En matière de négociations, les secteurs laitier et agroalimentaire ont la même ligne de conduite que le secteur viticole.
Nous sommes bien conscients que cet accord ne peut pas être la réponse à la crise agricole. Nous ne disons pas que nos produits sont meilleurs, nous nous présentons comme une organisation économique et sociale qui propose des produits différents, et qui a son poids. La France jouit d'une image derrière laquelle il ne faut pas trop s'abriter, mais qui n'en représente pas moins un atout considérable pour développer des marchés. Notre organisation agricole, sociétale et rurale autour de ces produits reste exceptionnelle, tout comme notre gastronomie et notre savoir-faire. C'est notre fonds de commerce. Certaines zones, souvent éloignées des grands centres de productivité, ont de réels atouts. L'augmentation de la part, si modeste soit-elle, des signes officiels de qualité en agroalimentaire et en produits laitiers et, bien sûr, la consolidation des vins permettront d'améliorer la balance commerciale de la France.
Pour le reste, nous avons une vision totalement différente de celle des États-Unis en matière de lois. Soyons réalistes, nous ne sommes pas prêts à harmoniser nos règles sociales et environnementales : nos différences sont abyssales. Il faut donc faire de toute notre agriculture une exception. C'est bien à travers la défense des signes officiels de qualité que nous devons concentrer toute notre énergie. Certes, ce n'est pas la solution à l'agriculture française, mais elle en bénéficie : pour commercialiser à l'extérieur nos 370 000 tonnes de produits laitiers, on utilise l'image des AOP françaises. Autrement dit, nous servons à l'ensemble des produits. Il faut donc que ces AOP aient vraiment du sens.
Il y existe une véritable demande sociétale dans les autres pays, aux États-Unis notamment. Comme le fait M. Bobillier-Monnot avec les producteurs de vin de Napa valley, nous développons des stratégies avec Kona coffee et Idaho potatoes. Des producteurs ont pu démontrer, dans leur État, tout l'intérêt qu'il y a à protéger des savoir-faire car l'impact économique est certain. Ce sont tous ces petits pas qui nous permettront d'avancer. De même, nous faisons du lobbying sur les produits au lait cru qui répondent à une demande sociétale. Il y a des initiatives locales, mais on nous crée des barrières sanitaires dans le seul but de se protéger.
On oppose deux systèmes : d'un côté le système européen qui garantit le respect du produit tout au long de sa fabrication, qui respecte le sol, le bien-être animal, de l'autre côté un système où l'on fabrique un produit dans des conditions que personne ne regarde, mais que l'on stérilise pour lui donner une garantie sanitaire certaine ; c'est dire tout le travail à réaliser au niveau des savoir-faire.
Nous devons essayer de définir des stratégies communes au niveau européen, avec l'Italie notamment, car on se sent bien seul… Il faut renforcer l'identité de ceux qui se reconnaissent autour des mêmes valeurs. Nous partageons votre avis sur la posture du commissaire européen par rapport aux IG ou encore sur certaines positions allemandes. C'est donc un travail de titan qui nous attend.
Vous nous demandez si l'accord avec le Canada a eu des impacts ; il est trop tôt pour le dire, et cela ne concerne qu'une liste de produits. En tout cas, c'est un beau premier pas. Même s'il n'a pas un impact considérable, il permettra d'ouvrir la voie. Nous aidons les IG canadiennes à se structurer. L'avenir et la reconnaissance de nos produits ne se feront que s'il y a une culture partagée. Au Canada, il y a de véritables savoir-faire, comme l'agneau de Charlevoix qui est une AOP mais qui ne concerne que quelques producteurs, et le cidre glacé.
La stratégie à adopter au niveau européen consiste à aider les autres à se développer, à leur permettre d'être reconnus par la Commission européenne. Ces échanges permettront d'influencer les politiques très frileuses. Les Américains ont une peur bleue d'une reconnaissance de toutes les IG européennes qui ferait peser un risque considérable sur leur système très protectionniste. Pour eux, la solution de facilité consiste à copier des marques et des noms.
Nous sommes réalistes quant au poids que représente le secteur laitier français. Certes, la filière du Comté s'est développée sur le marché français, mais c'est à l'exportation qu'elle pourra prospérer, sur le marché européen mais aussi américain. L'ensemble des AOP laitières et IGP agroalimentaires françaises ont toute leur place aux États-Unis.