Intervention de Gaël Giraud

Réunion du 15 mars 2016 à 18h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Gaël Giraud, directeur de la chaire « énergie et prospérité » de l'école Polytechnique, X, de l'école normale supérieure, ENS et de l'école nationale de la statistique et de l'administration économique, ENSAE :

Pour répondre aux questions que vous nous avez adressées, je voudrais déjà préciser que la dette publique française a pris des proportions importantes à partir des années 1970, date à laquelle notre pays s'est inscrit dans un mouvement plus large qui a touché presque tous les pays anciennement développés et industrialisés. Ces pays, dont les États-Unis, avaient ainsi très peu de dette publique jusqu'à la fin des trente glorieuses, puis ont vu leur endettement fortement progresser au tournant des années 1970 et 1980. Cette évolution, indépendante de la nature des politiques publiques mises en oeuvre, n'a pas uniquement concerné les dettes publiques, car l'endettement privé a également augmenté significativement au cours de la même période.

Que s'est-il passé dans les années 1970 pour que les secteurs public et privé se soient endettés ? La difficulté de l'approvisionnement en énergie constitue le seul facteur exogène qui apparaît à cette époque. En 1970, les États-Unis ont atteint le point culminant de leurs réserves pétrolières (le peak oil). À partir de cette date, la productivité des puits de pétrole découverts dans les années 1930, qui avaient assuré la prospérité américaine au cours des trente glorieuses, s'est mise à décliner à cause de problèmes géologiques bien connus. La productivité des puits exploités selon les techniques conventionnelles d'extraction a décliné d'année en année à partir de 2000 pour la Mer du Nord, et en 2005 pour l'ensemble de la planète. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a reconnu ce fait en 2010 même si des débats subsistent sur la réalité du peak oil si l'on prend en compte les techniques non conventionnelles d'extraction de pétrole.

À partir du deuxième choc pétrolier du début des années 1980, le monde industrialisé n'arrive plus – et n'arrivera plus – à retrouver son niveau de croissance de consommation d'énergie des trente glorieuses. Les investissements réalisés ne parvenant plus à produire suffisamment de richesses – puisque les deux tiers de la croissance du produit intérieur brut (PIB) s'expliquent par la croissance de la consommation d'énergie –, l'endettement, pour la puissance publique comme pour le secteur privé, devient nécessaire pour pallier la faiblesse du rendement des investissements.

Le Japon possède un taux d'endettement bien supérieur au nôtre – 250 % du PIB – la dette des États-Unis représentant 125 % de leur PIB. La France se situe dans la moyenne des pays de la zone euro. Cette situation résulte plus probablement de problèmes planétaires profonds que de décisions de politique publique de tel ou tel gouvernement.

La réponse politique essentielle à la question des endettements public et privé réside dans la transition énergétique, qui devra nous permettre de nous libérer du carcan des énergies fossiles, dont nous n'arrivons plus à accroître la production pour des raisons géologiques. La question de la transition énergétique semble a priori éloignée du traitement de la dette publique, mais elle en constitue en fait la condition. Le paradoxe tient au fait que pour mener la transition vers une économie décarbonée, il faut commencer par s'endetter davantage. Pourtant, telle est la direction dans laquelle nous devons avancer si nous voulons réduire le niveau d'endettement de la puissance publique et celui de la sphère privée, ce dernier s'avérant bien plus dangereux que le premier. Le problème principal de la zone euro réside dans la dette privée et non dans celle du secteur public.

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