Nous nous trouvons dans une situation très particulière due à la conjonction de dettes publiques élevées dans les pays développés avec une faiblesse des taux d'intérêt et d'inflation. Les dettes et les déficits publics contribuent à stabiliser la situation macroéconomique et ne constituent donc pas des facteurs de déséquilibre.
Comme l'a dit M. Gaël Giraud, la France ne présente aucune spécificité en la matière, et il ne sert à rien de chercher une propension française à la dépense publique ou au déficit. Les pays développés sont simplement victimes d'un déséquilibre macroéconomique important, dû au triomphe à la Pyrrhus du capitalisme financier. En effet, le capital l'a emporté sur le travail ; les marchés financiers réclament des taux de rentabilité élevés que les entreprises ne peuvent atteindre par des investissements physiques. La finance se développe dans des proportions prodigieuses et, dans le même temps, le marché des biens se trouve déséquilibré et la demande s'avère insuffisante. En outre, les inégalités de revenus croissent fortement – davantage dans les pays anglo-saxons qu'en France –, si bien que les plus pauvres ne peuvent pas consommer. Les fonds de pension, puissants dans certains pays, agissent également au détriment de la demande. Enfin, des pays connaissent des excédents en pétrole quand d'autres, comme l'Allemagne et les Pays-Bas, accumulent des réserves pour financer leurs retraites futures. Au total, la demande doit être soutenue : des bulles financières et immobilières, c'est-à-dire de l'endettement privé, ont joué ce rôle, mais elles ont fini par éclater. Il ne reste donc plus que l'endettement public pour soutenir l'activité.
Le Japon et les pays anglo-saxons acceptent l'endettement public, mais ce n'est pas le cas de la zone euro ; les contraintes issues du traité de Maastricht obligent à y mener des politiques d'austérité. La zone euro souffre d'un double déséquilibre : à celui, structurel, induit par le capitalisme financier, s'ajoute en effet l'écart entre les pays du Nord qui accumulent des excédents et les pays du Sud qui ont dû conduire des politiques d'ajustement de leurs finances publiques. Le résultat est une zone en dépression dans laquelle la France se trouve, entre les deux groupes de pays : en effet, la France n'a pas accumulé d'excédents extérieurs comme l'Allemagne et n'a pas réalisé d'efforts importants de compétitivité, mais a résisté, en partie, aux politiques d'austérité du fait de sa taille. Dans la zone euro, la France est le seul pays à souffrir d'un déficit extérieur et d'un déficit public important. Réduire ce déficit obligerait à mener des politiques d'austérité qui maintiennent la zone euro dans la crise.
La situation est difficile, car il faudrait convaincre certains pays de la zone euro d'accroître leur déficit pour soulager les autres, ce qu'ils se refusent à faire, alors que sans croissance, les déficits ne se résorberont pas.
Les profits des entreprises devraient servir à investir dans la transition écologique, et les ménages disposés à consommer davantage devraient bénéficier de politiques salariales et sociales plus avantageuses. Or aucun pays n'est prêt seul à prendre de telles décisions par peur de perdre en compétitivité. Les politiques de compétitivité nuisent à l'équilibre global de l'économie mondiale. Le défi essentiel consiste à repenser l'équilibre macroéconomique de la zone euro et non à résorber la dette publique.