Intervention de Esther Jeffers

Réunion du 23 mars 2016 à 10h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Esther Jeffers, maître de conférences à l'Université Paris :

Je vous remercie pour cette invitation. Étant donné la brièveté du temps qui m'est imparti pour traiter d'un sujet aussi vaste, mon exposé sera forcément ramassé.

La situation financière internationale se caractérise en premier lieu par la grande volatilité des cours boursiers, comme le montre l'évolution du Dow Jones et du CAC40 ; une succession de plongeons et de remontées, avec de brusques variations, entraînent une grande instabilité. Ainsi le CAC40 a-t-il perdu 21,3 % au cours des dix semaines écoulées entre novembre 2015 et le 11 février 2016 ; quant au Dow Jones, il a gagné 11,3 % entre août et novembre 2015 avant de les reperdre puis de remonter. Sans même parler de la chute de 40 % de la Bourse chinoise cet été, cette volatilité crée une grande incertitude.

Une autre caractéristique de la situation présente est l'abondance de liquidités, en raison de la politique suivie par les banques centrales. Mais, malheureusement, l'objectif assigné par la Banque centrale européenne (BCE) – que ces liquidités aillent vers l'économie réelle – n'a pas été atteint. Comme le constate le Haut Conseil de stabilité financière, le crédit bancaire n'a pas augmenté au point de présenter un risque systémique, mais le but de la politique monétaire suivie – faire repartir l'économie européenne – n'est pas atteint : l'économie réelle étant incapable d'offrir aux investisseurs la rentabilité à court terme que propose la sphère financière, c'est vers elle que les liquidités se dirigent. Il résulte donc de cette politique monétaire que l'inflation constatée n'est pas, contrairement à ce qui était escompté, celle du prix des biens et des services, que l'on souhaitait voir s'établir à 2 %, mais l'inflation des actifs financiers. C'est grave, car c'est le signe que des bulles se forment.

La situation financière internationale se caractérise aussi par la forte volatilité des capitaux. La liquidité abondante part vers les économies des marchés émergents lorsqu'elles sont en bonne santé et en repartent très brusquement lorsque la situation se détériore, accroissant la déstabilisation des économies considérées. Les sorties de capitaux des pays émergents ont ainsi été de 540 milliards de dollars en 2015.

On note encore la chute considérable du prix des matières premières : en trois ans, le prix du baril de pétrole a perdu les trois quarts de sa valeur et le prix des matières premières a suivi. Cette très forte instabilité entraîne celle des cours de change, des liquidités abondantes fuyant vers les marchés obligataires, considérés plus stables, où se forme une bulle.

Autre caractéristique encore : le ralentissement de la croissance en Chine et la dégradation des économies des pays émergents, tel le Brésil, mais aussi des pays développés, dont les États-Unis, où la croissance – qui s'était d'ailleurs construite sur la détérioration continue des conditions de travail – s'essouffle.

Les taux d'intérêt extrêmement bas et les liquidités injectées par l'assouplissement quantitatif – le quantitative easing – alimentent la bulle obligataire, qui continue de gonfler. La faiblesse des taux a aussi pour conséquence que les risques ne sont pas correctement valorisés par les marchés. La baisse des taux provoque par ailleurs la baisse des primes sur toutes les classes d'actifs.

La remontée des taux provoquerait des pertes colossales ; elles seraient portées par les investisseurs institutionnels et par les banques, ce qui aggraverait la situation.

Enfin, les dettes privées et publiques n'ont pas été apurées, et il existe encore des créances douteuses au bilan des institutions financières.

Parant au plus pressé, les banques centrales ont injecté énormément de liquidités dans l'économie, mais cette débauche de sparadrap n'a pas résolu la crise, et l'on n'est pas près de voir la situation changer. Les banques centrales ont même créé les conditions d'une nouvelle crise. Je ne saurais dire de manière catégorique s'il s'agit d'une nouvelle crise ou de la même qui n'en finit pas ; quoi qu'il en soit, les prémices d'un approfondissement ou d'un rebond de la crise sont, selon moi, réunies.

Quelles réflexions appellent cette situation ? Le constat s'impose d'abord que la politique monétaire ne peut à elle seule régler tous les problèmes. L'inflation des actifs financiers, prémices d'un nouveau krach, augmente le patrimoine des plus riches et accroît les inégalités sociales. Les salaires réels restant à un niveau bas, non seulement l'objectif d'une remontée de l'inflation n'est pas atteint mais celle-ci recule. C'est un constat d'échec des politiques monétaires appliquées aujourd'hui.

D'autre part, les politiques d'austérité menées en particulier par les gouvernements européens – elles ne sont pas conduites de la même manière aux États-Unis – sont contre-productives au sens littéral : elles ne permettent pas de sortir de la crise et elles mettent en contradiction la politique monétaire et la politique budgétaire. On ne marche pas sur les deux pieds en même temps.

Si krach il y avait, il serait beaucoup plus dangereux qu'en 2007-2008, car les budgets des États ne permettraient pas les mêmes sauvetages que ceux qui ont eu lieu alors.

Les promesses de réforme des établissements bancaires et des marchés financiers n'ont pas été tenues. Faute d'avoir été menées à leur terme, elles n'ont pas permis de changements importants. Les banques doivent retrouver leur vrai métier, l'intermédiation. Paradoxalement, alors que la crise de 2008 a mis en évidence la notion de banques « trop grandes pour faire défaut » – too big to fail –, les banques sont aujourd'hui plus grosses et donc plus systémiques qu'elles ne l'étaient alors. La séparation des banques d'affaires et des banques de dépôt n'a pas été faite, si bien que le système bancaire continue d'être en danger.

Les crédits ne doivent pas être transformés en titres négociables ; en tout cas, les banques qui les ont émis doivent continuer d'assumer le risque auquel elles ont consenti.

Enfin, la réglementation micro-prudentielle engagée a concerné les banques mais rien n'a été fait au sujet des entités non bancaires – le shadow banking, dit aussi « finance parallèle ». Le principe devrait être adopté, au niveau européen, que la régulation doit être identique pour une activité donnée, que l'entité qui l'exerce soit une banque ou une « non-banque », puisque toutes sont interconnectées, ce qui est un danger en soi. De ce point de vue, la France se fait particulièrement remarquer par l'opacité de l'interconnexion entre les banques et la finance parallèle. La réglementation micro-prudentielle a fait un début de progrès, mais les non-banques y échappent entièrement et, en dépit de demandes répétées, on ne parvient pas à connaître leurs liens avec les établissements bancaires réglementés.

Il convient enfin de s'interroger sur le statut et la puissance de la BCE. Selon moi, une refondation totale de ses objectifs et de son fonctionnement s'impose. Puisque, jusqu'à présent, la réglementation a fait très peu au niveau macro-prudentiel pour améliorer la stabilité du système financier international, je considère notamment qu'il faut inclure dans son mandat la surveillance de l'évolution du prix des actifs financiers et non, seulement, celle des prix et des services.

Je le redis, c'est le couplage de la politique monétaire et de la politique budgétaire qui fait la force d'une politique économique. Pour l'instant, la politique monétaire a été beaucoup utilisée mais elle se trouve en échec. Il faut donc utiliser davantage la politique budgétaire, en décidant d'investissements correspondants davantage aux besoins écologiques et sociaux des populations, qui sont nombreux – mais c'est là votre domaine de compétence, non le mien.

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