Intervention de Michel Tubiana

Réunion du 15 mars 2016 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, LDH :

Quand on veut assassiner son chien, on dit qu'il a la rage : il suffit de ne pas donner les pouvoirs et les moyens nécessaires à la justice française pour pouvoir lui reprocher sa lenteur. J'ai soixante-quatre ans et je suis avocat depuis 1974, c'est-à-dire depuis plus de quarante ans, et je dois même pouvoir faire valoir mes droits à la retraite. Depuis que je suis dans la profession, j'ai entendu chaque garde des Sceaux, l'un après l'autre, dire qu'il allait remédier aux problèmes matériels de la justice. Tous l'ont dit, quelle qu'ait été leur couleur politique.

Je suis d'accord avec vous : cela aurait probablement été un problème, mais un problème matériel et non pas juridique. S'il y avait eu une volonté politique de faire fonctionner l'institution judiciaire, la question ne se serait pas posée, y compris en cas de débat réellement contradictoire. Dans le projet de loi que vous avez adopté, vous avez encore utilisé ce malheureux juge des libertés et de la détention (JLD) comme éternel alibi. Dans les grandes juridictions, le JLD joue un rôle tout à fait intéressant en ce qui concerne les questions de détention. Pour le reste, nous sommes dans une farce : le parquet va voir un homme ou une femme qui n'a connaissance d'aucun dossier, qui est censé en prendre connaissance dans les cinq minutes, et qui, sur requête du parquet, doit, en son for intérieur, être à la fois juge et avocat, et, par conséquent, décider des mesures d'exception qui sont prévues.

On pourrait imaginer qu'il y ait, comme cela existe dans un certain nombre de juridictions américaines, un avocat commis d'office par le bâtonnier et n'ayant pas de droit de suite sur les affaires, qui joue le rôle du contradicteur du parquet. Cela peut très bien s'organiser, à condition de le vouloir et d'avoir une vision claire de ce qu'est la défense des libertés. C'est une question de volonté politique.

Chacun des ordres juridictionnels a des cadavres dans son placard. Pour faire vite, rappelons qu'un seul magistrat de l'ordre judiciaire, Paul Didier, n'avait pas prêté serment au maréchal Pétain sous l'Occupation. Quant au Conseil d'État, il a rendu un certain nombre d'arrêts, qu'on lui rappelle douloureusement, sur la meilleure manière d'appliquer le statut des Juifs et sur qui était juif, sans se poser deux minutes la question de la légitimité du texte.

Dans les recueils de jurisprudence, il n'y a qu'un seul arrêt du Conseil d'État concernant vraiment les libertés : l'arrêt Canal. C'est d'ailleurs un arrêt important, mais c'est le seul. Quitte à me répéter, j'insiste sur la composition du Conseil d'État où 30 % des conseillers et 25 % des maîtres des requêtes sont nommés par le pouvoir politique. Un jour ou l'autre, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), je vous le promets bien, aura à se prononcer sur la question de l'indépendance et de l'impartialité de cette juridiction. Qu'on le veuille ou non, cette juridiction n'a pas une culture de protection de libertés. Regardez les décisions des tribunaux administratifs ! Elle a une culture de protection de l'État. Vous savez comme moi que, jusque dans les années 1920, le Conseil d'État a mis en oeuvre la théorie des actes de gouvernement qui consiste à dire : on applique et on ne dit rien.

Dans ce contexte, le degré de protection offert par le Conseil d'État ne me paraît ni réellement crédible ni réellement suffisant. Je ne mets pas en cause l'honnêteté intellectuelle des hommes ou des femmes qui le composent ; ce n'est pas une question d'intérêt. Mais la pratique démontre que cette protection ne suffit pas. Pour contredire mon propre propos, je vous invite à lire l'avis de la Commission de Venise où il est écrit que le contrôle du Conseil d'État est suffisant.

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