Avant 1980, nous réussissions à spolier les rentiers car les taux d'inflation étaient supérieurs aux taux d'intérêt ; les dividendes étaient relativement faibles et les taux d'intérêt étaient inférieurs à ceux de la croissance. La révolution néolibérale a mis un terme à cette situation, et les taux d'intérêt ont atteint des niveaux très élevés entre 1980 et 2000, période au cours de laquelle les taux de croissance étaient bien plus faibles. La dette publique a augmenté et les rentiers gagnaient beaucoup d'argent grâce aux forts taux d'intérêt ; un effet de boule de neige s'est développé puisque cette situation a déprécié encore davantage la croissance, qui alimentait encore plus l'endettement.
Aujourd'hui, les taux d'intérêt sont très bas, la France s'endettant à des taux négatifs jusqu'à cinq ans. Le taux d'intérêt apparent sur la dette est très bas, à 2,2 %. La rentabilité des investissements se trouve dépréciée et la dette continue à alimenter l'effet de boule de neige, car la croissance du PIB reste inférieure à 2,2 %. La croissance nominale dépassera peut-être le taux d'intérêt de la dette l'année prochaine, et les détenteurs de dette publique y perdront. Cela constituera une bonne nouvelle : par exemple, la retraite par capitalisation ne pourra pas concurrencer la retraite par répartition.
Les marchés anticipent un maintien des taux courts autour de 2 % à horizon de 20 ou 30 ans, car ils ne perçoivent aucun risque d'inflation ni de retour d'une croissance forte. À leurs yeux, la dette de la France ne présente aucun danger. Le problème ne réside donc pas dans une pénurie d'acheteurs de titres de la dette française à taux bas, mais dans le manque d'investissements physiques productifs. Il convient donc d'agir dans le domaine industriel et non financier.
Je ne crois pas au QE for people car c'est à la politique budgétaire de transférer de l'argent au peuple et non à la politique monétaire. La BCE ne peut pas distribuer l'argent qu'elle n'a pas, car elle ne peut pas présenter de bilan déséquilibré sans que la charge de ce déficit ne soit imputée aux États de la zone euro. Les Allemands n'accepteraient pas que l'on contourne ainsi les critères de Maastricht, dont il convient d'affirmer qu'ils ne correspondent pas aux besoins actuels de l'économie européenne.
Il faut relancer un modèle productif français, mais les entreprises n'investissent pas suffisamment par rapport à leurs profits. La BCE n'a pas pour fonction de pallier l'absence des entreprises, surtout qu'elle doit décider de la politique monétaire de l'ensemble de la zone euro. Elle devrait davantage garantir les dettes publiques, mais le reste de la politique économique incombe aux États. Que peut faire la France pour relancer l'investissement dans les secteurs d'avenir comme celui de la transition énergétique ? Il est nécessaire d'approfondir les réseaux entre les entreprises et les acteurs du secteur bancaire et financier comme la banque publique d'investissement, Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et La banque postale, mais également les banques privées. Il y aurait lieu de conclure un pacte productif permettant de soutenir des filières d'avenir – rénovation urbaine, rénovation des logements, énergies renouvelables, transports collectifs – en aidant l'industrie française, en finançant la demande, en organisant l'offre. Il existe des circuits privilégiés pour les habitations à loyer modéré (HLM) et il convient d'en créer de nouveaux pour la transition écologique. Il y a suffisamment d'épargne en France pour financer ces actions, encore faut-il l'orienter différemment.