Je considère que le risque d'une nouvelle crise existe.
Je suis d'accord avec M. Artus : lors de la dernière crise, il fallait sauver les banques et l'ensemble du système financier. Agir autrement eût été irresponsable car toute la société aurait subi les conséquences d'un effondrement. Cela étant, mes critiques n'en sont pas moins très importantes. Elles ne portent pas sur la nécessité du sauvetage mais sur la manière dont il a été conduit : aucune contrepartie n'a été exigée, en dépit de l'aléa moral. Le système financier est en grande partie responsable du poids que fait peser sur la société la crise de l'endettement des États. Sans laisser les banques se noyer, il fallait leur demander des contreparties et trouver les moyens d'éviter que les dérives se reproduisent.
Les promesses de réforme profonde du système bancaire n'ont pas été tenues : je le répète car cela me tient à coeur, le problème du « too big to fail » n'est pas résolu, les entités sont devenues plus grandes qu'avant la crise et plus systémiques ; la séparation des banques d'affaires et des banques de dépôt a fait l'objet d'une réforme a minima qui n'est pas satisfaisante ; les liquidités n'ont pas été transmises à l'économie réelle.
Au début des opérations de refinancement, la BCE faisait valoir, face aux critiques, qu'il n'était pas possible de faire autrement. Or, la deuxième génération de long term refinancing operations (LTRO) a montré que c'était possible puisque ces opérations étaient ciblées. Toutefois, ce ciblage n'a pas eu de conséquences, ce qui montre les limites de la politique monétaire.
S'agissant de l'interconnexion entre les banques et le shadow banking, contrairement à ce que dit M. Artus, ce dernier existe et se porte très bien. Je vous recommande à ce sujet la lecture de deux papiers, l'un du FMI, l'autre du Financial stability board. Le shadow banking existe. Mais, puisque certains pensent qu'il n'existe pas, il nous faut désormais trouver des indicateurs qui permettent d'appréhender l'interconnexion avec les banques. Je plaide pour une plus grande transparence dans les liens entre les banques et les non-banques, notamment parce qu'une partie des activités de ces dernières sont logées à l'intérieur même des banques, notamment françaises du fait du modèle de banque universelle. J'ajoute que des créances douteuses demeurent dans le bilan des banques. Il suffit de voir comment la Société générale ou d'autres banques françaises sont chahutées.
Il est faux de dire que la titrisation n'existe plus. J'en veux pour preuve la présentation d'un plan de relance de la titrisation par l'autorité bancaire européenne, qui vise à créer un marché des capitaux unique et à substituer la titrisation à l'intermédiation bancaire.
Il ressort de l'enquête trimestrielle de la Banque de France auprès des entreprises sur leur accès au financement bancaire que, pour le quatrième trimestre 2015, « 94 % des PME obtiennent les crédits d'investissement souhaités ». Le déficit d'investissement n'est donc pas imputable à un manque de crédit mais à la situation économique, qui n'incite pas à produire et à investir. Les entreprises font autre chose de leurs profits qu'investir dans l'appareil productif. Avec un taux de croissance aussi faible, il n'est pas possible de servir une rentabilité par l'activité productive. La sphère réelle n'est pas en mesure aujourd'hui d'offrir la même rentabilité à court terme que la sphère financière. C'est la raison pour laquelle les capitaux vont vers la sphère financière.
Dans les trois dernières opérations de refinancement de la BCE, aucune condition n'est imposée, aucune sanction n'est prévue. Si les banques n'atteignent pas leurs objectifs de financement de l'économie réelle, elles n'ont qu'à rembourser leurs prêts, sans encourir la moindre sanction.
Les risques demeurent, notamment à cause de l'absence de réglementation du shadow banking.
Associer politique monétaire expansionniste et politique budgétaire restrictive me semble porter une contradiction. Il ne faut pas se priver de l'outil de la politique budgétaire. D'autres modèles de croissance ou d'autres investissements doivent être soutenus face à la nécessaire transition écologique. Un programme de relance pourrait satisfaire les besoins de cette transition mais aussi les besoins sociaux – hôpitaux, accueil de la petite enfance et prise en charge de la dépendance –, autant d'activités qui ne sont pas délocalisables.
Je laisse M. Artus évoquer la Chine car je sais que ce sujet le passionne.