Intervention de Cécile Untermaier

Réunion du 22 mars 2016 à 16h00
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

À titre liminaire, je souhaite faire part de ma satisfaction quant à l'objet même de cette mission d'information. Comme le président-rapporteur l'a souligné, il n'est pas anormal que le Parlement s'intéresse aux mesures d'application de la loi qu'il a votée. Aussi est-il naturel que se poursuive dans la phase de mise en oeuvre de la loi la logique de co-construction qui a présidé à son établissement. Je me réjouis d'ailleurs que le Gouvernement ait repris dans les textes réglementaires des propositions que nous avons formulées, en particulier sur la partie dont je suis chargée du suivi, c'est-à-dire celle relative à certaines professions réglementées. Je dois néanmoins préciser que toutes nos recommandations n'ont pas été retenues, comme vous le constaterez en lisant le rapport d'étape.

Conformément à la méthode qui a été rappelée, je viens rendre compte de l'application des dispositions de cette partie.

Rappelons avant toute chose que la réflexion qui a guidé cette réforme a été alimentée par de nombreux travaux, menés à la fois par l'administration, par des parlementaires et par l'Autorité de la concurrence.

La loi a rénové le cadre juridique applicable à certaines professions réglementées pour répondre à trois nécessités.

Premièrement, la détermination d'une méthode objective pour fixer les tarifs des commissaires-priseurs judiciaires, des greffiers des tribunaux de commerce, des huissiers de justice, des notaires et des administrateurs et mandataires judiciaires.

Deuxièmement, l'ouverture de l'accès à ces professions, ainsi qu'à la profession d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation.

Troisièmement, le développement de sociétés interprofessionnelles, propres à élargir la gamme de services proposée à nos concitoyens.

Outre les auditions publiques du ministre de l'économie, de la garde des sceaux et du président de l'Autorité de la concurrence, au cours desquelles le sujet des professions réglementées a été largement abordé, j'ai mené dix-neuf auditions. Je tiens d'ailleurs à remercier chaleureusement les membres de la mission qui ont assisté à ces réunions et, en particulier, notre collègue Gilles Lurton.

Ces auditions ont permis de recueillir les observations à la fois des instances professionnelles, des organisations syndicales, de l'administration et de l'Autorité de la concurrence. Elles ont nourri certaines des préconisations que nous avons soumises au Gouvernement.

Une réforme de cette importance et revêtant un caractère inédit, tant qu'elle n'a pas été totalement mise en oeuvre, est inévitablement source d'incertitude. J'ai pu constater la volonté des professionnels à ce que les mesures d'application soient prises dans les meilleurs délais. À cet égard, on peut regretter le caractère tardif de la publication de certains textes par rapport à un échéancier prévisionnel sans doute trop ambitieux au regard de la tâche immense à accomplir. Il convient d'ailleurs de souligner l'ampleur du travail réalisé par les administrations des ministères de l'économie et de la justice.

À ce stade, six décrets, quatre arrêtés et une ordonnance ont été publiés en application de cette partie de la loi.

Ces textes, concernent principalement les volets relatifs aux tarifs des professions et à la liberté d'installation de certaines d'entre elles. Les mesures réglementaires et les ordonnances relatives à l'interprofessionnalité et à l'assouplissement des conditions de détention de capital des sociétés sont encore en attente d'être publiées.

S'agissant du volet tarifaire, le nouveau schéma repose sur un principe et une exception.

En principe, les tarifs réglementés des prestations permettent au professionnel de couvrir les coûts pertinents du service rendu et de dégager une rémunération raisonnable. Par dérogation, certaines prestations peuvent donner lieu à des tarifs qui ne sont pas fixés selon ce principe de manière à permettre une péréquation applicable à l'ensemble des prestations servies.

Outre cette péréquation entre prestations, la loi prévoit une péréquation également entre les professionnels de manière à garantir un maillage territorial satisfaisant. Le législateur a prévu la création d'un fonds de péréquation à cette fin. Ce fonds a plus généralement pour objet de faciliter l'accès du plus grand nombre au droit.

Pour appliquer ces règles, la loi renvoie au pouvoir réglementaire le soin de préciser, par décret, la méthode de fixation des tarifs et les modalités d'organisation du fonds. Pour chaque profession concernée, un arrêté doit décliner cette méthode et fixer le tarif de chaque acte.

Le 28 février dernier ont été publiés le décret en question et les quatre arrêtés relatifs aux tarifs des officiers publics et ministériels. Ces arrêtés entraîneront une baisse globale de 5 % des tarifs des greffiers des tribunaux de commerce et de 2,5 % des tarifs des huissiers de justice et des notaires. Doivent encore être publiés les arrêtés relatifs aux tarifs des administrateurs et mandataires judiciaires.

On peut regretter que l'ensemble de ces textes ne soit pas intervenu plus tôt, mais il faut bien admettre que la nécessité de prendre en compte des exigences à la fois juridiques et techniques interdisait une publication hâtive. Aussi ce décret a-t-il fait l'objet d'intenses discussions, auxquelles la mission elle-même a participé. Elle a formulé des préconisations qui ont été retenues pour certaines d'entre elles.

Pour illustrer ses travaux, il me faut entrer dans le détail du décret sur trois sujets.

Premièrement, la méthode de fixation des tarifs a été modifiée dans sa définition et va être retardée dans son application. Pour ce qui est de sa définition, les notions de coûts pertinents et de rémunération raisonnable sont, dans le décret publié, appréhendées au niveau de chaque prestation, c'est-à-dire acte par acte. À l'inverse, les deux premiers projets de décret dont la mission a été destinataire définissaient ces notions par référence à un professionnel moyen, pour chacune des professions concernées. En découlait une méthode globale de fixation des tarifs qui aurait été déclinée dans les arrêtés. Cette architecture n'a finalement pas été retenue. Le décret revient à ce qui semble plus conforme aux exigences de la loi, c'est-à-dire à une orientation des tarifs sur les coûts de chaque prestation, avec, par dérogation, un système de péréquation.

Pour ce qui est de l'application de la méthode, le Gouvernement a été forcé de la retarder à partir du moment où le choix d'une approche par acte a été retenu. Ce système nécessite en effet un certain nombre d'informations comptables sur les offices indisponibles à ce jour. Voilà pourquoi le décret prévoit que les arrêtés fixent les tarifs, pour une période transitoire de deux ans au maximum, sur la base de l'ancienne grille tarifaire, sans qu'il soit tenu compte de la méthode par acte. Durant cette période transitoire, les offices devront se doter de systèmes de comptabilité analytique de manière à ce que le Gouvernement puisse disposer de données qui l'autoriseront à fixer les tarifs selon la méthode que je viens de présenter.

Le deuxième point que je souhaite aborder traite du plafonnement de la somme des émoluments perçus par le notaire au titre des mutations d'un bien ou d'un droit immobilier à 10 % de la valeur du bien ou du droit. Cette mesure d'application n'était pas rendue nécessaire par la loi. Il s'agit d'une initiative du Gouvernement, par laquelle il a entendu favoriser la mobilité foncière en empêchant que la vente de certains biens immobiliers de faible valeur implique pour l'acquéreur de payer des émoluments aux notaires d'un montant représentant une part trop importante de la valeur du bien lui-même. À titre d'exemple, l'achat d'une parcelle d'une valeur de 5 000 euros pouvait donner lieu à un émolument de près de 1 000 euros, soit environ 20 % de la valeur de la parcelle. Bien des transactions ne se font pas du fait de cette situation.

Je comprends l'objectif sous-jacent à l'introduction de cette mesure que poursuite le Gouvernement. Toutefois, de nombreux notaires officiant dans des territoires ruraux m'ont sollicitée, ainsi que votre président-rapporteur, sur cette question. Il faut noter que ce sont ces offices qui réalisent le plus de type d'actes en proportion de leur activité. Le président-rapporteur et moi nous étions d'ailleurs inquiétés des effets de ce plafonnement auprès de la garde des sceaux, lors de son audition du 12 janvier 2016.

Dans un courrier adressé au Premier ministre, nous avons conjointement proposé que cet écrêtement soit conditionné à l'instauration d'un émolument fixe minimum au titre de ces actes et de la mise en place rapide du fonds de péréquation. Le principe de l'émolument fixe minimum a été retenu par le décret et l'arrêté tarifaire qui le fixent à 90 euros. Ce montant me paraît toutefois trop faible et je plaide pour qu'il soit augmenté. Plus généralement, il conviendra d'évaluer rapidement les effets de ce plafonnement sur les offices, notamment grâce aux nouvelles obligations de transmission d'informations. Le ministre de l'économie a souhaité que lui soient signalés d'éventuels cas concrets de déstabilisation importante de certains offices pour modifier, au besoin, le dispositif et nous serons vigilants sur ce point.

Par ailleurs, je pense qu'on ne saurait aborder la question du plafonnement des émoluments des professionnels sur ces transactions sans engager une réflexion sur les droits d'enregistrement.

Enfin, et c'est mon dernier point s'agissant du système tarifaire, il est nécessaire que le fonds interprofessionnel de péréquation soit opérationnel au plus vite. Le décret précise les règles d'organisation et de fonctionnement du fonds. Il devrait financer, d'une part, des aides à l'installation et au maintien des professionnels et d'autre part, des dispositifs favorisant l'accès au droit du plus grand nombre, comme l'aide juridictionnelle. En l'état, le fonds ne peut pas distribuer les aides prévues, puisque le problème de son financement n'est pas résolu.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 5 août 2015, a en effet censuré une contribution qui devait le financer, le législateur n'ayant pas fixé son assiette avec suffisamment de précision. Cette contribution était assise sur la valeur de tout bien ou sur le montant de tout droit, supérieur à un seuil de 300 000 euros, pour lequel un tarif était fixé proportionnellement à cette valeur ou à ce droit. Étaient redevables de cette contribution les officiers publics ou ministériels et les personnes exerçant l'activité de mandataire ou d'administrateur judiciaire. Étaient également redevables de la contribution les avocats au titre de certains actes.

Ce dispositif avait l'avantage de mettre à contribution, de façon transparente, les professionnels qui réalisent les actes les plus rémunérateurs, pour assurer la viabilité économique des offices multipliant les actes peu rentables. Je souhaite que l'on puisse réintroduire un mécanisme similaire au lieu de la taxe sur le chiffre d'affaires qui est actuellement envisagée. Dans cette perspective, le ministre s'est engagé à mettre en place un groupe de travail pour tenter de trouver une solution alternative. Je souhaite que nous soyons impliqués fortement dans cette réflexion.

J'en viens maintenant au sujet de l'accès à certaines professions d'officiers publics ou ministériels.

S'agissant des commissaires-priseurs judiciaires, des huissiers de justice et des notaires, le décret fixant les critères au regard desquels l'Autorité de la concurrence établit la carte des zones de libre installation a été publié le 28 février 2016. L'Autorité de la concurrence a donc pu procéder à un appel à contribution des acteurs concernés par la réforme en vue de l'élaboration de la carte. Ceux-ci ont jusqu'au 31 mars 2016 pour faire parvenir leurs remarques. L'Autorité s'est fixé pour objectif de proposer une carte aux ministres de l'économie et de la justice au mois de mai 2016.

D'ici là, un décret relatif aux conditions de nomination des candidats à l'installation doit paraître. Les projets de décret que nous avons reçus laissent penser que sera retenu un système de classement des candidatures par ordre chronologique d'enregistrement, c'est-à-dire par horodatage.

Au sujet des conditions d'aptitude à ces professions, là encore, une proposition de la mission d'information semble avoir été retenue par le Gouvernement. La mission a en effet préconisé de supprimer l'obligation qui incombait aux candidats déjà diplômés notaires de suivre une formation d'une douzaine de jours sur la gestion d'un office pour être nommés notaires.

Dans les faits, le maintien de cette formation de très courte durée, organisée par les instances professionnelles, aurait constitué un blocage pour accéder à la profession. Le nombre de places offertes aux sessions de cette formation risquait d'être insuffisant au regard de la demande. Aussi, le dernier projet de décret supprime cette obligation et intègre dans les cursus de formation initiale des modules relatifs à la gestion des offices. Ce qui était une condition à remplir en plus de la condition d'obtention du diplôme est désormais intégrée à celle-ci.

Pour ce qui est de la profession d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, le décret relatif aux conditions de nomination n'est pas encore publié. Je ne suis pas satisfaite du projet de décret tel qu'il nous a été transmis. En effet, à l'inverse des professions précédemment citées, les candidatures ne seraient pas classées par ordre chronologique d'enregistrement, mais par ordre de préférence d'une commission composée notamment d'un conseiller d'État, d'un conseiller à la Cour de cassation et d'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. La présidence serait au surplus assurée alternativement par le conseiller d'État et le conseiller à la Cour de cassation. Je redoute que ce système aboutisse à une approche restrictive de l'accès à cette profession. Je propose que l'on adopte la procédure d'horodatage qui aura cours pour les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires.

Monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, même si des textes importants ont été pris, moins de la moitié du chemin est parcouru en termes des mesures d'application. Le travail de la mission, qui s'est révélé utile, va donc se poursuivre.

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