Intervention de Denys Robiliard

Réunion du 22 mars 2016 à 16h00
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard :

La loi du 6 août 2015 a, en premier lieu, procédé à la réforme de la justice prud'homale. Il faut aujourd'hui faire oeuvre de pédagogie et expliquer cette réforme, y compris aux conseillers prud'homaux. En effet, celle-ci reste perçue, par certains d'entre eux, comme mettant en place une forme d'échevinage. Si c'était le cas du projet de loi initial, ce n'est plus le cas de la réforme adoptée qui maintient toute sa place au paritarisme. Ainsi, il ne peut y avoir recours à une formation de jugement présidée par un juge professionnel que sur décision du bureau de conciliation et d'orientation (BCO) et les parties n'ont pas la possibilité d'imposer un tel recours.

La réforme met en place des outils qui permettent au BCO d'améliorer l'efficacité de la procédure. Ainsi, ses membres pourront seuls décider le recours à une formation de jugement présidée par un magistrat professionnel, notamment pour les affaires portant sur des sujets donnants lieux systématiquement à un départage, permettant ainsi aux parties de gagner du temps. De même, en cas d'échec de la conciliation, celui-ci a la possibilité de renvoyer l'affaire devant le bureau de jugement dans sa formation restreinte, celui-ci devant statuer dans un délai de trois mois.

Par ailleurs, la réforme met en place un véritable statut des conseillers prud'homaux, s'inspirant de celui des magistrats professionnels, ce qui n'est pas déshonorant me semble-t-il. La loi met en place une formation initiale conjointe qui s'ajoute à l'actuelle formation continue de six semaines. Elle sera organisée sous la responsabilité de l'École nationale de la magistrature, même si les modalités de son financement n'ont pas encore été tranchées. Enfin, en prévoyant qu'il est fait appel à des magistrats du tribunal de grande instance pour occuper les fonctions de juge départiteur, la loi met en place une « filière sociale » de magistrats qui seront spécialisées en droit du travail. En outre, la loi du 6 août 2015 a instauré un statut à part entière pour le défenseur syndical qui assistera ou représentera le salarié ou l'employeur devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel statuant en matière prud'homale.

Est aussi prévue la mise en place d'un référentiel indicatif établi, après avis du Conseil supérieur de la prud'homie, selon des modalités prévues par un décret en Conseil d'État. Ce référentiel devrait faciliter la détermination du montant de l'indemnité susceptible d'être allouée en raison du licenciement d'un salarié, cette indemnité dépendant de l'ancienneté du salarié, de son âge et de sa situation par rapport à l'emploi. La ministre du travail, Mme Myriam El Khomri, avait indiqué à la mission qu'elle attendrait, pour publier ce décret, l'adoption du projet de loi sur les nouvelles protections pour les entreprises et les salariés puisque ce texte proposait initialement d'instituer un plafonnement des indemnités en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le Premier Ministre ayant indiqué que le Gouvernement renonçait à ce plafonnement, il serait souhaitable que le référentiel soit désormais publié. Ce référentiel ne peut pas être le même que celui qui existe déjà pour la phase de conciliation. Car, on peut considérer que, dans ce cadre, l'employeur et le salarié « échange un risque » contre un accord. Dans le cas du barème prévu par la loi du 6 aout 2015, les deux parties ont pris le risque d'aller jusqu'à un jugement : les montants indicatifs doivent donc impérativement être supérieurs à ceux de la conciliation. Cela me paraît essentiel pour bien comprendre l'articulation de ces deux barêmes, le premier ayant été voulu par les partenaires sociaux dans le cadre de l'accord national interprofessionnel de janvier 2013.

Un projet de décret relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail a été communiqué à la mission d'information. Ce texte propose une réforme d'ensemble de la procédure prud'homale et nous paraît globalement satisfaisant. Deux sujets peuvent cependant encore faire l'objet d'améliorations.

Le premier concerne l'absence de sanction pour le non-respect des formalités de saisine. J'ai toujours souhaité que le défaut de précision de la saisine puisse entraîner sa nullité. C'est une simple nullité de procédure. Cela signifie qu'elle n'est prononcée qu'à deux conditions : que la nullité fasse grief à celui qui l'invoque et qu'elle n'ait pas été réparée avant que le juge ne se prononce. C'est donc réparable à tout moment : il suffit de s'en donner les moyens. Or, la qualité de la saisine est primordiale. En effet, les conseillers prud'hommes et les parties peuvent mieux préparer l'audience de conciliation lorsque la saisine est de qualité. Il arrive, en effet, que certains employeurs ne sachent pas précisément pourquoi ils sont cités en conciliation ce qui ne leur permet pas une bonne préparation de l'audience ; il est indispensable qu'ils le sachent à l'avenir, non seulement pour réduire les délais d'instruction mais aussi pour gagner en efficacité et améliorer le taux de conciliation, qui est aujourd'hui de 6 %. Par ailleurs, une saisine de qualité permettrait au BCO de déterminer plus facilement s'il faut saisir le bureau de jugement en formation restreinte sous la présidence du juge départiteur, faisant ainsi gagner du temps aux parties.

Le second sujet est l'absence d'ordonnance de clôture. Le président-rapporteur a écrit, avec mon plein accord, en ce sens au Premier ministre et au ministre de la justice. En effet, si le projet de décret prévoit la mise en état des dossiers devant la juridiction prud'homale, il le fait sans instituer une clôture de l'instruction, c'est-à-dire une date après laquelle il n'est plus possible d'adresser de nouvelles pièces ou de nouvelles conclusions.

Certes une telle ordonnance n'est pas habituelle dans le cadre d'une procédure orale, mais elle permettrait aux conseillers prud'homaux de disposer d'un outil pour lutter contre les comportements dilatoires. Charge aux conseils des prud'homes d'en faire bon usage.

À partir du moment où employeurs et salariés sont d'accord pour stigmatiser le nombre de renvois à l'audience et que nous leur donnerions le moyen d'y mettre un terme, ils assumeraient la responsabilité de ne pas l'utiliser.

Enfin on ne peut aborder la question de la réforme de la justice prud'homale sans évoquer la question des moyens de la justice, notamment des moyens humains. En effet, les délais du départage, qui s'affranchissent sans vergogne du délai légal d'un mois dans lequel une affaire doit être reprise, atteignent en moyenne 14,7 mois. Ce n'est qu'une moyenne : c'est parfois trente mois. Cette situation ne s'explique que par l'insuffisance du nombre de magistrats départiteurs. Les délais de procédure ont tous augmenté, mais plus encore en cas de départage.

Lors d'une réunion à la Chancellerie en décembre 2014, j'avais interrogé le directeur des services judiciaires sur la capacité du ministère de la justice à dégager le nombre de magistrats nécessaires à la mise en oeuvre de la réforme qui prévoyait alors une intervention plus précoce du juge professionnel dans plusieurs occurrences. Il m'a été répondu par une affirmation catégorique. J'en déduis donc que, dans le cadre de la réforme telle qu'adoptée par le Parlement où le magistrat départiteur n'interviendra que sur décision du BCO, il devrait être encore plus facile de dégager le nombre d'équivalents temps plein nécessaires. Pour autant, l'insuffisance du nombre de magistrats et le non-remplacement qui nous a été rapporté d'un des sept juges départiteurs au conseil des prud'hommes de Paris ne sont pas, de ce point de vue, sans susciter des inquiétudes.

Je tiens à souligner que la moitié des affaires prud'homales sont jugées par dix conseils des prud'hommes. Il faut donc concentrer les moyens sur ces dix conseils et trouver des solutions au cas par cas. Je ne comprendrai pas que des moyens supplémentaires ne leur soient pas accordés compte tenu du fait que la réforme finalement votée nécessite moins de moyens que le projet initial, même si j'ai conscience que le ministère de la justice subit les conséquences des politiques passées en matière d'effectifs de magistrats.

Enfin, je voudrais aborder un point technique. Dans l'état actuel du droit, seul le président bénéficie d'une vacation pour l'étude d'un dossier préalablement à l'audience du BCO. Les syndicats de greffiers ont attiré mon attention sur le fait que, sans évolution de cette règle, les conseillers non présidents ne pourraient, de fait, pas prendre connaissance du dossier avant l'audience. Il faut donc y remédier si l'on veut que la saisine serve à améliorer le taux de succès des conciliations. Cela aurait certes un coût, mais il est minime.

Dans le domaine du droit du travail, la loi du 6 août 2015 a aussi habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance le dernier volet de la réforme de l'inspection du travail. Ce projet d'ordonnance reprend précisément les dispositions de la proposition de loi telle qu'adoptée par la commission des affaires sociales de notre Assemblée le 14 mai 2014, cette proposition de loi reprenant elle-même les dispositions de l'article 20 du « projet de loi Sapin » qui n'a pu être adopté. Cette ordonnance complétant la réforme de l'inspection du travail intervenue par voie règlementaire, sa ratification prochaine est donc indispensable.

Deux éléments devront retenir notre attention au moment de la ratification de l'ordonnance. Ainsi, alors que la proposition de loi donnait à l'inspecteur du travail un libre accès à tout document de l'entreprise quel que soit son format, le projet d'ordonnance revient sur ce point et prévoit que les inspecteurs du travail peuvent se faire présenter au cours de leurs visites, l'ensemble des livres, registres et documents rendus obligatoires par le code du travail ou par une disposition légale relative au régime du travail.

Certes, un droit de saisie des inspecteurs du travail non limité présenterait un risque de censure constitutionnelle et nous sommes peut-être allés un peu loin lors de la discussion du « projet de loi Sapin ». Cependant il serait souhaitable de modifier le projet d'ordonnance afin qu'à tout le moins le droit de saisine soit étendu à tout élément permettant de vérifier le respect des libertés individuelles et collectives dans l'entreprise.

Par ailleurs, pour tenir compte de l'évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur son interprétation du principe non bis in idem, sur le cumul des sanctions pécuniaires administratives avec des sanctions pénales. Il me semble que le Gouvernement a essayé d'épouser le plus étroitement possible les exigences de la jurisprudence mais ce sujet devra encore faire l'objet de discussion au moment de la ratification de l'ordonnance.

Je souhaite que l'ordonnance soit publiée le plus rapidement possible car l'objet de la réforme était double. D'abord restructurer l'inspection du travail par la fusion des deux corps, et l'établissement d'unités de contrôle. Puis, renforcer les pouvoirs des agents de contrôle. Seule la première partie, réglementaire, a été mise en oeuvre. Il faut mettre en oeuvre la seconde, sinon la réforme resterait bancale.

La loi du 6 août 2015 comprend également plusieurs mesures visant à compléter le dispositif de sécurisation de l'emploi. Plusieurs décrets ont d'ores et déjà été publiés pour l'application de ces articles et ne portent pas de difficultés. Ainsi le décret du 10 décembre 2015 sur le périmètre de l'ordre des licenciements. De même, le décret du 10 décembre 2015 relatif à la procédure de reclassement interne hors du territoire.

Enfin, la loi du 6 août 2015 a considérablement renforcé notre arsenal législatif pour lutter contre les fraudes au détachement, dans le prolongement de la loi du 10 juillet 2014 portée par Gilles Savary visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale. Plusieurs décrets ont été publiés.

Ainsi, le décret du 19 janvier 2016 relatif aux obligations déclaratives des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la réalisation de prestations de services internationales a été pris.

Par ailleurs, le décret du 22 février 2016 généralise l'obligation pour les salariés du bâtiment et des travaux publics, y compris les salariés détachés, de disposer d'une carte d'identification professionnelle, généralisation qui avait été souhaitée par la profession.

Le renforcement de l'arsenal de lutte contre le détachement illégal par la loi du 6 août 2015 commence à produire des effets concrets, puisque le nombre d'interventions est passé d'environ 600 par mois avant l'été 2015, à 1 400 contrôles mensuels en moyenne depuis septembre 2015.

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