Deux freins majeurs entravent la gestion des carrières dans la haute fonction publique. Le premier est la quasi-absence de gestion interministérielle des carrières, dont la nécessité fait pourtant l'objet d'un consensus depuis longtemps et dont les fondements sont connus. Alors que l'interministérialité caractérise désormais presque la totalité des politiques publiques, des parcours qui ne se font pas dans un seul ministère ou un seul établissement public potentialisent la compréhension des enjeux et la capacité de négociation. En outre, les compétences requises sont souvent plus proches dans des fonctions comparables mais des institutions différentes que dans des fonctions différentes au sein d'une même institution. Pourtant, la gestion des carrières demeure pratiquement entièrement ministérielle. Elle est assurée, de manière extrêmement inégale, par ministère etou par corps. C'est paradoxal s'agissant de l'ENA puisque la grande majorité des élèves sortant de l'École deviennent administrateurs civils. Ils rejoignent donc un corps en principe interministériel ; mais, en réalité, selon leur ministère d'affectation, ni leur carrière effective ni leur rémunération ne sont comparables.
Très récemment, la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) a été qualifiée de direction des ressources humaines de l'État. Cela fait plaisir à entendre mais, derrière un affichage interministériel, les outils effectifs de la gestion des ressources humaines restent ministériels.
Il en est ainsi de la banque interministérielle des emplois publics : elle est indispensable et le principe est excellent mais elle dispose de moyens extrêmement faibles pour assurer la réalité de la connaissance et de la disponibilité des postes. La commission Fonction publique de l'AAEENA a auditionné les fonctionnaires correspondants il y a deux ans : à ce moment-là, un poste et demi avait été dégagé pour assurer le fonctionnement de cet outil transversal dont on voit bien qu'il ne peut être purement formel si on veut qu'il soit efficace.
Autre exemple : l'absence de direction des ressources humaines interministérielle par la DGAFP, qui n'est pas investie des compétences correspondantes. Les secrétaires généraux des ministères pourraient décliner une politique interministérielle de gestion des ressources humaines sous l'égide de la DGAFP ou d'une autre instance ; mais le décret du 24 juillet 2014 les investit explicitement d'une compétence ministérielle en ce domaine.
Je citerai aussi l'absence de gestion interministérielle des rémunérations indemnitaires : ni les enveloppes financières ni même les dispositifs de prime ne sont homogènes d'un ministère à l'autre. Des dispositifs présentés comme généraux ne le sont pas et des dispositifs spécifiques sont réservés à quelques ministères sans qu'ils correspondent à des situations spécifiques. L'ensemble se traduit, à compétences et responsabilités comparables, par de fortes disparités de traitement.
Une mission interministérielle de gestion des cadres dirigeants a été créée de fraîche date, qui gère un vivier interministériel. Nous nous en réjouissons, mais le dispositif reste à l'état embryonnaire au regard de ses missions et de son dimensionnement.
Même sur le plan normatif, les règles régissant la haute fonction publique ne sont pas toujours homogènes : ainsi, les comités de sélection présidant aux recrutements qui ne sont pas directement pourvus par voie de concours fonctionnent différemment selon les corps.
Le deuxième frein à la gestion des carrières est l'insuffisance de transparence dans la connaissance des postes. Les cas d'absence de publication des postes sont malheureusement relativement fréquents, et les conditions normatives de leur publication – par exemple, une durée non définie de publicité – n'assurent pas toujours l'effectivité du porter à connaissance. L'ensemble porte atteinte à l'égal accès aux emplois publics ou, tout au moins, ne le sert pas. Cela vaut aussi pour l'attribution des postes, puisque l'entrée dans le vivier interministériel, alimenté de façon ministérielle, se fait sans particulière transparence.
Ces facteurs combinés créent de fortes entraves à la mobilité interministérielle. Alors que des obstacles juridiques importants ont été levés, de puissants freins perdurent sur le plan fonctionnel, comme le rappellent tant le rapport sur l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État rendu en 2014 que le rapport de Bernard Pêcheur sur la fonction publique rendu en octobre 2013.