Je vous remercie pour vos nombreuses questions.
Monsieur Christophe Bouillon, l'ASN et l'IRSN oeuvrent ensemble pour le contrôle de la sûreté nucléaire, mais avec des responsabilités et des missions différentes : l'ASN est l'autorité régalienne qui instruit les procédures et prend les décisions ; l'IRSN est l'expert public des risques radiologiques et nucléaires qui appuie les autorités publiques, notamment l'ASN, en s'aidant de ses recherches. Je crois depuis toujours à ce système dual, car la décision appartient à l'ASN et l'expertise appartient à l'IRSN, mais sans que celui-ci porte le poids de la décision. Cela fait la force de ce système, qui, selon moi, a fait ses preuves. Il a d'ailleurs été conforté par la loi relative à la transition énergétique, qui l'a explicitement inscrit au niveau législatif.
De ce point de vue, il n'y a pas, selon moi, d'incompatibilité : un directeur général de l'ASN peut devenir directeur général de l'IRSN. En revanche, il faut veiller à respecter les responsabilités et les missions de chacun, ce que je m'engage à faire. Je serai amené à vous en rendre compte, et le ferai bien volontiers. À titre personnel, je connais bien les deux institutions pour avoir passé ces dernières années à l'ASN, mais aussi beaucoup de temps à l'IRSN auparavant. À l'occasion de ce retour à l'IRSN, je suis très motivé par l'aspect recherche, compte tenu notamment de mon passé de chercheur.
La participation de l'IRSN au débat public est un état de fait, ne serait-ce que parce que les médias et les élus connaissent l'institut. L'IRSN a toute sa place dans le débat public, mais cette place doit être fonction de ses missions. Je m'appliquerai à ce qu'il en soit ainsi. La loi relative à la transition énergétique renforce la contribution de l'IRSN au débat en rendant systématique la publication de ses avis, qui est déjà faite de manière assez large aujourd'hui, en relation avec les autorités concernées. Ainsi que je l'ai mentionné, c'est un point important, et il va falloir organiser cette publication.
Le décret du 10 mars 2016 relatif à l'IRSN répond à un certain nombre de recommandations et de commentaires de la Cour des comptes. Il clarifie notamment les relations entre le directeur général et le président du conseil d'administration. Ce dernier a un rôle stratégique, notamment au travers de la relation de haut niveau qu'il entretient avec les tutelles. Je m'inscrirai bien évidemment dans le cadre du décret. Ainsi que je vous l'ai indiqué, j'ai déjà eu des échanges avec la présidente du conseil d'administration, Mme Dominique Le Guludec, préalablement à cette audition.
La recherche est un élément fondamental de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Sans la recherche, l'IRSN ne marcherait que sur une seule jambe. Le décret introduit formellement le comité d'orientation des recherches (COR), structure « de type Grenelle », qui permet d'intégrer les attentes de la société concernant les programmes de recherche. C'est une démarche essentielle et, selon moi, positive.
Concernant la pédagogie, ainsi que Jacques Repussard l'a déclaré lors de son audition par votre commission l'année dernière, l'IRSN n'envisage pas d'intervenir à la télévision : ce n'est pas le bon vecteur. En revanche, il a clairement un rôle à jouer en la matière et dispose de multiples outils à cette fin : entre autres, une exposition itinérante commune avec l'ASN – elle était à Dunkerque entre septembre et décembre 2015 ; les CLI, qui permettent une interaction avec les territoires ; un certain nombre d'opérations avec les scolaires.
Je citerai deux de ces opérations. En Franche-Comté, des scolaires ont été associés à la gestion du risque radon : il s'agissait de leur faire appréhender la nature de ce risque, ainsi que les actions à mener pour s'en prémunir. Une autre opération, internationale, a associé plusieurs lycées de France, du Japon – dont certains étaient implantés dans la région contaminée autour de Fukushima –, de Pologne et de Biélorussie. Les élèves étaient munis de dosimètres et enregistraient les doses qu'ils recevaient en fonction de leur activité. On a constaté que les doses reçues par ces lycéens étaient non pas identiques, mais comparables. Cela s'explique par le fait que, dans les régions où il y a de la radioactivité, les populations développent une capacité à gérer cette situation, ce qui est l'un des objectifs du « post-accidentel » : en cas d'accident nucléaire – nous faisons tout, bien évidemment, pour les éviter –, les gens doivent apprendre à vivre avec la contamination. Cette expérience a donné lieu à une publication scientifique.
Ma conviction, c'est que les actions pédagogiques doivent être locales et très pragmatiques. L'ASN et l'IRSN ont tenté de développer des relations avec l'éducation nationale au niveau central, mais cela n'a jamais vraiment abouti.
L'IRSN a pour mission de rassembler et de gérer l'ensemble des données dosimétriques des quelque 360 000 travailleurs exposés aux rayonnements ionisants en France. Il doit alerter les autorités en cas de situation anormale. À l'échelle européenne, les autorités compétentes en matière de radioprotection – cette question ne concerne donc pas que l'IRSN – ont lancé la création d'un « passeport dosimétrique », qui permettra aux travailleurs concernés de bénéficier d'un suivi dosimétrique transfrontalier lorsqu'ils passent d'un pays à un autre. Cependant, la mise en place de ce passeport se heurte à des difficultés et n'a pas pu aboutir à ce jour.
L'ASN a clairement indiqué qu'elle considérait que ses moyens étaient insuffisants pour faire face aux enjeux à venir. La question des moyens et de leur hiérarchisation est prioritaire pour moi. Je ferai le point en la matière à mon arrivée à l'IRSN. Ainsi que je l'ai évoqué, le travail à faire dans les années qui viennent est considérable : prolongation de l'exploitation des centrales, construction de nouvelles installations, etc. Il faudra nécessairement procéder à une hiérarchisation. Une de mes principales préoccupations sera de préserver la recherche. On peut éventuellement diminuer la recherche une année donnée, voire deux années consécutives, mais, si on le fait dans la durée, on se coupe une jambe.
Monsieur Jean-Marie Sermier, en 2011, à l'issue de la troisième visite décennale de la centrale de Fessenheim, l'ASN a pris position en indiquant qu'elle n'avait pas d'objection à ce que l'on poursuive son exploitation jusqu'à la quatrième visite décennale à condition qu'un certain nombre de travaux soient exécutés. L'exploitant EDF a réalisé des travaux importants sur la centrale, qui se sont d'ailleurs combinés avec des travaux post-Fukushima, tels que l'épaississement du radier – la dalle sur laquelle repose le réacteur – et l'ajout d'une source froide supplémentaire – un réacteur a besoin d'être refroidi en permanence. Pour le reste, il y a des débats sur la politique énergétique qui ne sont pas du ressort de l'ASN et de l'IRSN.
S'agissant de la prolongation des centrales de manière plus générale, la plupart des réacteurs nucléaires français ont été mis en service entre 1978 et 1990. Ils vont donc atteindre quarante ans dans les années qui viennent. Il s'agit d'une étape importante, car ils ont été conçus pour fonctionner pendant cette durée. Celle-ci a été retenue pour un certain nombre d'hypothèses de dimensionnement – calcul de l'épaisseur de la cuve, du vieillissement des câbles électriques, etc. Il est donc assez naturel que l'on se pose, à l'approche de ces quarante ans, des questions très pointues sur la capacité des réacteurs à fonctionner au-delà de cette durée.
D'autre part, conformément à la directive européenne relative à la sûreté nucléaire et à l'approche générale en matière d'environnement au niveau européen, qui exige de recourir à « la meilleure technologie disponible », il est demandé à EDF et aux autres exploitants, à l'occasion des visites décennales, de renforcer le niveau de sûreté de leurs installations en se rapprochant le plus possible de celui des installations les plus récentes, à savoir les réacteurs de type EPR. Il y a cinq ou six grands sujets à traiter. Par exemple, le récupérateur de corium – core catcher – qui équipe les réacteurs de type EPR n'existe pas dans les réacteurs actuels. Si le coeur entre en fusion – ce qui s'est produit à Fukushima – et traverse la cuve, ce dispositif vise à récupérer le corium, matière très chaude, toxique et radioactive, pour l'empêcher de contaminer l'environnement.
Ces questions sont techniquement très complexes. Elles nécessitent une discussion approfondie, dans laquelle l'IRSN est largement partie prenante, puisqu'il est chargé de faire l'expertise technique des propositions de l'exploitant EDF. Cette discussion technique étant en cours, l'ASN ne dispose pas, à ce jour, des éléments pour prendre position sur la prolongation de l'exploitation des réacteurs, ainsi que l'a rappelé à plusieurs reprises son président. L'ASN prendra position en 2018 dans un « avis générique », dans la mesure où tous les réacteurs en question se ressemblent. Mais il reste beaucoup de travail à réaliser d'ici là : pour les sujets les plus importants, l'ASN s'appuiera sur l'avis des groupes permanents d'experts – qui devraient tenir une douzaine de réunions –, ainsi que sur les expertises de l'IRSN – qui rendra une vingtaine d'avis. Ensuite, les réacteurs entreront l'un après l'autre dans un processus de visite décennale, le premier concerné étant Tricastin-1.
Pour le projet CIGEO à Bure, comme pour toutes les autres installations nucléaires de base – même s'il s'agit d'une installation très particulière, puisqu'elle est souterraine et sera exploitée pendant au moins une centaine d'années, ce qui n'est le cas d'aucune installation de surface –, le rôle de l'IRSN est de faire l'expertise technique des propositions de l'exploitant responsable, à savoir l'ANDRA. Pour ce faire, l'IRSN s'appuie sur des recherches réalisées en propre ou sur contrat. De plus, il est impliqué dans des programmes européens qui lui permettront d'approfondir sa connaissance des mécanismes qui se dérouleront dans le site de CIGEO. L'IRSN exploite notamment un tunnel souterrain à Tournemire, dans lequel il peut faire des expériences in situ dans une argile semblable à celle de Bure afin de caractériser un certain nombre de phénomènes et de renforcer ainsi son expertise. Il y a quelques années, lorsque j'étais à l'IRSN, nous avons par exemple mené des recherches mettant en oeuvre de la « sismique 3D » pour détecter des failles géologiques. Il s'est agi d'une avancée technique importante.
Monsieur Bertrand Pancher, s'agissant de la question de savoir s'il faut prolonger les centrales de vingt ans plutôt que de dix ans, on peut comprendre qu'un industriel veuille avoir un débat sur le montant de l'investissement au regard de la durée d'exploitation. Ce débat est pertinent. D'ailleurs, l'ASN ne sera pas face à la même situation si un exploitant lui dit qu'il arrête une installation dans un an ou bien s'il entend la faire fonctionner pendant vingt ans encore. Toutefois, la loi fixe un rendez-vous tous les dix ans : l'ASN prendra de toute façon position tous les dix ans, et elle ne pourra pas se prononcer pour une durée supérieure à dix ans. Reste qu'elle peut toujours indiquer à l'exploitant si les choses vont ou non dans le bon sens.
Au début des années 1990, un certain nombre d'événements – portiques qui sonnaient régulièrement dans des décharges, déchets radioactifs retrouvés dans des « déposantes » – ont montré que la gestion des déchets TFA n'était pas satisfaisante. Cela a conduit l'ASN à imposer un changement du mode de gestion de ces déchets : on a délimité des zones géographiques, et on a considéré que tout déchet provenant de ces zones devait être traité comme un déchet radioactif. Il s'agit bien d'un problème non pas de science, mais de gestion. L'ASN estime que ce système a fait ses preuves, aucun nouvel événement ne s'étant produit depuis lors. Cependant, d'autres estiment qu'il est très contraignant. Le débat est légitime, d'autant que la question du démantèlement des installations se posera tôt ou tard : comment traitera-t-on les gros volumes de béton ou de ferraille très peu contaminés issus de ces installations ?
Il y avait deux motivations principales à l'absence de seuil de libération – seuil au-dessous duquel le déchet est considéré comme non radioactif. Premièrement, on s'interrogeait sur la capacité des opérateurs à contrôler de manière efficace et performante que les déchets, le cas échéant en quantité importante, respectent un seuil dont le niveau sera nécessairement très bas. L'exemple de l'Allemagne, où de tels seuils de libération existent, montre que cette vérification induit des coûts non négligeables : on parle de 1 000 euros le mètre cube, contre 500 euros le mètre cube pour le stockage en France. Donc, l'équation économique n'est peut-être pas si simple que cela. Deuxièmement, il est compliqué d'empêcher la dilution des déchets, à laquelle les exploitants peuvent être tentés de recourir pour respecter un seuil de libération.
L'ASN est tout à fait favorable à la proposition de l'IRSN d'ouvrir un débat public sur ce sujet. La décision ne doit pas être prise par les seuls experts, dont les discussions peuvent d'ailleurs paraître un peu obscures aux non spécialistes.
Quel que soit le mode de gestion retenu, même si l'on introduit des seuils de libération, le site qui reçoit actuellement les déchets TFA, appelé « centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage » (CIRES), a une capacité d'un million de mètres cubes et ne pourra pas accueillir tous ces déchets. La question de créer un nouveau site se posera donc nécessairement à un moment donné.
Le président de l'ASN est intervenu devant vous récemment sur la question du coût de CIGEO. Il est nécessaire d'attribuer un coût à CIGEO car les producteurs de déchets doivent provisionner ce montant afin que nous ayons la garantie que le stockage sera effectivement réalisé. C'est un exercice compliqué et atypique : ce coût est évalué sur 150 ans et couvre non seulement les investissements, mais aussi l'exploitation – il faut, par exemple, intégrer le salaire du gardien qui surveillera le site en 2100. La derrière évaluation, environ 15 milliards d'euros, datait de 2005. Ainsi que la loi le lui demandait, l'ANDRA a réévalué ce coût l'année dernière, à environ 32 milliards d'euros. Conformément à la loi également, l'ASN a donné un avis sur ce coût. Premièrement, elle a jugé positif qu'un nouveau coût soit affiché, car tel n'avait pas été le cas depuis longtemps. Deuxièmement, elle a estimé nécessaire que l'on entre désormais dans un processus de révision régulière des coûts, notamment à chaque étape importante de la vie du stockage. Troisièmement, elle a fait quelques commentaires sur la robustesse du calcul en s'interrogeant sur le caractère optimiste d'un certain nombre d'hypothèses : pour certains coûts, notamment celui du creusement des galeries, l'ANDRA semble avoir retenu des estimations situées dans la partie basse de la fourchette.
Je crois avoir répondu à votre question sur la diffusion de la culture scientifique, Monsieur Pancher.
Monsieur Denis Baupin, je partage bien évidemment l'appréciation du président de l'ASN selon laquelle le contexte en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection est préoccupant : il s'agit d'une position de l'ASN. S'il n'y a pas aujourd'hui de signaux particuliers montrant une dégradation du niveau de sûreté – je réponds ainsi à votre question sur l'état du parc, Monsieur Vigier –, l'ASN considère que le contexte est préoccupant à court ou moyen terme car des travaux très importants doivent être réalisés – prolongation au-delà de quarante ans, réexamen des installations du cycle du combustible, construction d'installations nouvelles –, alors que les exploitants ne sont pas en bonne santé économique et financière. L'IRSN apporte sa contribution en fournissant son expertise technique sur des sujets complexes. Cette expertise doit être rigoureuse.
En matière d'ouverture sur la société, au-delà des actions pédagogiques que j'ai évoquées, nous avons engagé des échanges avec les CLI et l'ANCCLI sur un certain nombre de sujets tels que la quatrième visite décennale – « VD4 ». Nous avons aussi lancé des actions pluralistes sur les couvercles de cuve de l'EPR. Je m'inscris bien évidemment dans cette démarche : sur les sujets complexes à fort enjeu, il faut multiplier les actions dans lesquelles les experts de la société civile peuvent être impliqués. L'ASN a d'ailleurs ouvert ses groupes permanents d'experts aux experts de la société civile.
Je pense avoir répondu à votre question sur les déchets TFA, Monsieur Baupin.
J'en viens à votre remarque sur la course à l'augmentation de la taille des réacteurs. Il existe deux grands types d'accidents sur les réacteurs nucléaires : une augmentation brusque et incontrôlée de la puissance du réacteur, qui conduit à son explosion – ce qui s'est passé à Tchernobyl ; une perte du refroidissement, qui fait que le combustible s'échauffe, fond et se retrouve au fond de la cuve – ce qui s'est produit à Three Mile Island et à Fukushima. Dans le second cas, deux scénarios sont possibles : soit on parvient à faire en sorte que le combustible reste dans la cuve, soit il la traverse, auquel cas il faut un récupérateur de corium pour l'empêcher d'aller plus loin, ainsi que cela a été imaginé sur les réacteurs EPR.
Or les calculs montrent que, lorsque la puissance du réacteur est assez faible – inférieure à 600 mégawatts, avez-vous dit ; pour ma part, j'ignore quelle est la valeur exacte ; elle pourrait faire l'objet d'études –, le coeur fondu va rester dans la cuve. Ce serait donc un facteur de sûreté. Ensuite, d'autres considérations entrent en jeu, qui ne sont pas celles de l'ASN et de l'IRSN. En tout cas, nous avons considéré que le sujet était suffisamment important pour engager une action : l'IRSN organisera, au début du mois de juin prochain, un séminaire international sur la rétention du corium en cuve – in-vessel retention (IVR).
Monsieur Jacques Krabal, l'IRSN a formulé des préconisations pour prendre en compte l'augmentation des doses reçues en milieu médical et contribuer à la sécurité des patients. Ces recommandations ont été reprises dans un certain nombre de textes, notamment des décisions de l'ASN. Sur le terrain, la tendance générale est bonne : on constate une amélioration de la sécurité et de la qualité des soins en radiothérapie. Néanmoins, la situation est très hétérogène selon les centres de soins. D'autre part, il reste encore des progrès à faire. En particulier, une évaluation régulière des démarches mises en oeuvre en matière de gestion du risque est nécessaire : si l'analyse systématique des dysfonctionnements est désormais faite, ce qui n'était pas le cas auparavant, le suivi des recommandations demeure insuffisant.
Je crois avoir déjà répondu en ce qui concerne les contraintes budgétaires.
Monsieur Jacques Kossowski, je souhaite continuer à renforcer l'action de l'IRSN en matière de transparence et d'information du public, notamment au travers des CLI. Une des premières choses que je ferai en arrivant à l'IRSN sera de rencontrer le président de l'ANCCLI, M. Jean-Claude Delalonde.
Monsieur Florent Boudié, la Cour des comptes avait en effet pointé du doigt deux problèmes, l'un concernant la gouvernance, l'autre touchant la stratégie. Pour ce qui est de la gouvernance, j'ai déjà décrit les évolutions internes introduites par le décret du 10 mars 2016. S'agissant de la stratégie, l'IRSN a rendu publique au début de cette année la première rubrique d'un plan stratégique relatif à la recherche. Je m'inscrirai bien évidemment dans ce cadre.
Le réacteur Cabri sera aussi l'une de mes priorités. Je peux difficilement vous en dire plus à ce stade. Il est prévu d'y réaliser un important programme de dix essais – à un rythme de deux par an à partir de 2018 – qui visent à tester le comportement du combustible en cas d'injection de puissance, ce qui correspond dans une certaine mesure au scénario qui s'est produit à Tchernobyl. Au-delà, la question du devenir de cette installation lourde de recherche et des programmes qui pourraient y être conduits se posera en effet.
Monsieur Charles Ange Ginésy, la fusion entre l'ASN et l'IRSN n'est pas à l'ordre du jour. Ainsi que je l'ai indiqué, la loi relative à la transition énergétique a conforté le système actuel en précisant clairement qu'il y avait deux institutions : une autorité régalienne qui prend les décisions et un organisme d'expertise qui ne porte pas le poids de la décision.
L'IRSN a en effet cinq tutelles : le ministère chargé de la recherche ; le ministère chargé de l'environnement, qui est responsable de la sûreté nucléaire ; le ministère chargé de la santé, qui est compétent en matière de radioprotection ; le ministère chargé de l'énergie, qui exerce notamment une mission de contrôle des matières nucléaires au titre de la non-prolifération ; le ministère de la défense, car un certain nombre d'installations de défense sont concernées par la sûreté nucléaire. Ces tutelles sont toutes légitimes au regard des responsabilités exercées. Je ne pense pas que leur nombre pose de difficulté particulière de fonctionnement.
Le budget de l'IRSN est en effet majoritairement public. Plusieurs mécanismes garantissent l'indépendance de l'expertise et des prises de position de l'IRSN. Premièrement, il y a une robustesse dans l'élaboration de l'expertise : les avis de l'IRSN ne sont pas rédigés par le directeur général tout seul dans son bureau ; ils sont le résultat d'une expertise collective, avec des experts qui disent ce qu'ils ont à dire. Deuxièmement, la transparence, notamment la publication systématique des avis de l'IRSN, est un outil supplémentaire de cette indépendance.
Monsieur Yannick Favennec, j'ai donné des éléments de réponse concernant notre action en matière de pédagogie. La distribution des comprimés d'iode aux personnes qui vivent autour des centrales est un effet de l'accident de Tchernobyl : elle a été décidée par le ministre de la santé en 1996, pour les dix ans de la catastrophe. La dernière distribution a eu lieu en 2009. Les comprimés se périmant au bout de sept ans, une nouvelle distribution a été faite au début de cette année. Cette fois-ci, l'ASN a souhaité aller au-delà d'une simple campagne de distribution de comprimés, en essayant, avec l'ensemble des acteurs concernés, de sensibiliser les populations au risque et à la gestion de leur propre risque.
La distribution se fait avec l'ordre national des pharmaciens et les préfectures. Les personnes concernées reçoivent un bon et vont chercher leurs comprimés d'iode à la pharmacie du coin. On a constaté que seuls 50 % d'entre elles s'étaient déplacées. Le commentaire que vous avez fait est tout à fait exact, Monsieur Favennec : une enquête a démontré que ceux qui ne sont pas allés chercher les comprimés se répartissent en deux groupes, ceux qui considèrent qu'un accident serait tellement apocalyptique que ces comprimés ne serviraient à rien, et ceux qui estiment qu'ils n'ont pas de raison de s'inquiéter, car ils habitent depuis très longtemps à cet endroit. Ces deux attitudes ne sont ni l'une ni l'autre une bonne manière de gérer son propre risque. D'où les recommandations données par l'ASN à l'occasion de cette campagne.
S'agissant des rapports entre l'ASN et l'IRSN, Monsieur Philippe Plisson, l'IRSN a été créé en 2002, et il y a probablement une phase au cours de laquelle il a fallu l'installer dans le paysage, ce qui a pu conduire à un certain nombre de frottements. En tout état de cause, les choses me semblent aujourd'hui clarifiées du point de vue institutionnel : l'ASN et l'IRSN ont chacun leur place, et tous les éléments sont réunis pour qu'il y ait une collaboration de qualité entre les deux institutions. Cela n'interdira pas les éventuelles différences d'appréciation sur tel ou tel sujet. S'il y a deux organismes, ce n'est pas pour qu'ils aient forcément tout le temps la même position.
Concernant l'enquête d'utilité publique, un travail est actuellement mené au niveau gouvernemental sur les conditions pratiques de sa mise en oeuvre après que chaque centrale aura atteint trente-cinq ans.
Monsieur Guilhaume Chevrollier, l'IRSN a fait un travail de recherches sur les traces de pollution au plutonium trouvées dans la Loire : l'analyse de la composition des archives sédimentaires a révélé un surplus de plutonium d'origine industrielle autour des années 1969 et 1980 – on est capable de l'identifier par opposition au plutonium issu des retombées des essais nucléaires réalisés depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusque dans les années 1960. Ces traces de pollution au plutonium dans les sédiments à des niveaux faibles renvoient probablement à deux accidents, l'un sur le réacteur de Saint-Laurent-A-1 en 1969, l'autre sur celui de Saint-Laurent-A-2 en 1980. Il s'agit de deux réacteurs de la filière uranium naturel graphite gaz (UNGG). Dans cette filière, de l'eau circule dans des conduits pour évacuer la chaleur ; si le conduit est bouché, la chaleur ne s'évacue pas, et cela peut conduire à des problèmes, notamment à des dégradations du combustible. C'est ce qui s'est passé. En 1969, l'introduction d'un dispositif dans le canal, où il n'aurait pas dû être, a arrêté l'écoulement de l'eau et a entraîné la dégradation de cinq combustibles. Par suite, 50 kilogrammes d'uranium sont tombés au fond du réacteur. Le réacteur venant de démarrer, l'uranium était peu irradié. En 1980, une tôle s'est détachée par corrosion et a bouché six canaux. En conséquence, une vingtaine de kilogrammes de combustible se sont déposés au fond du réacteur.
La ministre de l'environnement a confié une mission aux inspections générales compétentes sur la manière dont ces accidents ont été gérés à l'époque. Elles vont remettre leur rapport prochainement. Si ces événements se produisaient aujourd'hui, ils seraient de niveau 4 sur l'échelle internationale de classement des événements nucléaires – International Nuclear Event Scale (INES). En d'autres termes, ce sont les événements les plus sérieux survenus en France depuis l'origine de la filière nucléaire. On en aurait largement parlé, et vous auriez bien sûr souhaité être informés.
Il revient à l'exploitant nucléaire de chiffrer le coût de la fermeture de chaque installation. Cela relève de sa responsabilité.
Je pense vous avoir répondu en ce qui concerne le démantèlement des installations et la gestion des déchets TFA, Monsieur Chevrollier.
Monsieur Michel Heinrich, l'IRSN a en effet formulé des recommandations à la suite de l'accident survenu au centre hospitalier d'Épinal. L'IRSN est en pointe pour les recherches visant à améliorer les thérapies cellulaires et va bien évidemment les poursuivre. Ce n'est d'ailleurs pas qu'un sujet de recherche : l'hôpital Percy accueille régulièrement des patients gravement irradiés et applique les techniques développées à l'IRSN. Celles-ci permettent de soigner et de soulager des gens, y compris à l'étranger.
Madame Marie Le Vern, les élus ont en effet des responsabilités en situation de crise. Dans la phase d'urgence, il est important que les rôles soient bien définis pour que les choses se passent au mieux. En amont, il est possible de faire beaucoup de choses. L'IRSN est tout à fait disposé à avoir des échanges avec les élus sur ces questions. D'ailleurs, il avait développé un logiciel appelé OPAL – outil de sensibilisation aux problématiques post-accidentelles à destination des acteurs locaux – qui permettait de représenter les conséquences d'un accident grave survenant dans une centrale. Il est important de visualiser ainsi les choses. Je suis moi-même entré dans le réacteur n° 4 de Fukushima, et je peux vous dire que c'est un moment très particulier, bien que j'exerce ce métier depuis longtemps.
Vous avez raison : on n'a pas encore tiré toutes les conséquences de l'accident de Fukushima au niveau local. En 2005, une action sur la gestion post-accidentelle a été engagée sous le pilotage de l'ASN – la phase post-accidentelle est celle qui succède à la phase d'urgence : l'installation accidentée n'émet plus de radioactivité, mais les territoires alentour sont contaminés. En 2012, une doctrine très opérationnelle et concrète a été élaborée. Actuellement, cet exercice est décliné au niveau local, avec l'aide des préfectures, des CLI et des acteurs locaux.
Monsieur Gérard Menuel, les questions liées à la prolongation de l'exploitation des centrales ont clairement vocation à être abordées dans les CLI. Tel est déjà le cas dans un certain nombre d'entre elles, à la suite de propositions faites par l'ASN et l'IRSN.
Monsieur Yves Albarello, je pense avoir répondu à vos questions sur les relations entre l'ASN et l'IRSN, sur la dimension pédagogique de notre mission et sur la centrale de Fessenheim.
Monsieur Laurent Furst, le nucléaire a en effet pénétré le débat public. S'agissant de l'instauration d'un contrôle européen, la position de l'ASN est la suivante – je suis, là encore, d'accord avec mon président actuel : un tel contrôle ne poserait pas, en soi, de problème ; c'est un choix qui appartient aux élus nationaux et européens. En revanche, nous appelons l'attention sur le fait que le système ne peut pas être double : s'il y a à la fois un contrôle national et un contrôle européen, c'est-à-dire s'il y a deux gendarmes, on ne saura plus qui est responsable de quoi, et le système ne fonctionnera pas.