Intervention de Denis Baupin

Séance en hémicycle du 30 mars 2016 à 15h00
Débat sur le cout de la filière nucléaire et la durée d'exploitation des réacteurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Baupin :

Eu égard à l’omniprésence de ce risque, il est toujours fascinant d’entendre les commentateurs dérouler immuablement des analyses fondées sur l’idée que le nucléaire a l’éternité devant lui.

Je n’aurai pas la cruauté de rappeler l’incapacité de notre industrie à construire de nouvelles installations nucléaires, en tous cas dans des délais et un cadre budgétaire ayant un quelconque rapport avec ceux annoncés au moment de leur lancement.

Personne, pas même EDF, ne se hasarde aujourd’hui à prévoir le prix du mégawattheure qui sera produit dans les EPR – evolutionary pressurized power reactor – en construction. Pour nous rassurer, on nous assure que l’effet tête de série serait en cause. Les EPR prévus à Hinkley Point – qui, selon EDF, seraient pourtant censés bénéficier du retour d’expérience des premiers réacteurs construits selon le même modèle – produiraient une électricité trois fois plus chère que celle actuellement vendue en Grande-Bretagne : 30 % de plus que l’énergie éolienne d’aujourd’hui, c’est-à-dire 50 % de plus que celle de demain.

On croit d’ailleurs tellement peu à l’EPR que si ceux d’Hinkley Point étaient construits un jour, ils seraient les derniers de ce type. On nous parle en effet dorénavant un EPR nouveau modèle, pompeusement rebaptisé « EPR 2.0 ». Promis, craché, juré : ce dernier sera bon marché et compétitif. Mais qui peut encore y croire ?

Parce que le nouveau nucléaire est hypothétique et prohibitif, l’industrie s’est résolue, alors que ce n’était pas son hypothèse de départ, à tenter de prolonger la durée de vie des réacteurs existants. Elle applique dorénavant la méthode Coué pour faire croire qu’il s’agit d’une simple formalité.

Mais c’est bien là que réside la principale hypothèque sur l’avenir d’EDF, bien plus lourde que toutes celles que j’ai déjà citées. L’ASN le réaffirme à chaque occasion : il n’existe aucune garantie de prolongation au-delà de quarante ans. D’abord, il n’est nullement démontré que la cuve et l’enceinte de confinement puissent tenir plus de quarante ans – rappelons que le plus vieux réacteur du monde, à Beznau, en Suisse, vieux de quarante-cinq ans, a été arrêté à cause des nombreuses fissures de sa cuve. De plus, l’ASN a toujours dit qu’elle exigerait des travaux supplémentaires et Pierre-Franck Chevet, lors de son audition en commission, il y a quinze jours, a indiqué que certains d’entre eux ne sont pas inclus dans les 100 milliards du grand carénage.

L’hypothèque qui pèse sur le passage des quarante ans est donc double. Elle est d’abord technique : les installations peuvent-elles tenir dix ans de plus ? Elle est aussi économique : est-il plus rentable d’investir des milliards pour rafistoler et prolonger de dix ans de vieilles installations que de bâtir des unités de production neuves ?

Il en découle une question, que tout responsable, industriel ou politique, doit se poser : si ces risques, ou même une partie d’entre eux, s’avéraient insurmontables, faut-il attendre d’être le nez contre le mur, vers 2020, pour réagir, ou bien anticiper et prévoir un plan B ?

Ce plan B, nous l’avons, du moins ses orientations : c’est la loi de transition énergétique qui les fixe, en prévoyant la réduction d’un tiers de la part du nucléaire. Encore faut-il qu’elle se traduise dans les faits, qu’une programmation pluriannuelle de l’énergie conforme à la loi, organisant cette transition progressive, soit publiée.

Mais cela ne saurait suffire. La France possède des fleurons industriels en matière énergétique. On l’a vu, certains d’entre eux souffrent ; pour la première fois, leurs salariés ont compris qu’ils étaient mortels. Nous pensons qu’il est encore possible de les sauver mais il ne faut pas se tromper de diagnostic : leur crise n’est pas conjoncturelle ; elle est structurelle, comme pour toute entreprise énergétique. Tant qu’elles considéreront que la transition à l’oeuvre dans tous les autre pays du monde est une hérésie, elles continueront de creuser leur tombe. On ne peut gagner en restant attaché à son vieux minitel quand le monde entier passe à internet. D’autres méga-entreprises, supposées insubmersibles, comme Kodak, ont été emportées en quelques années, faute d’avoir pris le virage technologique.

Notre majorité a eu raison de faire le choix de la transition énergétique. Il est donc contre-productif de laisser notre principal industriel s’enfoncer plus loin dans sa « nucléarite » aiguë. Alors qu’il devrait se diversifier, sa courbe d’investissement prévoit un accroissement supplémentaire de son exposition au risque nucléaire, qui dépasse déjà 70 %. C’est d’autant plus incohérent –l’entreprise elle-même le souligne – que les surcapacités actuelles sont responsables de la baisse des prix sur les marchés européens. Douze de nos réacteurs servent uniquement à l’exportation et contribuent à cette surcapacité, de même que nombre de centrales à charbon allemandes. Alors faisons d’une pierre deux coups : mettons-nous d’accord avec notre voisin, réduisons nos surcapacités de part et d’autre de la frontière, en commençant par Fessenheim !

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