Je reverrai l'intersyndicale… Ils souhaitent parfois des clarifications, des reports, mais je vous assure que tous les syndicats ne sont pas opposés au projet lui-même.
Soyons lucides : il y a chez EDF une tradition d'opposition à l'EPR – c'est d'ailleurs ce qui a détruit une bonne partie de l'attractivité de la filière. Dans de nombreux cas, EDF n'a pas défendu l'EPR à l'étranger, sous le seul prétexte que c'était un produit d'Areva ! C'est la réalité, et c'est d'ailleurs ce qui explique que nous ayons perdu des marchés.
On ne dirige pas une entreprise, et l'on ne joue pas son rôle d'actionnaire, en écoutant les états d'âme. En revanche, il faut écouter les préoccupations légitimes et documentées, et il faut expliquer. J'entends donc ce que disent les salariés, et je suis à leurs côtés. Mais les guerres de position historiques ne m'intéressent pas.
S'agissant du montage financier, nous nous inscrivons dans un processus défini par l'entreprise, et qui a conduit à la signature d'une série d'accords, et en particulier du Contract for Difference (CfD) qui engage le gouvernement britannique et offre les garanties de prix que j'ai rappelées. Ces accords ont été réitérés au niveau politique, de gouvernement à gouvernement, à l'occasion des différents sommets.
Certains craignent, je le sais, une annulation unilatérale du CfD par le gouvernement britannique. EDF, sur ce point, a été conseillé par un cabinet d'avocats qui a également conseillé le gouvernement espagnol lorsque celui-ci a remis en cause les CfD mis en place pour les EnR en Espagne : en cas d'annulation par le tribunal de l'Union européenne, notre analyse est que nous sommes couverts. Nous avons d'ailleurs demandé au gouvernement britannique de doubler cet accord d'une lettre de confort, afin de mettre en place un dispositif de substitution – ce que le gouvernement britannique fait.
Quant à la garantie financière du Trésor britannique, elle ne se justifiait que dans le cas d'un schéma déconsolidant, si un véhicule ad hoc avait pu être créé pour porter l'investissement, et dont EDF aurait été l'un des investisseurs. Mais EDF porte aujourd'hui 60 milliards de dette – c'est le plus gros émetteur de dette hybride en Europe : dans un schéma consolidant, il n'a pas besoin d'une garantie. EDF, détenu à plus de 85 % par l'État, dispose d'une garantie implicite, prise en considération par les agences de notation.
Le partage des investissements est une piste qui doit être examinée. Je n'y suis nullement fermé, y compris sur le projet Hinkley Point. Des investisseurs chinois sont associés à ce projet depuis ses débuts ; à mesure que les chantiers avancent, quand Taishan, Flamanville, Olkiluoto 3 entreront en service, nous pourrons faire appel à d'autres encore. À ce stade, nous pouvons progresser en nous fondant sur le schéma actuel.
S'agissant du rapport de la Cour des comptes, Madame Delphine Batho, la Cour a constaté que « l'endettement d'EDF, conjugué à la persistance, depuis 2010, d'un flux de trésorerie disponible négatif, [limitait] les capacités de développement du groupe à l'étranger ». Elle estimait le schéma déconsolidant complexe, et surtout contradictoire avec la réalité des responsabilités d'EDF. Les conséquences de ces observations ont été tirées : c'est donc bien un schéma consolidant qui a été retenu. Cela nous conduit à prendre des risques financiers et opérationnels dont je ne minore absolument pas l'importance ; c'est un choix maîtrisé.
S'agissant du rapport de M. Yannick d'Escatha, je vous demande de me laisser un peu de temps. Ma première réaction est qu'il ne me semble pas possible de le porter à votre connaissance : il s'agit d'un rapport portant sur une société cotée ; si j'étais actionnaire minoritaire, je ne souhaiterais sans doute pas que ce rapport soit communiqué à la Représentation nationale. Je ne prends d'engagements devant vous que lorsque je sais pouvoir les tenir : je vais donc apprécier les risques juridiques. Je vous ferai donc savoir si le « rapport d'Escatha » peut vous être transmis, et le cas échéant selon quelles modalités.
En ce qui concerne RTE, il faudrait en effet modifier, sinon la Constitution, au moins la loi si nous voulions vendre une majorité du capital de RTE. Mais nous pouvons faire entrer dans le capital d'autres investisseurs – Caisse des dépôts ou partenaires financiers privés – sans perdre le contrôle financier. Pour l'heure, aucun schéma financier n'est retenu. Nous travaillons sur un schéma industriel destiné à développer RTE, puisqu'il n'y a plus de synergie entre EDF et RTE, en raison des barrières qui existent aujourd'hui entre les deux groupes sur le plan opérationnel, sur le plan des ressources humaines ou sur le plan des investissements. EDF est actionnaire à 100 % de RTE : c'est une bonne chose en termes de remontée de résultat, et cela n'a pas de conséquences sur l'EBITDA. Mais vendre une partie des actions de RTE permettrait d'utiliser plus efficacement le capital d'EDF.
Comprenez-moi bien : le choix d'ouvrir le capital à des partenaires privés n'est absolument pas fait aujourd'hui. Toutes les clarifications juridiques seront faites en temps utile. Notre travail porte en premier lieu sur un projet industriel, mené par RTE et son président, en lien avec le PDG d'EDF. Les décisions seront prises par l'actionnaire, en lien avec son propre actionnaire majoritaire, l'État.
Quant à la régulation du prix du nucléaire, je ne l'exclus pas : c'est une voie intéressante pour le nouveau nucléaire ; c'est d'ailleurs celle qu'empruntent les Britanniques. Mais elle est difficile à envisager pour le parc historique, en raison des dérégulations qui nous ont été imposées.
La solution d'une sortie d'EDF de la Bourse n'est pas privilégiée aujourd'hui. Je suis prêt à en examiner le principe, mais j'appelle votre attention sur le fait qu'elle n'aurait de sens que pour la partie « nucléaire France », et pas pour le reste d'EDF : elle impliquerait donc un démantèlement du groupe, dont je vous invite à débattre avec les partenaires sociaux, la direction générale et les autres partenaires. Le statut d'objet coté du nucléaire français n'est pas satisfaisant, je l'ai déjà dit, je suis d'accord avec vous sur ce point – c'est une décision qui a été prise par une autre majorité, je le dis sans esprit polémique, car cela a aussi permis à l'entreprise de se moderniser. Mais autant le statut de société cotée est une solution pertinente pour se diversifier ou pour développer le nucléaire à l'international, autant il ne me semble pas optimal pour ce qui concerne le nucléaire en France, compte tenu des contraintes de production, du parc installé, de la régulation, de la fixation des tarifs par l'État et les liens incestueux entre l'État actionnaire, l'État régulateur et l'entreprise.
Il serait extrêmement difficile, toutefois, de sortir de ce statut d'entreprise cotée. Il faudrait soit trouver énormément d'argent pour racheter toutes les actions – car il faudrait indemniser les actionnaires, et les règles boursières sont très strictes – soit rompre le lien entre les activités dans le domaine du nucléaire en France et le reste du groupe. Je suis prêt à écouter vos propositions sur ce sujet, mais je pense qu'il existe dans l'entreprise, chez les salariés et les dirigeants, une volonté forte de maintenir l'intégrité du groupe.
Monsieur Éric Straumann, la demande de fermeture de Fessenheim, si elle est faite par EDF, sera accompagnée d'une demande d'indemnisation. Nous aurons alors des échanges contradictoires, et nous pourrons évaluer le coût d'une fermeture anticipée par rapport à l'amortissement qu'il était possible d'escompter au regard des analyses de l'ASN. C'est l'entreprise qui révélera ce coût à son actionnaire.
Quant au calendrier de la reprise d'Areva NP par EDF, Madame Marie-Hélène Fabre, il est maintenu. Les entreprises construisent aujourd'hui leur plan d'affaires, nous sommes en discussion avec des investisseurs, et nous avançons sur les risques résiduels. D'une part, une discussion est en cours avec l'ASN sur la sûreté nucléaire à Flamanville. Nous attendons des clarifications pour la fin de l'année. D'autre part, j'espère que nous pourrons trouver pour le début du mois d'avril un accord avec la partie finlandaise à propos du réacteur OL 3 à Olkiluoto : nous espérons un règlement de tous les conflits passés, qui préservera les intérêts d'Areva comme ceux du contribuable. Ensuite, bien sûr, il restera des risques à terminaison.
Monsieur Jean-Claude Mathis, mes déclarations à la centrale de Civaux et les explications que j'ai voulu apporter avaient pour but d'accompagner – comme je le fais aujourd'hui devant vous – la transformation de l'entreprise. Il faut absolument arriver à un alignement parfait des salariés, des dirigeants et de l'actionnaire ; or, historiquement, lorsqu'il y a eu de mauvaises passes, on a vu les dirigeants jouer le jeu de l'entreprise contre l'État : « l'État paiera, nous n'avons pas à faire d'efforts », ou bien l'État jouer le jeu des salariés contre les dirigeants : « il faut les protéger à tout prix, les dirigeants ne doivent pas demander d'efforts ».
Seule la théorie des efforts partagés permettra d'adopter une pratique juste. Elle seule nous fera sortir des difficultés que nous connaissons. Le rôle de l'État actionnaire est d'accompagner les dirigeants dans cette tâche complexe qui consiste à demander des efforts à tous. Je reverrai l'intersyndicale au début du mois d'avril.
Madame Pascale Got, vous rapprochez EDF, Areva et Vallourec. Il y a des logiques sectorielles : EDF et Areva subissent la crise du nucléaire de l'après-Fukushima, mais aussi plus largement du secteur de l'énergie avec le rôle des gaz de schiste et l'effondrement de la demande et des prix. Engie a passé des provisions pour plus de 15 milliards d'euros ; quand à E.ON et RWE, nos compétiteurs allemands de ce secteur, en quasi-faillite, ils ont dû se résoudre à scinder leurs groupes. À ces profondes transformations sectorielles se sont ajoutées, dans le cas d'Areva, des erreurs managériales lourdes. L'État actionnaire a aussi commis des erreurs stratégiques majeures en laissant s'installer un inutile désaccord entre les partenaires de la filière. Nous avons donc aggravé par de mauvais choix une situation déjà délicate.
Vallourec subit le retournement du marché pétrolier et parapétrolier : la baisse brutale des prix du pétrole a beaucoup d'avantages, mais aussi beaucoup d'inconvénients. Les investissements dans le secteur pétrolier et parapétrolier se sont effondrés. C'est ce qui provoque de grandes difficultés pour CGG, Technip ou Vallourec dont 66 % du chiffre d'affaires est lié au secteur parapétrolier. À cela s'ajoute la crise de la sidérurgie, avec un effondrement des cours lié au dumping chinois contre lequel nous luttons. Des mesures provisoires ont déjà été prises ; je me rendrai à nouveau à Strasbourg lundi prochain pour pousser la Commission européenne à aller plus loin.
Je ne veux donc pas voir dans ces trois situations les seules conséquences des erreurs de l'État actionnaire ; je connais les doutes qui s'expriment, et je continuerai à apporter toutes les clarifications nécessaires. L'État est légitime en tant qu'actionnaire, il faut encore et toujours le redire : son principal devoir est d'être présent pour aiguillonner, mais aussi pour valider et accompagner à long terme les stratégies d'entreprise. L'État doit agir, à la différence d'autres actionnaires, sur le long terme.
Monsieur Lionel Tardy, la recapitalisation n'est en rien automatique ; elle ne sert pas à couvrir quelque compromis que ce soit. Elle permettra éventuellement de faire face à des difficultés financières, dans le cadre d'une stratégie clarifiée.
Monsieur Frédéric Barbier, j'ai déjà évoqué une partie des actions menées par EDF en matière de nucléaire et d'EnR. EDF a été pionnier pour proposer des offres de tarifs variables. Elle doit continuer à se positionner sur les services d'efficacité énergétique ; Dalkia y contribue, et c'est là un levier d'innovation majeur. EDF doit aussi se positionner sur des projets complexes, par exemple dans le domaine de l'éolien offshore, avec trois champs attribués, et de l'hydrolien – le partenariat avec DCNS est essentiel. Ce sont des projets qui reçoivent l'aide de la Nouvelle France industrielle, et qui sont au coeur de la recherche et développement d'EDF.
En revanche, EDF – à part le cas d'Areva NP – ne développe pas d'équipements propres : il ne conçoit pas d'éoliennes, par exemple. Or c'est principalement à ce niveau qu'intervient la R & D.
La filière nucléaire va également continuer à innover, je l'ai dit : je pense entre autres au projet ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration).
Monsieur Antoine Herth, vous m'interrogez sur une renonciation durable de l'État à recevoir des dividendes. Comme pour l'augmentation de capital, je ne veux pas m'engager sur ce point. Nous avons renoncé à 1,8 milliard d'euros au titre de l'exercice 2015, et préféré le versement d'actions ; nous n'excluons nullement de prendre à nouveau une telle décision, mais elle s'inscrira dans un plan d'ensemble, qui devra être finalisé.
Monsieur Yves Daniel, certains emplois ne seront pas renouvelés ; mais cela compense les créations d'emploi de la période 2010-2015. Le parc thermique est aujourd'hui moins sollicité ; c'est particulièrement vrai pour les tranches au fioul qui ne tournent plus qu'environ quarante heures par tranche et par an, pour des essais. Il y a là des pertes d'exploitation importantes, et de fortes surcapacités. Il a donc été décidé d'arrêter les six tranches fioul encore en service : deux à Porcheville en 2017, puis deux à Cordemais et encore deux à Porcheville en 2018. Je rappelle que les autres tranches ont été fermées en 2014 et 2015. Les salariés concernés par ces fermetures seront redéployés au sein du groupe, et les prestataires accompagnés.
Monsieur Jean-Luc Laurent, le retour aux tarifs régulés une fois que l'offre a été ouverte n'est pas, je le redis, une solution : EDF risquerait de sortir du marché, tout simplement. La bataille que vous proposez impliquerait non seulement des tarifs régulés, mais aussi la reconstitution d'un monopole, ce que le droit nous interdit de faire aujourd'hui. Le Royaume-Uni est dans une situation différente, et nous pouvons, je le répète, nous orienter vers une solution de ce genre pour la nouvelle production – qui représente une capacité supplémentaire, sur laquelle il n'y a pas de concurrence, et qui peut disposer d'un prix garanti. Mais les risques à terme, lorsque le marché sera ouvert, seront les mêmes : le prix de marché peut être inférieur au prix qui a été garanti. C'est en tout cas un débat complexe.
Je reviens un instant à Hinkley Point pour évoquer la question d'un éventuel report. À l'évidence, ce serait la solution intellectuellement et techniquement la plus confortable : attendre que nous ayons ouvert Flamanville, voire OL 3, ce serait être sûr de disposer toutes les garanties nécessaires. Le problème, c'est que nous avons un client… Il nous faut donc discuter avec le gouvernement britannique. Demander un report, ce serait prendre le risque – fort – de perdre le contrat.