La mise en sommeil des négociations en attendant des jours meilleurs serait une erreur. Il s'est passé beaucoup de choses ces derniers temps, d'un point de vue géopolitique : les Américains viennent notamment de signer un accord avec la zone Pacifique, le Trans-Pacific Partnership (TPP). À laisser passer trop de temps pour voir comment cela se passe avec les négociateurs, les Européens risquent de perdre des parts de marché avec les États-Unis qui vont plutôt se tourner vers la zone Pacifique. Il ne faut donc pas geler les négociations. En revanche, il faut prendre le temps nécessaire pour que chaque chapitre soit suffisamment négocié et que l'on parvienne à un accord équilibré. Nous ne sommes pas non plus favorables à un accord précipité fin 2016. Il faut, je le répète, faire en sorte que les rounds se suivent régulièrement, et prendre le temps nécessaire pour pouvoir aborder tous les sujets, les uns après les autres.
La Suisse n'est pas directement impliquée dans les négociations, mais au sein du Conseil européen de l'industrie chimique (CEFIC), qui est notre représentant à Bruxelles, la Suisse est présente et participe à tous les débats que l'on peut avoir, au niveau de la chimie européenne, sur les négociations transatlantiques. Elle n'a pas à s'impliquer de manière prépondérante dans les négociations, mais les groupes chimiques suisses sont parfaitement au courant de la position du CEFIC et participent aux débats. Je rappelle que la Suisse a passé un accord commercial avec la Chine ; il est donc très important pour elle de savoir ce qu'il va se passer au niveau de l'Union européenne vis-à-vis des Américains.
En ce qui concerne la question de M. André Chassaigne sur le risque de dumping, il ne faut pas tout mélanger. Le dumping est effectivement une pratique déloyale, que nous condamnons. La chimie européenne, notamment française, est un des premiers secteurs à déposer des plaintes en matière de recours antidumping. Ce n'est pas parce que nous passons un accord commercial avec les États-Unis que nous allons accepter ce genre de pratiques. Nous allons en rester à des réglementations qui sont d'abord édictées par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), avec une réglementation européenne en matière de défense commerciale, que nous souhaitons d'ailleurs voir renforcée. C'est un autre débat que celui du TTIP, mais nous souhaitons que l'Union européenne renforce sa défense commerciale, et davantage vis-à-vis de la Chine que des États-Unis.
Cela étant, les recours antidumping vis-à-vis des produits américains existent et cela ne changera pas. Dès lors que des entreprises américaines décident de vendre à l'exportation moins cher que sur leur marché domestique, c'est du dumping et cela doit être condamné. Le TTIP n'y changera rien. Ces pratiques seront toujours condamnables et condamnées, suite aux plaintes déposées par des industriels européens, et notamment français, vis-à-vis d'entreprises américaines.
J'en viens au volet réglementaire et au risque de se retrouver avec des produits américains potentiellement dangereux.
On a toujours l'impression que le marché américain est un marché où on fait tout et n'importe quoi en matière de chimie. Ce n'est pas vrai. Il y a des réglementations américaines, qui vont perdurer, comme les réglementations européennes. Les produits chimiques américains ou contenant des produits chimiques américains auront toujours à se conformer aux réglementations européennes. Ce n'est pas le TTIP qui va changer les choses. Le règlement REACH s'applique à tous, avant tout aux producteurs européens, mais aussi aux importateurs. Les entreprises américaines doivent déjà se conformer à la réglementation REACH et elles le font. Elles sont obligées de s'enregistrer et d'évaluer leurs produits chimiques selon les préceptes de la réglementation européenne, et cela ne changera pas. En tout cas, nous ne souhaitons pas que cela change. Nous avons la liberté, nous, Européens, de réguler comme nous le voulons à ce niveau-là, comme les Américains ont, de leur côté, la possibilité de réguler. Les produits que nous exportons vers les États-Unis doivent se conformer au TSCA américain, et cela continuera d'être le cas.
Il n'y aura pas d'abaissement des normes et des standards à ce niveau. Nous allons plutôt préserver l'existant. Nous devons avoir des garanties en la matière. C'est ce que nous demandons aux négociateurs européens : il ne faut pas négocier le règlement REACH.
En ce qui concerne les éventuels recours d'entreprises américaines vis-à-vis des réglementations européennes, ce qui a été proposé par la Commission européenne en termes d'instance internationale peut être une solution. Certes, cela prendra du temps à se mettre en place. On voit, au niveau international, comment cela se passe au niveau de l'OMC ; même si l'organe de règlement des différends fonctionne très bien, cela reste un dispositif assez lourd. Mais cela peut être une solution de sortie, pour apaiser les craintes, que je comprends parfaitement, de certains acteurs, de se voir intenter des procès par des acteurs américains. Nous aurons une instance qui sera reconnue par tous, avec des juges également reconnus, ce qui nous permettra d'avoir des recours qui seront acceptés par tous.
Je ne connais pas, pour l'instant, la position américaine. Je sais que la Commission européenne a fait cette proposition, qui reprend celle de M. Matthias Fekl. Reste à voir comment elle sera acceptée du côté américain. En tout cas, c'est une bonne base de discussion. Voilà pourquoi il ne faut pas geler les négociations.
En ce qui concerne l'impact économique, il y a eu, au niveau du Conseil européen de l'industrie chimique, une estimation de l'impact que peut avoir cet accord sur les exportations européennes de produits chimiques. L'augmentation des exportations a été estimée à environ 9 % par an pour l'industrie chimique européenne. Comme je vous l'ai dit, l'industrie chimique française est la deuxième en Europe, après l'Allemagne. Par conséquent, une part de ces exportations concernera les industriels français.
Par ailleurs, un certain nombre d'investissements se font de part et d'autre de l'Atlantique, qui sont déjà pour nous autant de gains potentiels. Les acteurs américains sont très présents et ont construit des usines en France. La société américaine Hexcel, par exemple, a investi à Roussillon pour créer une nouvelle usine, qui va employer 200 personnes. Les échanges se font déjà, et l'on peut s'attendre à voir les investissements de part et d'autre de l'Atlantique facilités, tout comme les exportations.
Une étude a été réalisée sur l'ensemble de l'économie française, dont il ressortait que le TTIP permettrait une hausse du PIB de 1,1 % à l'horizon 2027 pour l'Union européenne. Parmi les secteurs européens qui augmenteraient le plus leurs exportations, selon des études qui ont été faites par différents instituts et un rapport de Natixis, qui a été publié sur l'étude d'impact du TTIP, figurerait la chimie, qui ferait partie des trois ou quatre secteurs qui en bénéficieraient. On estime que le gain serait de l'ordre de 9 à 35 milliards d'euros pour la filière. La France en bénéficierait naturellement, même si elle n'est pas forcément l'État membre qui profiterait le plus de l'impact positif de ces accords : les exportations françaises de produits chimiques et pharmaceutiques pourraient augmenter, par l'effet du TTIP, de 2,32 milliards d'euros.
S'agissant des investissements, je rappelle que les États-Unis restent le premier investisseur en France, et que la chimie est un des secteurs privilégiés des investissements américains en Europe, en particulier en France. Nous ne partons pas de zéro. Les États-Unis sont un partenaire très important pour nous. Le TTIP devrait permettre de faciliter nos exportations, ainsi que les investissements, des deux côtés de l'Atlantique. Plusieurs entreprises de la chimie française ont déjà investi aux États-Unis et y ont créé des usines.