CCE, en privilégiant la participation des maires des communes impactées par les nuisances (31) ; et faire agréer les associations par le préfet de région, comme pour les associations de l'environnement, ce qui leur conférerait une vraie reconnaissance, selon des critères objectifs à définir. (32)
Dixième famille de proposition : nous souhaitons mettre en oeuvre le plus rapidement possible les communautés aéroportuaires créées par la loi du 23 février 2004, leurs missions portant à la fois sur les aspects économiques et environnementaux des aéroports (33). Ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui.
Onzième famille : favoriser les plans de déplacement des entreprises. Bien évidemment, la place aéroportuaire parisienne est essentielle, non seulement en termes de transports aériens, le hub de Paris est essentiel dans le paysage aéroportuaire européen et même mondial. Il génère un certain nombre d'emplois, comme notre rapport l'indique.
Nous proposons d'étudier un tarif spécifique aux salariés d'ADP et des compagnies concernées pour le CDG Express et la future liaison avec Orly, afin de limiter leurs déplacements en voiture particulière qui contribuent à la pollution atmosphérique et à la congestion autour des aéroports. (34) Je sais que ce sont des propositions portées par un certain nombre de collègues ici présents.
Douzième famille : promouvoir la solidarité territoriale.
Nous recommandons de mettre en place une péréquation afin de compenser équitablement les nuisances aéroportuaires entre communes, et de permettre aux pouvoirs publics de répondre aux enjeux sociaux, environnementaux et urbains des territoires concernés – étudier une redistribution de la redevance sur les oxydes d'azote (NOx) et un fléchage de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) vers l'aide à certaines communes. Le fonds de compensation des nuisances aériennes devrait être généralisé pour aider les communes les plus touchées par les nuisances. (35) Il s'agit de bien prendre en compte l'ensemble des solidarités territoriales, et pas seulement celles qui sont très proches des plateformes aéroportuaires.
Treizième famille : encourager la recherche, et donc accentuer l'aide à la recherche pour le secteur aéronautique, à l'image des investissements d'avenir dédiés à la protection de l'environnement. (36) Nous avons rencontré nombre d'acteurs qui sont très impliqués dans le domaine de la recherche. Les aéronefs sont sources de bruit, mais des progrès conséquents ont été réalisés depuis plusieurs années pour limiter cette nuisance. Plus généralement, certains concepteurs comme Airbus et l'ensemble des acteurs français sont capables de véritables ruptures technologiques. Il en est de même au niveau européen.
Notre dernière famille de propositions concerne la réduction des nuisances des hélicoptères. Là encore, nous avons rencontré à la fois des associations de riverains, des constructeurs comme Airbus et différents acteurs. Il s'agirait de :
– Réviser le décret du 20 octobre 2010 afin de prendre en compte réellement la densité de population avec des critères adaptés, en s'appuyant sur la définition d'Eurostat pour les zones à forte densité de population (ZFDP) (37).
– Limiter les vols dans les zones à forte densité de population, et pas seulement au départ et à l'arrivée des aérodromes situés dans ces zones. (38)
– Renforcer les contrôles sur les zones de nuisances, et pas seulement à proximité directe des plateformes. (39)
– Réviser l'arrêté du 6 mai 1995 sur les hélisurfaces, qui devraient être limitées à quinze dans les zones à forte densité de population. (40)
– Transférer progressivement les dispositions des chartes dans des arrêtés (41).
– Faire respecter les trajectoires et altitudes en région parisienne et remettre à plat des procédures d'atterrissage et de décollage, et mettre en place un système d'amendes réellement dissuasives (42).
– Réfléchir à la délocalisation de l'héliport d'Issy-les-Moulineaux (43).
– Relever les altitudes de vol minimales, notamment en région parisienne, accompagnées de mesures plus coercitives sur la recherche systématique des plafonds (44).
– Confier au représentant de l'État dans chaque région la possibilité de fixer des limitations au trafic des hélicoptères, en nombre de mouvements, de plages horaires, de niveau sonore ou de type d'appareils (45).
– Enfin, favoriser l'implantation en mer des hélistations se trouvant en territoire côtier (46).
Je tiens à faire remarquer que, même si, à travers ces recommandations, nous avons donné le sentiment de beaucoup parler de la région Île-de-France, nous avons rencontré d'autres acteurs des aéroports, sur Beauvais, sur Lyon ou sur d'autres places aéroportuaires, ainsi que l'ensemble des acteurs et des associations de riverains concernés sur l'ensemble du territoire. En grande partie, ces propositions ne valent pas seulement pour l'Île-de-France, mais pour l'ensemble de notre pays.
Telles sont les recommandations que nous faisons, en formulant bien évidemment le voeu qu'elles soient suivies d'effet.