Intervention de Gaël Giraud

Réunion du 15 mars 2016 à 18h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Gaël Giraud, directeur de la chaire « énergie et prospérité » de l'école Polytechnique, X, de l'école normale supérieure, ENS et de l'école nationale de la statistique et de l'administration économique, ENSAE :

Il y a deux options pour financer l'investissement : puiser dans des liquidités déjà existantes comme l'épargne – qui s'avère surabondante dans les pays anciennement industrialisés – ou créer de la monnaie. Ces deux actions diffèrent, puisque l'on n'augmente pas la quantité de monnaie en circulation dans le premier cas, contrairement au second.

Les banques commerciales créent de la monnaie tous les jours, ce droit leur étant délégué par l'État qui leur accorde une licence bancaire. La grande quantité d'épargne disponible pourrait nous inciter à puiser dans ces fonds plutôt que d'accroître la quantité de monnaie en circulation. J'approuve cette orientation, mais il n'est pas si simple de mobiliser l'épargne ; en effet, si les compagnies d'assurances la gèrent, le carcan prudentiel de Solvabilité II – ou Solvency II – les dissuadera de procéder à des investissements verts de long terme. Je réfléchis actuellement avec des assureurs pour assouplir le cadre de Solvabilité II et leur permettre ainsi de mobiliser l'épargne qu'ils gèrent dans les secteurs verts. En outre, l'épargne gérée par les banques migre vers les marchés financiers où la rentabilité est élevée tant que les opérations à fort effet de levier réussissent. Tant que les marchés financiers soutiendront la promesse illusoire d'investissements rapportant 5, 10 ou 15 % par an, il s'avérera difficile d'orienter l'épargne vers des investissements dans l'économie réelle qui ne rapportent pas à court terme.

Le mandat de la BCE ne l'autorise pas à intervenir dans ces domaines, mais nous avons abordé une terra incognita depuis la crise financière, et M. Mario Draghi n'hésite plus à mener une politique non conventionnelle, ce qui nous autorise à réfléchir à des actions de la BCE qui n'autorisent pas aujourd'hui les traités.

L'organisation de la zone euro repose sur l'idée d'une séparation étanche entre les politiques monétaire et budgétaire. Comme M. Henri Sterdyniak l'a dit, l'élaboration d'une politique industrielle intelligente concerne la politique budgétaire, mais on ne peut plus penser ces deux piliers de la politique économique indépendamment l'un de l'autre. La politique monétaire n'est pas neutre pour l'emploi, la croissance et les déficits publics car la quantité de monnaie injectée a un impact sur l'économie réelle. Il faudrait donc revenir sur l'indépendance de la banque centrale européenne par rapport au pouvoir politique ; la BCE n'a pas d'interlocuteur politique européen avec lequel discuter, contrairement à son homologue américaine, le manque d'un pilier politique dans la construction européenne se faisant cruellement sentir – et je suis de moins persuadé qu'il émergera un jour. Si le climat politique était différent, je plaiderais vivement pour l'instauration d'un fédéralisme européen qui permettrait la constitution d'un pouvoir politique, qui serait un interlocuteur puissant pour la BCE. Se retrouvant seule, cette dernière se tourne vers le secteur bancaire privé ; ainsi, depuis 2008, aucune décision de la BCE n'a été défavorable au secteur bancaire, y compris le rachat sur le marché secondaire de la dette publique, puisque cela a permis aux banques d'acquérir sur le marché primaire une dette publique garantie par la BCE quelle que soit la qualité de la dette. Les banques ont profité d'un immense effet d'aubaine pour réaliser des marges considérables, de l'ordre de 4 à 5 %, en achetant de la dette grecque, portugaise ou espagnole et en la revendant à un prix plus élevé à la BCE.

Les investisseurs devant diversifier leurs portefeuilles, ils ne sont pas incités à prendre en compte le risque souverain pour la France ; en revanche, ils se montrent très attentifs au risque de faillite des banques commerciales. Cela explique la tempête boursière que celles-ci ont connue pour leurs propres titres en début d'année. Les investisseurs privés internationaux ne sont pas dupes des effets d'annonce commerciaux des banques françaises et savent qu'elles ne sont pas si éloignées de la faillite ; un choc sur les actifs bancaires de l'ampleur de celui de 2008 aurait probablement raison de nos quatre champions nationaux – qui auraient fait faillite en décembre 2008 sans l'intervention massive de l'État. À la demande de M. Klaus Welle, j'ai rédigé l'année dernière un rapport pour le Parlement européen sur le coût d'un prochain krach bancaire dans la zone euro dans le contexte de la construction de l'Union bancaire européenne. J'y concluais que l'Union bancaire européenne, même en 2023, date à laquelle elle doit atteindre son régime de croisière, ne pourrait pas nous protéger d'un krach bancaire de même amplitude que celui de 2008. Dans tous les cas, les contribuables européens seraient à nouveau mis à contribution pour sauver les banques si celles-ci devaient connaître des pertes d'actifs comparables à celles enregistrées en 2008. Un krach de l'ampleur de celui de 2008 avec une Union bancaire fonctionnant à plein régime coûterait environ 1 000 milliards d'euros de PIB à la zone euro en deux ans. Le secteur privé est conscient de cette menace, ce qui explique une partie du désamour des investisseurs pour les banques françaises.

Il convient de reconstruire un mode de financement de la puissance publique en Europe qui ne passe pas par les marchés financiers.

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