Intervention de Christine Demesse

Réunion du 16 mars 2016 à 14h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Christine Demesse, présidente de l'Association des anciens élèves de l'école nationale d'administration, AAEENA :

Ils y sont nombreux, bien sûr, comme sont nombreux les internes en médecine en salle d'opération… C'est leur métier, ils ont été formés pour cela, et l'une des vertus de l'ENA est de former ses élèves sans corporatisme, en leur donnant le sens de l'État et du service public. Toutefois, les cabinets ministériels sont le théâtre d'une dérive insupportable dont j'espère qu'elle sera corrigée par les circulaires qui viennent d'être prises. De mon temps, on allait en cabinet comme conseiller technique après 6 ans d'expérience post ENA et jamais avant. C'est de bon sens, puisque l'on est censé apporter à un ministre de l'expérience et des compétences sur les sujets dont il aura à traiter. Quant aux postes de directeurs et de directeurs adjoints de cabinet, il n'était pas concevable d'y accéder après moins de 10 ans d'expérience. La tendance actuelle est autre et a des effets pervers. Beaucoup de jeunes gens ou de jeunes femmes qui sortent des cabinets ministériels prétendent ensuite à des postes plus importants ; il en résulte un raccourcissement des carrières tout à fait néfaste. Cela étant, les anciens élèves de l'ENA sont à leur place dans les cabinets ministériels – où l'on trouve aussi d'anciens élèves de l'École polytechnique –, puisque c'est la nature même de leur formation d'apporter aux cabinets des ministres leur expérience de l'administration générale.

S'agissant du recrutement, un problème souvent évoqué est celui de la diversité des parcours de ceux qui se présentent aux concours. Le problème est réel, mais là encore, il y a des a priori. Ayant été membre du jury du stage en entreprise, j'ai eu accès aux curriculum vitae et je puis vous dire qu'ils n'ont rien à voir maintenant avec ce qu'ils étaient il y a vingt ou trente ans. Cela vaut pour les trois concours. Au concours externe, les candidats ont déjà fait de nombreux stages et des séjours linguistiques ; surtout, leur formation supérieure est très diversifiée – il y a des scientifiques, des littéraires, des chartistes, des économistes, des urbanistes… toute la palette de l'enseignement supérieur se présente à ce concours. Au concours interne, le parcours des fonctionnaires est également assez diversifié, puisque toute limite d'âge ayant été supprimée, ceux qui se présentent ont entre 25 et 50 ans. On pourrait d'ailleurs revenir sur cette disposition, qui a quelque chose de démagogique : quelles sont les perspectives de carrière de celui qui se présente à l'ENA âgé de 55 ans, comment pourra-t-il ne pas être frustré dans l'exercice de ses fonctions ? Enfin, au troisième concours se présentent des gens de divers horizons professionnels : des médecins, des dentistes, des sportifs de haut niveau, des journalistes…

À l'issue des trois concours, les élèves de chaque promotion suivent la même scolarité, avec trente élèves venus du monde entier qui effectuent les mêmes stages qu'eux et qui sont source d'une richesse incomparable pour la scolarité. Tous les pays sont représentés, ce qui permet de faire du benchmarking avec les réformes en cours dans leurs pays respectifs. La présence des élèves étrangers a aussi pour avantage qu'une fois entrés dans la vie active, ils travaillent dans le secteur public ou dans le secteur privé de leur pays de naissance et sont d'excellents relais pour notre diplomatie et pour nos entreprises – lesquelles seraient bien avisées de s'en servir davantage plutôt que de fustiger l'École. Pour ne citer qu'eux, l'ambassadeur du Royaume-Uni et celui du Japon actuellement en poste à Paris sont tous deux d'anciens élèves de l'ENA.

J'ai placé mon mandat sous le signe de l'ouverture vers l'interministérialité d'une part – une notion consubstantielle à l'ENA et qui doit être favorisée autant qu'il se peut –, vers le secteur privé d'autre part, pour que les élèves mettent en pratique ce qu'ils ont la possibilité de faire : changer de carrière. Une carrière est ce qu'on fait, et plus on a un parcours diversifié, mieux on exerce ses fonctions de cadre dirigeant et de haut fonctionnaire.

Pour l'interministérialité, des blocages persistent – notamment quand il s'agit de retrouver un poste fonctionnel au retour d'une mobilité. Quant à l'ouverture au secteur privé, je la juge indispensable car il est inadmissible qu'un haut fonctionnaire n'ait pas la moindre connaissance du fonctionnement d'une entreprise. Les stages en entreprise ont donc une importance cruciale et le bémol de la réforme de la scolarité – je l'ai dit en conseil d'administration – est la réduction à deux mois de la période de stage en entreprise. Elle a été décidée en raison des contraintes de la scolarité, au cours de laquelle de nombreuses disciplines doivent être étudiées, et qui se fait désormais théoriquement en 24 mois – 20 mois en pratique – si l'on tient compte de la durée des vacances et des entretiens professionnels en fin de scolarité. Même si l'on réduit le nombre de matières en développant le e-learning, parvenir à placer un stage territorial, un stage international et un stage en entreprise en moins d'un an tient de la quadrature du cercle. Nous sommes en quelque sorte victimes de l'environnement de l'École. À la suite du rapport sur l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État de 2014, nous avons réussi à augmenter les promotions de dix élèves, puisque l'on n'arrivait pas à renouveler les hauts cadres ; allonger la scolarité de trois mois permettrait de suivre les enseignements et les stages dans la sérénité, avec un peu plus de souplesse, sans que cela nuise au budget de l'État. Ce serait bénéfique. L'École a procédé à de considérables restrictions budgétaires, sa présidente vous le dira sans doute. Pour faire entrer dans la scolarité tout ce qu'il doit l'être, des sacrifices doivent être faits, et sacrifier les stages dans le secteur privé est dommage.

Le remaniement de l'épreuve de recrutement va dans le bon sens. Elle permet d'apprécier les connaissances et, à l'oral, avec l'épreuve collective, de porter un jugement sur le comportement de l'élève ; c'est indispensable, car les anciens élèves n'ont pas toujours été parfaits en ce domaine.

La scolarité met l'accent sur des sujets importants : la négociation, notamment la négociation salariale, le numérique, la légistique, la déontologie… Les hauts fonctionnaires sont en prise avec notre société, qui évolue à très vive allure ; aussi l'École s'adapte-t-elle, sachant que certains sujets dont on ne parlait pas il y a une quinzaine d'années sont devenus essentiels. Enfin, la réforme donne sa juste place à l'ouverture à l'international et à la formation à l'Europe – une Europe très présente dans toutes les disciplines.

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