Intervention de Emmanuel Barbe

Réunion du 22 mars 2016 à 16h00
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière :

S'agissant du cycle à 160 kilomètres à l'heure, bien que nous ne fussions pas concernés au premier chef, nous avons été saisis : nous avons exprimé notre plus totale opposition. Ce cycle était demandé par les constructeurs allemands, alors qu'il désavantage les constructeurs français dont les moteurs ne sont pas conçus pour avoir de tels rendements. La négociation s'est déroulée en comitologie ; je n'en étais pas directement chargé. La France a voté pour un texte permettant de ne pas l'imposer à tous, un compromis tel qu'on les pratique à Bruxelles avec la formule « sous réserve de la législation nationale ». La difficulté provient toujours de ces tronçons d'autoroutes allemandes sur lesquels la vitesse n'est pas limitée.

Des améliorations apportées à la conception des véhicules ont eu des résultats très positifs sur l'accidentologie. Je pense à la capacité d'absorption des chocs par la carrosserie, à la ceinture de sécurité, en particulier au pré-tendeur. D'autres ont porté sur la sécurité active, tels les systèmes antiblocages des roues ABS et EBR, et demain le système de freinage automatique d'urgence AEB qui permettra de diminuer le temps de réaction d'une seconde. Toutefois, ces progrès n'ont d'intérêt que s'ils sont assimilés par des conducteurs prudents. Les débuts de l'ABS ont montré que des conducteurs roulaient plus vite, car ils pensaient freiner mieux, ce qui est évidemment faux puisque le système ne diminue pas la distance de freinage. En 2014, 400 personnes sont décédées parce qu'elles n'étaient pas attachées. Les constructeurs nous aident en équipant toujours plus les voitures de dispositifs telle l'alerte sonore, qui devient de plus en plus entêtante tant que la ceinture n'est pas attachée à l'avant. Il reste cependant des conducteurs qui fixent la ceinture dans leur dos. La sonnerie pour les ceintures placées à l'arrière du véhicule sera bientôt obligatoire ou devrait progresser.

On constate généralement qu'il faut une vingtaine d'années pour que les équipements de sécurité au départ installés sur les modèles haut de gamme deviennent obligatoires. Petit à petit, ces normes sont intégrées par les autorités européennes. Les ministres Ségolène Royal et Bernard Cazeneuve ont transmis à ces autorités un courrier, rédigé par nos soins, demandant que toute une série d'équipements de sécurité devienne obligatoire. Par ailleurs, très récemment, certains constructeurs se sont engagés, de leur propre initiative, à ne plus produire que des véhicules dotés du système AEB. Il m'a été donné de tester ce système dont les performances sont très impressionnantes.

Les dispositifs de sécurité sont très onéreux, l'entreprise Faurecia a dû vous le dire. Le dernier modèle haut de gamme et le plus cher de BMW donne l'image des équipements qui seront disponibles sur tous les véhicules dans vingt ans. Cette évolution sera constante.

La vraie question aujourd'hui est de parvenir à ce que les gens ne roulent pas trop vite. Je ne vais pas éluder votre remarque : il existe un lien entre la puissance des véhicules et l'excès de vitesse, et cela peut être démontré. Je ne suis pas en mesure de publier les statistiques dont je dispose, car il manque un correctif important qui est le nombre de kilomètres parcourus par chaque modèle. C'est pour cela que nous demeurons prudents dans nos publications. Néanmoins, il est vrai que les voitures les plus puissantes sont plus régulièrement « flashées » que les modèles courants. Je ne souhaite pas entrer dans le débat sur l'opportunité d'interdire les véhicules capables de dépasser 130 kilomètres à l'heure. Des recours auprès du Conseil d'État ont été tentés contre des constructeurs, mais un certain nombre de principes juridiques ont conduit à choisir de ne pas interdire les véhicules puissants.

Nous privilégions une politique de radars bien pensée, susceptible de dissuader les conducteurs de rouler vite, aussi ces considérations me dépassent-elles. Je refuse toutefois de penser que la politique de sécurité routière puisse être conçue sans prendre en considération la vie sociale dans sa globalité. Sinon, je pourrais dire qu'à mes yeux, la situation idéale est l'embouteillage : il y a très peu d'accidents à Paris, par exemple. Mais cela reviendrait à s'opposer à toute mesure tendant à rendre la circulation plus fluide. Les politiques de sécurité routière ne doivent pas être absolutistes, et il est indispensable que les 45 millions d'usagers de la route y adhèrent. Qui plus est, des urbanismes se sont développés autour de l'usage de l'automobile ; il n'est donc pas possible de l'abandonner du jour au lendemain.

À l'avenir beaucoup de progrès procèderont de la conception même du véhicule, tels les dispositifs de lutte contre la somnolence, de plus en plus perfectionnés : ils devraient beaucoup sécuriser la conduite sur autoroute. De notre côté, nous allons rendre disponible en open data un registre des vitesses maximales autorisées sur les routes françaises et consultable sur GPS afin que tous les conducteurs soucieux du respect de ces limitations – et ils sont nombreux – puissent disposer d'une information qui n'est pas toujours évidente.

Le développement de systèmes tel l'AEB interurbain, comme tous les systèmes de freinage automatique anticipant les réactions, ou des systèmes d'éclairage laser qui permettent de rouler en permanence comme en pleins phares, concourent à l'amélioration de la sécurité routière. De ce point de vue, les constructeurs ne sont pas en reste.

Indépendamment des questions de puissance des véhicules qui me dépassent, j'ai été frappé, au Salon de Francfort, de constater à quel point on s'efforce aujourd'hui d'imaginer une voiture qui serait un smartphone à quatre roues. En termes de sécurité routière, cela est problématique : certains modèles proposent des écrans immenses, disposant de fonctions tactiles très complexes ne pouvant que distraire le conducteur ; dans certaines publicités récentes, les automobilistes sont incités à téléphoner ou composer des SMS au volant. J'ai eu l'occasion de faire part de mes réserves aux constructeurs intéressés.

La question du téléphone au volant n'est pas tant celle d'avoir l'appareil en main que celle de la disponibilité du cerveau humain qui, contrairement à ce que l'on croit, n'est pas multitâches : il n'a pas la capacité de consacrer suffisamment de ressource à chacune des deux activités. Il aurait peut-être fallu poser cette interdiction il y a trente ans.

Aujourd'hui, cela serait socialement complexe. On a su interdire les oreillettes, mais aucun pays n'a interdit de téléphoner, d'autant qu'il serait impossible de vérifier l'infraction. Il ne me semble pas souhaitable d'adopter des normes qui ne sont pas contrôlables : cela affaiblit l'État comme la règle.

S'agissant du véhicule autonome, les conventions internationales en vigueur exigent la permanence d'un contrôle humain du véhicule ; une voiture sans conducteur ressemblerait à la Google car, automobile dépourvue de volant et de freins, et aménagée comme un salon. Les textes internationaux autorisent déjà l'expérimentation du véhicule autonome, mais ils doivent encore évoluer afin de ne pas entraver les recherches et les essais. Les États-Unis, qui n'ont pas ratifié exactement les mêmes conventions, sont en avance dans ce domaine. Aujourd'hui, on ignore comment un tel véhicule qui serait autorisé en France pourrait circuler, voire même exporté, dans les autres pays européens. Les pays se vivant comme un continent en soi auront plus de facilité à s'affranchir des barrières réglementaires et légales. Les grands équipementiers, tel que Faurecia, sont intéressés par le véhicule autonome ; il me paraît important que la réglementation européenne puisse évoluer afin de ne pas brider l'innovation dans ce domaine. Les administrations des pays membres devraient mieux se coordonner sur ce sujet dont l'Europe doit s'emparer.

Nous publions les résultats de nos travaux dans le rapport de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONSIR). Nous essayons d'estimer la part de défaillances mécaniques dans le nombre total des accidents de la circulation : elle est évaluée de 1 % à 2 %. Toutefois, il faut être conscient que, sauf circonstances le justifiant – l'accident de Puisseguin en Gironde où le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) est intervenu, par exemple –, des analyses approfondies du véhicule sont rarement effectuées à l'occasion d'un accident de la route. Qu'il s'agisse d'automobiles ou de deux-roues, cette estimation appelle la plus grande prudence, le nombre d'accidents mortels étant trop élevé pour que des recherches très poussées soient possibles, mais mon sentiment est que le taux de défaillance mécanique est plus élevé que l'on ne pense couramment.

À M. Menuel, je répondrai que j'ai évoqué les évolutions que nous appelons de nos voeux, et rappellerai que si nous construisons de bonnes routes, par exemple, les conducteurs peuvent être tentés de rouler vite. Aussi, les progrès réalisés peuvent se révéler contre-productifs si les règles de la sécurité ne sont pas intériorisées par les usagers.

L'expérimentation du passage de la limitation de vitesse de 90 à 80 kilomètres à l'heure doit s'étendre sur deux années. À ce stade, les résultats demeurent délicats à analyser. Aussi, compte tenu des aspects polémiques caractérisant la question, je préfère rester prudent et ne pas communiquer de données.

Une mission composée de plusieurs inspections générales, dont celle des finances et celle de l'administration (IGA), et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) notamment, travaille à la question du contrôle des poids lourds. La compétitivité de nos entreprises de transport est en cause, car une forte rupture de la concurrence est observée : les règles de conduite comme la réglementation relative à l'état des véhicules ne sont pas respectées. On constate que certains camions sont vétustes et mal entretenus, le coût d'achat est moindre, ce qui fausse la concurrence, et, par ailleurs, se révèle très dangereux. Beaucoup de contrôles sont effectués par la gendarmerie en lien avec les directions départementales des territoires. Des logiciels sophistiqués, à la conception desquels participe le ministère des transports, permettent, par aspiration des données, d'établir une analyse de la conduite du chauffeur et de le verbaliser pour non-respect des temps de conduite qui auraient été commis dans d'autres pays. Je concède cependant que nous souffrons d'un relatif manque de moyens au regard du nombre des poids lourds concernés.

Le rôle de cette mission est donc de mieux coordonner les différents services et administrations afin d'améliorer le contrôle. Par ailleurs, les législations les mieux conçues et les plus strictes s'appliquent à certaines tailles de camions. Or, dans certains pays où la main-d'oeuvre est très peu chère, ces lois sont contournées par le recours à des véhicules utilitaires qui n'y sont pas soumis. Cette situation est préoccupante, et nous constatons un accroissement des accidents mortels dans lesquels les véhicules utilitaires sont impliqués.

Au regard du nombre de kilomètres parcourus, les poids lourds, conduits par des professionnels de la route, ne sont pas à l'origine d'un nombre élevé d'accidents, même si lorsque ceux-ci surviennent, ils sont souvent cause de la mort de tierces personnes. Les véhicules légers connaissent le plus fort taux d'accidents – actuellement en hausse, hélas ! –, ce qui ne saurait surprendre puisqu'ils sont largement plus nombreux à circuler.

En ce qui concerne le véhicule autonome, il est vrai que les investissements à réaliser seront considérables, mais ils ne porteront pas nécessairement sur la voirie. J'ai plutôt vu qu'on établissait une cartographie routière très précise. Beaucoup reste à faire, mais il n'est pas douteux que la technologie parvienne à ses fins. J'en veux pour preuve cette machine qui a récemment battu un joueur de go à plusieurs reprises. Reste le problème de l'évolution du parc et de l'interaction entre voitures classiques et véhicules autonomes. Ainsi, l'entreprise Valéo a placé dans le système de freinage un dispositif adressant des informations au véhicule suivant ; encore faudra-t-il que celui-ci soit capable de les lire.

À mes yeux, ce n'est pas l'investissement qui constituera le premier obstacle au développement du véhicule autonome : l'atavisme humain qui fait que les gens aiment la conduite pèsera bien plus. Ce qui devrait se développer dans les deux prochaines décennies, c'est la conduite automatisée dans les situations rebutantes, tels les embouteillages. Déjà, des dispositifs permettent de régler la vitesse de croisière sur celle du véhicule précédant. De ce fait, la question se pose, en termes de sécurité, de savoir si de tels systèmes ne risquent pas de favoriser la déconcentration des conducteurs.

Enfin, le véhicule autonome ne manquera pas de poser des problèmes de responsabilité assez complexes et de représenter un défi pour les compagnies d'assurances en faisant diminuer le risque, sur lequel précisément est assise leur activité. Des questions éthiques se poseront par ailleurs, car, au moment de l'accident, l'être humain ne réfléchit pas, il commet un acte instinctif, alors qu'un logiciel aura le temps de choisir qui il sacrifie ou qui il tue. La programmation de ces outils sera donc délicate. Une réflexion est en cours entre plusieurs pays sur ces questions qui risquent de se révéler plus complexes que celle des capitaux.

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