Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 15 mars 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement :

S'agissant de l'Europe et de son fonctionnement, vingt-huit pays à gérer, avec des histoires et des intérêts différents, cela rend les choses plus difficiles. Je crois, comme le Président de la République, qu'il faudrait évoluer vers un noyau dur plus coordonné et plus réactif. En même temps, si chercher des alliés et des accords prend un peu de temps, nous parvenons tout de même à faire bouger les choses. En septembre, il était seulement question de débloquer des aides, et surtout de ne pas toucher à l'intervention ni de parler de régulation, mais l'Europe a été contrainte de reconsidérer ses positions, entre juin 2015, quand le commissaire disait : « Je ne vois pas la crise », et aujourd'hui. Le premier Conseil agricole du 15 février n'avait même pas prévu de mettre la crise à son ordre du jour ; c'est moi qui l'ai demandé. En un mois, sur la base du mémorandum français, les lignes ont bougé.

Nous sommes d'accord sur le constat, monsieur Myard. L'Europe a besoin de repenser sa gouvernance et même son projet. Chacun cherche les avantages et veut éviter les inconvénients, chacun veut que la solidarité lui bénéficie mais n'entend consentir à aucun effort. En Grande-Bretagne, certains entendent quitter l'Europe tout en restant dans le grand marché. Chez nous, d'aucuns voudraient en revenir à une PAF, une politique agricole française. Ils estiment, par exemple, qu'il suffirait d'empêcher les importations de lait. Or, sur les 25 milliards de litres produits en France, 8 milliards sont exportés. Fermer les frontières nous ferait perdre une partie de ces exportations. Dans le Pas-de-Calais, l'usine de production Häagen-Dazs, la plus grosse usine de cette marque en Europe, recueille 400 ou 450 millions de litres d'une centaine de producteurs de la région, dont à peine 20 % servent le marché français.

Une laiterie transforme un produit de base qui est le lait en produits à haute valeur ajoutée, produits frais, yaourts, fromage, notamment pour des marques et des distributeurs. Elle produit aussi de la poudre de lait et du beurre pour le marché international. Quand le mix est moins fort sur les produits frais et produits transformés, la laiterie est preneuse du prix mondial sur la poudre et le beurre. Les négociations sont donc difficiles car il existe des tensions au niveau des producteurs, en fonction de leurs diverses situations. Le prix européen et mondial impacte de toute façon toute la filière à cause de la poudre de lait. Quand il y a en plus des stocks de poudre, cela pèse sur le prix.

Nous avons des accords tripartites qui marchent, avec Intermarché, Auchan, Danone… J'ai signé avec FDC, McDonald's et KFC des contrats de poulets français sans antibiotiques ni OGM pour 9 100 tonnes par an. C'est le groupement de producteurs Gaveol, dans le Morbihan, qui produira ces volumes pendant trois ans. Cela existe aussi dans le Centre avec une laiterie ; ce n'est malheureusement pas sur de gros volumes, mais cela va se développer. C'est ce qu'il y a de mieux car cela lie tout le monde. Les producteurs acquièrent ainsi une visibilité, une certaine quantité leur est garantie… Nous essayons de le mettre en place dans le domaine du porc.

M. Viala et Mme Le Callenec me font un procès sur l'agroécologie complètement décalé. L'agro-écologie, ce n'est pas de l'extensif ; il s'agit d'adapter notre production au mieux du potentiel des écosystèmes. Dans l'exemple que j'ai pris, en Haute-Marne, le rendement a augmenté. Que proposent-ils, d'ailleurs, à part la baisse des charges ? La baisse des charges, nous la pratiquons : nous avons baissé les cotisations de 3,2 milliards d'euros en trois ans et demi, c'est sans précédent. Mais la compétitivité ne peut tout résumer.

Je ne rappellerai pas le nombre de normes qui ont été décidées dans le Grenelle de l'environnement. J'en ai hérité et je fais avec. Même Nicolas Sarkozy, après le Grenelle, avait dit : « L'environnement, ça commence à bien faire ». Je n'ai pas ajouté de normes et j'ai même éliminé une sur-transposition sur les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) : les déclarations avec contrôle périodique dans tous les élevages, créées par le gouvernement précédent, seront supprimées.

Certains pays européens sont en train de sur-transposer. Le président du Conseil agricole, M. Martijn van Dam, m'a expliqué que les Pays-Bas étaient obligés d'adopter des quotas de phosphate et d'azote, car ils sont en excédent. Aux Pays-Bas, au Danemark, ils n'ont plus d'espace, et l'Allemagne commence à être saturée. Nous avons de l'espace, il faut l'utiliser, mais ce n'est pas faire de l'extensif ! L'agro-écologie peut aboutir à des rendements supérieurs à ceux qui existent aujourd'hui. Vous n'avez pas regardé l'émission, sur France 2, concernant la permaculture ? Celle-ci permet des rendements trois fois supérieurs au maraîchage conventionnel ; je n'ose même pas le dire tant la production peut être accrue. Les productions intercalaires, les couvertures de sol hivernales, les rotations, c'est autant de production supplémentaire. Dans le GIEE d'Ille-et-Vilaine sur la production laitière, avec le maïs, le méteil et le fourrage, on produit deux fois plus de protéines fourragères qu'auparavant.

Le plan de soutien à l'élevage, ce sont certes des aides, mais comment ferait-on sans elles ? Je connais bien les propositions de l'APLI. Quand Bruno Le Maire a été rattrapé par la crise du lait, en 2008-2009, personne ne m'a entendu dire qu'il suffisait de porter le prix à 400 euros la tonne, comme le demandait l'APLI. Je leur répondais que ce ne pouvait être la solution, car, entre une exploitation des Pays-Bas et une de l'Aveyron, un calcul en coûts de production n'a guère de sens. Si l'on assure un prix de 400 euros la tonne à un exploitant hyper-productif, on lui accorde une rente. Quant à leur proposition de tunnel, je ne vois pas comment on pourrait l'appliquer à l'échelle européenne. L'application de l'article 222 va déjà demander des efforts. Sur cet article, on me dit : « Il existait déjà, pourquoi ne pas l'avoir pas utilisé plus tôt ? » Personne n'avait formulé la proposition, c'est nous qui l'avons faite.

Je suis d'accord avec Mme Allain : il vaudrait mieux réguler à l'avance, et il vaudrait même mieux qu'il n'y ait pas de crise du tout. La crise est en partie liée à des anticipations à l'exportation battues en brèche. Les quotas eux-mêmes ne réglaient pas tout, ils permettaient simplement des sanctions en cas de dépassement, tandis que nous allons devoir recourir à l'article 222 pour gérer les dépassements de manière contractuelle.

La question de savoir pourquoi les Français n'utilisent pas le stockage privé sur le porc est une très bonne question. Les opérateurs et les abatteurs préfèrent que le stock soit chez les producteurs et que ces derniers supportent le risque. Thierry Coué, président de la FRSEA Bretagne, a clairement demandé aux abatteurs et industriels présents lors de la réunion en Bretagne de ne pas obliger de nouveau les producteurs à garder les cochons chez eux. Je leur ai dit la même chose. Les opérateurs espagnols et allemands ont stocké, quant à eux, réalisant, pour ces deux seuls pays, plus de 60 % du stockage.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion