Intervention de Capitaine de vaisseau Marc Véran

Réunion du 23 mars 2016 à 16h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Capitaine de vaisseau Marc Véran, chef du pôle information, en charge de la politique des hauts potentiels des armées :

C'est un honneur pour nous de pouvoir vous éclairer sur la formation continue et la sélection des élites militaires, mais aussi civiles, au ministère de la défense.

Les armées ont une tradition ancienne de formation continue, dont la seule finalité est de permettre le succès en opération, celle-ci ayant pour dimension particulière la possibilité d'y mourir. Nous entretenons et adaptons un système lié à cette singularité, et tenons compte du milieu et d'une certaine homogénéité dans le recrutement. Nous avons mis en place une sélection continue exigeante, qui va du terrain des opérations aux postes en administration centrale où les militaires se retrouvent tous un jour. La mobilité interministérielle est faible, la mobilité extérieure restant anecdotique et conçue dans le cadre de parcours très particuliers.

Il faut 25 ans et de nombreuses épreuves de sélection pour former un commandant de sous-marin nucléaire ; dans ma promotion de l'école navale, dix militaires se sont inscrits dans cette filière et seuls deux sont devenus commandants d'un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE). Cette formation a un coût, et l'on ne doit pas échouer ne serait-ce qu'à cause de la charge financière représentée par un SNLE.

Les armées sont engagées dans un processus de transformation lourde qui se poursuit actuellement dans des chantiers dirigés par l'inspection des armées et par des mandats transverses lancés en 2014 par le chef d'état-major des armées (CEMA) auprès de la direction du renseignement militaire supérieur. On cherche à optimiser, à rationaliser et à trouver des synergies multiples. L'IHEDN poursuit sa mutation. L'institut perdra deux postes en 2016, deux autres en 2017, et verra sa subvention pour charge de service public réduite. L'idée est de trouver des ressources ailleurs et de se concentrer. Plusieurs autres audits sont réalisés sur le haut encadrement militaire, l'encadrement militaire supérieur et les officiers généraux.

Toutes les organisations publiques et privées assurent un module de formation pour les cadres dirigeants visant à détecter et à valoriser les talents. La cartographie de ces formations s'enrichit chaque jour, avec par exemple, l'Institut des hautes études de l'entreprise (IHEE) et le Centre des hautes études du ministère de l'intérieur (CHEMI) qui a repris le modèle du Centre des hautes études militaires (CHEM).

Le 8 mars dernier s'est tenue la réunion annuelle de l'Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes sous la présidence du ministre, au cours de laquelle a été rappelée la volonté de poursuivre la féminisation de l'encadrement supérieur dirigeant. Une femme se trouve d'ailleurs au CHEM actuellement. Les femmes n'ont été admises aux postes d'officiers à l'école navale qu'en 1993, si bien que les premières d'entre elles arriveront bientôt au CHEM, que l'on intègre autour de 45 ans.

Vus du CEMA et des chefs d'état-major militaire, les enjeux s'avèrent multiples et conditionnés par la singularité militaire. Ils tiennent aux exigences du métier et à la volonté de disposer du meilleur officier pour chaque poste, ce qui a conduit à déployer une logique de parcours, d'assimilation des compétences et de détection des hauts potentiels jusqu'au poste d'officier général. Il faut disposer à chaque étape d'une carrière des officiers formés au juste besoin, c'est-à-dire au niveau des responsabilités qu'ils vont exercer ; on ne demande en effet pas le même recul ni la même hauteur de vue à un jeune officier sur un bateau qu'à un colonel. Chacun est évalué dans son poste et reçoit l'instruction nécessaire par strate.

Les cadres dirigeants militaires doivent avoir des aptitudes de manager et sont préparés pour assumer demain leur responsabilité de commandement en état-major ou en administration centrale. On introduit la notion de haut potentiel, le leadership étant important, car l'on souhaite disposer de commandants sachant prendre des décisions.

Nous nous assurons de l'adéquation du haut encadrement militaire – colonels, capitaines de vaisseau et officiers généraux – avec les besoins futurs établis par un exercice de prospective ; en outre, nous veillons à leur reconnaissance au sein de l'institution militaire.

Comme il faut pouvoir agir très vite et s'adapter à la mobilité et à la plasticité du contexte, la politique des hauts potentiels des armées est directement placée sous l'égide du CEMA. Rénovée en 2009, 2014 et 2015, le CEMA fixe les ambitions de cette politique dans un souci d'efficience et de subsidiarité. Le dispositif, unique et commun aux trois armées, repose sur des grands principes et deux niveaux d'action complémentaires. En raison de la mobilité existant au ministère de la défense, le dispositif doit s'intégrer à celui des cadres dirigeants de l'État.

Nous insistons également sur le renforcement de l'interopérabilité avec nos alliés, sur l'enrichissement des expériences étrangères et sur l'intégration d'officiers des pays avec lesquels nous conduisons des opérations. Nous veillons aussi à assurer l'égalité des chances selon les mérites de chacun, homme ou femme.

Les enjeux du CEMA sont déclinés dans un document de politique des hauts potentiels et des très hauts potentiels qui date du 17 décembre 2015.

La formation continue des officiers repose sur les principes de parcours qualifiant, de logique d'emploi et de potentiel à développer au juste besoin. La formation militaire de premier degré concerne des postes technico-tactiques – chef de section, commandant de petit bâtiment ou chef de service sur un petit bateau – et se trouve dispensée par des écoles techniques pendant les dix à douze premières années de la carrière. Ensuite a lieu l'école de guerre – ou ses équivalents – dont on suit l'enseignement pendant un an ; elle prépare à des grands commandements ou à des postes en état-major, elle permet de développer une hauteur de vue et ouvre vers les premiers postes en interarmées. Enfin, pour le haut encadrement militaire, il y a l'enseignement militaire de troisième degré (EMS 3).

À chacune de ces étapes, la formation et la performance dans l'emploi à l'issue de l'enseignement sont évaluées et suivies sous diverses formes – notation, entretiens de carrière et collège de classement des officiers. Ce dispositif, globalement commun à chaque armée, suit une logique de milieu.

La politique des hauts potentiels ne se déploie qu'à partir de l'école de guerre, moment où est délivré le premier signal officiel interarmées pour les 300 militaires qui la suivent chaque année, à un âge compris entre 33 à 35 ans. Les officiers détectés à cette occasion feront l'objet d'un suivi particulier, effectué, conformément au principe de subsidiarité, au niveau des directions des ressources humaines des chefs d'état-major d'armée. On évalue et classe ces officiers avant de les orienter entre huit domaines de parcours différents, dont le nucléaire, les systèmes d'information, le renseignement, les opérations, le soutien et les ressources humaines. En sortant de l'école de guerre, les officiers occupent un poste qui leur donne une première dominante de carrière, en particulier s'ils appartiennent à la catégorie des hauts potentiels. Le CEMA n'effectue pas de suivi nominatif, mais s'assure que le flux de ces officiers à haut potentiel permette de pourvoir à terme les postes de chef des huit domaines.

Au passage au grade de colonel, effectué en moyenne à l'âge de 42 ans, une nouvelle étape se met en oeuvre à partir de l'analyse des postes d'officiers généraux à pourvoir. Elle permettra de distinguer les officiers à très haut potentiel de ceux à haut potentiel. La centaine de très hauts potentiels pourra prétendre aux dix postes sommitaux des armées : le CEMA, le major général des armées, les trois chefs d'état-major d'armée, les trois majors généraux d'armée, le poste commandant suprême allié Transformation de l'OTAN (SACT) et le chef d'état-major particulier du président de la République. Le CEMA et les chefs d'état-major des armées suivent nominativement ces très hauts potentiels ; les autres restent dans le vivier des officiers à haut potentiel et dans une logique de parcours, et ont la perspective d'occuper un poste d'officier général dans leur domaine de compétence. Il y a perméabilité entre les deux catégories, un officier pouvant se révéler quand un autre pourrait devenir moins performant.

Les officiers à haut potentiel sont suivis nominativement dans des comités d'armée présidés par le chef d'état-major d'armée. De mon côté, j'anime au CEMA le comité des hauts potentiels des armées qui s'assure du volume et de la qualité des officiers généraux disponibles. Les officiers à très haut potentiel sont suivis individuellement par les chefs d'état-major d'armée dans un comité spécial présidé par le CEMA avec le directeur du service du commissariat des armées (SCA). Ils font l'objet d'évaluations croisées et à 360 degrés – par leurs pairs, leurs supérieurs et leurs subordonnés – et suivent des parcours particuliers. On analyse leur cursus passé et futur, et l'on regarde ce qui leur manque pour assumer totalement leurs futures fonctions. L'effectif est modeste (cent officiers), comme le sont les flux puisque chaque armée ne peut pas y faire entrer plus de cinq officiers par an.

La sélection pour le CHEM et l'IHEDN est effectuée par le comité des officiers à haut potentiel des armées, présidé par le CEMA. Les officiers étrangers présents au CHEM appartiennent également à la catégorie des officiers à haut potentiel dans leur pays, leur intégration étant visée par le cabinet du ministre puis transmise au Premier ministre. Le CHEM et l'IHEDN sont les structures privilégiées pour la formation des officiers généraux et de l'élite militaire. Il n'y a que 19 places pour les officiers français au CHEM, mais le parcours vers le généralat peut également reposer sur d'autres formations supérieures de l'enseignement militaire 2 (EMS 2). Celles-ci, pouvant être nationales, sont conçues dans le cadre d'une logique de préparation à l'emploi ou d'acculturation. Ainsi, l'IHEDN armement et économie de défense est destiné aux officiers pouvant être employés dans le domaine capacitaire. Le CHEMI accueille des officiers à qui l'on souhaite donner une meilleure connaissance des équilibres des différentes composantes sécuritaires du territoire national. Le CHEM a noué des partenariats avec des structures internationales comme le National Defense University (NDU) américain, le Royal College of Defence Studies (RCDS) britannique, qui se situent au niveau du CHEM, et, à un niveau inférieur, le NATO Defence College et les équivalents italien et allemand du CHEM. Enfin, il existe des formations à l'emploi ou d'acculturation à un pays pour les officiers prenant un poste d'attaché de défense à l'étranger.

Nos officiers à haut potentiel sont employés aux postes clefs du ministère de la défense ou des armées. Les postes offerts aux colonels et aux capitaines de vaisseau, répertoriés dans un catalogue évalué chaque année et refondé régulièrement, revêtent une importance majeure. Après les deux ou trois postes effectués à l'issue du CHEM, on étudie en priorité la candidature de ces officiers pour l'accès au généralat. Il est logique que ces officiers ayant bénéficié de parcours et de formations particuliers aient accès prioritairement à une échelle de solde dite B, qui traduit les responsabilités qu'ils occupent.

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