Intervention de Gilles Savary

Réunion du 22 mars 2016 à 16h00
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

La partie du rapport relative à l'ouverture du transport régulier interurbain par autocar est, en ce qui me concerne, la première à être « aboutie ». Une analyse des dispositions relatives au permis de conduire viendra ultérieurement. S'agissant des autocars, nous avons constaté une mise en oeuvre extrêmement rapide, et qui n'est pas encore stabilisée. La montée en puissance actuelle constitue des prises de position sur le marché, avec des signaux-prix qui ne sont pas significatifs de ce que sera le marché une fois stabilisé.

Avant l'entrée en vigueur de la loi, il n'y avait guère que quelques dessertes intérieures dans le cadre du cabotage, par exemple de Vintimille à Marseille et de Genève à Bordeaux. Depuis lors, 148 lignes ont été ouvertes. L'opérateur qui en a ouvert le plus grand nombre est Ouibus – c'est-à-dire la SNCF – avec 32 % des lignes ouvertes. Ensuite viennent FlixBus, société allemande, 19 % des lignes ; puis Isilines-Eurolines, deux filiales de Transdev, la seconde étant un opérateur international, Megabus qui est une société britannique, et enfin Starshipper qui est un réseau de PME.

Il y a ainsi plusieurs modèles économiques, qui ne sont ni homogènes, ni équivalents.

Autre élément notable : environ 120 déclarations ont été faites à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), en vue de l'ouverture de liaisons de 100 kilomètres ou moins.

Les 148 lignes ouvertes, les « lignes Macron », représentent 689 liaisons distinctes entre deux villes françaises. On passe de 689 à 1 038 liaisons au total si l'on y ajoute les dessertes des lignes internationales.

À ce jour, s'agissant des déclarations préalables à l'ouverture de liaisons de 100 kilomètres ou moins, 24 saisines ont été formulées par les régions auprès de l'ARAFER, pour le motif de concurrence au service public existant. L'ARAFER a rendu quatre avis : deux positifs et deux négatifs. On peut donc dire que la régulation s'engage et fonctionne.

Entre le 8 août et le 31 décembre 2015, les opérateurs ont transporté 770 400 voyageurs, sur 22 millions de kilomètres, pour un chiffre d'affaires global de 9,3 millions d'euros. Le taux moyen d'occupation des autocars n'est que de 32 %, avec de fortes disparités. Environ 1 000 emplois ont été créés.

On peut observer que 4 % des liaisons font plus de 750 kilomètres et 38 % font moins de 250 kilomètres : l'essentiel des nouvelles liaisons correspond donc à des distances comprises entre 250 et 750 kilomètres, ce qui les situent exactement dans le champ concurrentiel des trains à grande vitesse ou des trains grandes lignes.

Sur 197 liaisons, il y a une concurrence entre opérateurs d'autocars puisqu'au moins deux opérateurs sont présents.

Les dix liaisons les plus fréquentées relient toutes Paris à une autre ville : Lille-Paris, Lyon-Paris, Rouen-Paris… On retrouve donc, par le libre jeu du marché, un schéma en étoile. Mais celui-ci ne sera peut-être pas durable.

Au cours des auditions que j'ai organisées, les opérateurs nous ont signalé le besoin pressant de règles sur les gares routières. En la matière, on peut dire que le service a précédé les arrêts, et les situations sont très disparates. Il y a encore un certain nombre d'arrêts sur la chaussée, par manque d'organisation. Certains opérateurs avaient déjà leurs propres gares routières, d'autres – la SNCF – ont la possibilité de créer des gares routières sur leurs emprises. Certaines gares routières sont publiques, notamment celles des départements. D'autres sont privées, comme celle d'Eurolines. Il y a également des « arrêts routiers », infrastructures beaucoup moins matérialisées.

À l'issue des consultations menées par le ministère, l'ordonnance prévue a été publiée. Cette ordonnance est très importante : elle définit les gares routières, elle institue leur régulation, avec un régime de déclaration à l'ARAFER, l'obligation que chaque gare fasse l'objet d'une comptabilité propre, l'exigence de règles d'accès équitables, ce qui implique à la fois le libre accès des opérateurs aux gares et la publicité des tarifs des services. Toute gare routière, qu'elle soit publique ou privée, devra être ouverte à tous les opérateurs. Le propriétaire de chaque gare devra édicter des règles d'accès et de tarification, sous le contrôle de l'ARAFER. Il est probable que l'ARAFER, dans quelques années, sera en mesure de définir de plus en plus clairement ce qu'est un « tarif acceptable » pour ce type d'infrastructure.

Plusieurs textes réglementaires d'application sont encore attendus, qu'il s'agisse de l'open data pour les transports ou de l'obligation d'équiper les autocars d'un dispositif d'éthylotest anti-démarrage.

Un tel dispositif obligatoire existe déjà pour les poids-lourds, et la plupart des autocars qui ont été achetés pour l'ouverture des lignes sont des véhicules neufs, peu polluants et dotés de ce dispositif. Mais il y a un énorme problème : celui de l'accessibilité des autocars pour les personnes à mobilité réduite, y compris sur des autocars neufs qui ne sont pas adaptés pour cela. L'obligation d'accessibilité, qui a été définie par décret, place les opérateurs dans l'illégalité, mais ceux-ci sont dans l'impossibilité économique de remplacer leurs véhicules dès à présent.

Le « paysage » du secteur de l'autocar est donc intéressant, mais en ce qui concerne l'impact exact de cette libéralisation sur la mobilité, il s'agit plus d'intuitions à ce stade que de mesures réelles. Les autocars ont probablement ouvert une nouvelle gamme de transports collectifs, en captant une clientèle qui semble plus venir de la route que du train. Il ne sera possible de vérifier cela que lorsque les prix des billets d'autocar auront augmenté, car pour l'instant il y a un véritable dumping sur ces prix. Les opérateurs eux-mêmes s'en plaignent. Il y a probablement des « effets d'envergure » qui distordent la concurrence en faveur de certains groupes, notamment pour Ouibus, mais qu'on ne sait pas mesurer. Quant à FlixBus, son modèle économique est très particulier : c'est une marque, mais qui sous-traite à de petites entreprises, et donc peut proposer des prix très bas mais fait peser les risques sur ces entreprises, ce qui crée des inquiétudes pour celles-ci. À l'opposé, Starshipper, qui ressemble plus à une holding, mutualise le risque entre des PME.

On constate déjà, par ailleurs, les premières fermetures de liaisons, voire de lignes, lorsqu'elles ne s'avèrent pas rentables.

Il n'est pas certain que ce qui s'est passé en Allemagne se reproduise en France, s'agissant de l'évolution du transport ferroviaire par rapport au transport routier. En Allemagne, le développement du transport par autocar a été rapide et on a constaté une fragilisation des liaisons ferroviaires. Mais, les liaisons par train y sont plus lentes qu'en France et, par conséquent, l'avantage-temps du train n'est pas décisif par rapport à l'autocar. En France, l'autocar et le train semblent s'adresser à deux clientèles différentes : pour un trajet Marseille-Paris, le prix sera beaucoup moins élevé en autocar, mais le temps de trajet sera d'au moins quatre heures plus long qu'en train.

Au total, le bilan de ces dispositions de la loi est assez satisfaisant, même si l'ARAFER doit encore « se roder », le modèle économique doit se stabiliser, et il manque encore plusieurs textes réglementaires d'application.

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