Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 15 mars 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement :

Permettez-moi tout d'abord de préciser qu'il n'a pas été débattu du rapport de la Cour des comptes européenne sur la forêt au Conseil, qui portait sur la crise agricole.

La production laitière a augmenté sans discontinuer de 3 à 3,5 % en cinq ou six ans et les débouchés sur le marché chinois se sont avérés moins favorables que ce qui avait anticipé. La consommation de porc, notamment en France, reste stable, voire baisse. L'embargo russe a eu un impact supplémentaire sur une situation déjà dégradée. La viande bovine est touchée par ricochet par les crises de l'élevage, car une partie des abattages en vaches de réforme laitières se retrouve sur le marché de la viande bovine. Ce dernier marché est lui aussi en train de se modifier complètement. Aujourd'hui, 50 % de la viande rouge consommée l'est sous forme de steak haché, ce qui change la structure de production car le steak haché était fait jusqu'alors à partir de vaches de réforme laitières alors que l'on utilise à présent, pour faire face à la demande, de la viande issue du troupeau allaitant. Malgré nos démarches pour ouvrir des marchés à l'exportation sur les bovins vifs, en particulier au Maghreb et en Turquie, la fièvre catarrhale ovine et la grippe aviaire se sont cumulées à la crise de l'élevage à la fin de l'année.

Face à cette situation, 500 millions d'euros ont été débloqués en septembre à la demande de la France, en Conseil extraordinaire, mais l'apport d'argent ne peut résoudre les problèmes si les prix continuent de baisser. Dans certains pays, dont l'Allemagne, au fur et à mesure que les prix baissent, des coopératives indiquent à leurs producteurs que, pour rembourser leurs emprunts, ils doivent augmenter la production : la baisse des prix est compensée par une augmentation du volume, et plus le volume augmente, plus la production pèse sur le marché. Sur la poudre de lait, alors que 40 800 tonnes ont été stockées en 2015, depuis le début de l'année 2016, c'est-à-dire en deux mois et demi, nous en sommes déjà à 52 000 tonnes. J'ai dénoncé ces augmentations de production, notamment auprès de mon homologue irlandais, qui me répond que l'Irlande ne représente que 4 % de la production européenne, mais augmenter la production et solliciter en même temps l'intervention, ce n'est pas de bonne pratique économique.

Nous avons donc recherché des mesures structurelles. Un slogan des agriculteurs pendant les manifestations était : « Nous ne voulons pas des aides mais des prix » . Pour cela, il faut essayer de limiter la production.

Nous avons tout d'abord demandé à la Commission européenne d'admettre qu'à la vitesse actuelle les plafonds européens de 109 000 tonnes sur la poudre et 50 000 tonnes sur le beurre allaient très vite être dépassés. Nous avons ensuite cherché une mesure qui permette de responsabiliser tous les acteurs de la filière laitière pour qu'ils maîtrisent leur production.

Nous avions demandé des plafonds de 160 000 tonnes sur la poudre et 80 000 tonnes sur le beurre, et la Commission européenne les a doublés : 218 000 tonnes sur la poudre et 100 000 tonnes sur le beurre. Preuve, au passage, qu'elle anticipe la mise en intervention. Si nous en étions restés aux plafonds précédents, ceux-ci auraient été dépassés dès le mois d'avril ou de mai, et, après dépassement, le stockage se fait par adjudication au prix le plus bas, ce qui aurait eu un effet dépressif sur les prix.

Nous avons par ailleurs cherché un article qui permette de déroger aux règles de la concurrence. Trois articles étaient à cet égard intéressants : les articles 219 et 221 qui permettent à la Commission européenne, en cas de crise grave, de prendre des décisions par acte délégué ou acte d'exécution sans avoir besoin d'une majorité au Conseil ni au Parlement, ainsi que l'article 222, qui permet à des organisations de producteurs (OP) de maîtriser leur production si elles le jugent nécessaires pour redresser une situation de marché. La France a proposé d'étendre l'article 222 aux coopératives et entreprises privées.

Sur cette base, nous allons chercher à assurer une coordination européenne afin de limiter la production. Je viens de signer un courrier au président de la Commission agricole du Parlement européen pour qu'il convoque – c'est là que ce sera le plus simple – l'ensemble des opérateurs laitiers européens en vue de faire appliquer l'article 222. Je le demanderai aussi à la présidence néerlandaise de l'Union européenne et à la Commission européenne. Avant toute chose, nous devons parvenir à un accord avec l'Allemagne, le premier producteur de lait en Europe, devant la France. Nos deux pays assurant plus de 55 % de la production à eux seuls, un tel accord permettrait de peser sur le marché.

Les Belges ont évoqué l'extension de l'article 222 au porc mais c'est plus compliqué juridiquement. La Commission européenne a décidé de rouvrir le stockage privé et de prévoir des aides à ce stockage afin d'éviter l'engorgement du marché. Il faut également conduire un travail de structuration de la production, d'organisation des producteurs, avec des contrats tripartites à l'échelle régionale, en particulier en Bretagne, pour donner des perspectives à la filière.

Nous avons joint à ces décisions des éléments sur les fruits et légumes demandés par les Espagnols et les Italiens, de façon à obtenir un accord large en répondant aux demandes de ces pays. C'est de bonne politique.

Nous avons également obtenu que les fonds de la Banque européenne d'investissement (BEI) soient mieux mobilisés, pour financer les bâtiments et employer davantage de fonds du FEADER sur les mesures agroenvironnementales (MAE) en particulier. La Commission européenne a en outre accepté de nouveaux systèmes de promotion à l'exportation et nous attendons ses propositions à cet égard.

Nous demandions, avec l'Allemagne, le relèvement des plafonds des aides de minimis versées aux exploitations, jusque-là limitées à 5 000 euros par an et 15 000 euros sur trois ans, mais la Commission a considéré que cela prendrait plusieurs mois à modifier. Nous avons cependant obtenu du Commissaire l'autorisation d'aides nationales supplémentaires de 15 000 euros cette année. Cela va bien nous aider car, en raison notamment des crises sanitaires, beaucoup de nos exploitations sont arrivées au taquet.

Par ailleurs, il existait déjà un observatoire sur le lait et j'ai demandé qu'il en soit créé un sur le porc et un sur la viande bovine. Nous l'avons obtenu.

Enfin, nous avons obtenu l'expérimentation de l'étiquetage. Une dizaine de pays souhaitent aller de l'avant sur la traçabilité, y compris le Royaume-Uni. Nous avons décroché une dérogation ; quand cela se saura, d'autres en demanderont une. Nous nous engageons sur un travail de traçabilité des viandes. Dans notre décret, nous avons précisé que cela s'appliquerait uniquement aux entreprises françaises, pour ne pas être retoqués par la Commission européenne. Cela s'intègre dans la stratégie « Viande de France » ; il est important de conserver le logo, reconnu par quelque 30 % des Français.

En ce qui concerne la politique forestière européenne, il faut bien dire qu'elle n'existe pas vraiment, et qu'aucun pays ne la demande non plus. Ce que nous avons fait – le renforcement de la réglementation sur l'origine des bois, la charte sur la forêt durable… – l'a été à l'échelle française. La seule chose qui a été demandée, il y a deux ans, par l'Espagne et le Portugal, était une politique de lutte contre les incendies de forêt.

La question de l'embargo russe se négociera au plus haut du Conseil européen. J'espère que les choses iront le plus vite possible pour sa levée.

Nous sommes confrontés à une mutation fondamentale et nous allons l'accompagner par l'agro-écologie, qui consiste à utiliser toutes les ressources des écosystèmes avant de solliciter des achats d'intrants ou des corrections de ces écosystèmes. Nous ne pourrons continuer à produire en agriculture comme nous l'avons fait jusqu'aujourd'hui, de manière très intensive en capital, matériel et chimie. La France doit être un leader en agro-écologie. Nous avons, plus de sols et de surfaces que d'autres, et nous devons donc promouvoir l'autonomie fourragère, avec des rotations plus grandes, des couvertures des sols…

Nous sommes déjà engagés dans cette voie, avec quelques exemples qui marchent. Je me suis battu pour la réduction des indices de fréquence de traitement (IFT) dans les zones intermédiaires. Un GIEE de mille hectares et de huit exploitations en Haute-Marne vient d'être primé : il a réduit ses IFT de 20 ou 25 % et multiplié ses rotations, il produit des légumineuses et a donc de l'azote à disposition, et il est passé d'une marge brute de 776 à 985 euros par hectare. Ces chiffres proviennent de la chambre d'agriculture. C'est l'illustration que l'agro-écologie permet d'accroître le rendement et la marge brute.

Je discutais ce matin avec des producteurs bretons du système irlandais. Ils utilisent en Irlande de l'azote minéral et nous allons développer, à partir de légumineuses, des stratégies d'azote issu de la photosynthèse. Ils utilisent aussi l'herbe, comme en Nouvelle-Zélande. Les plus compétitifs aujourd'hui dans le secteur du lait, ce ne sont pas les mille, trois milles ou quatre milles vaches, mais les Néo-Zélandais, qui utilisent de l'herbe : les charges de structure sont minimales et le potentiel des écosystèmes est utilisé au mieux. Les Irlandais sont en train de faire pareil ; nous allons nous y mettre aussi mais nous ferons mieux.

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