Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’accueillir. Je remplace les ministres Ségolène Royal et Emmanuel Macron, qui n’ont pas pu être présents, pour vous présenter la position du Gouvernement quant à l’avenir de la filière nucléaire française.
Je m’attacherai d’abord à décrire brièvement la situation d’Areva et les décisions prises par le Gouvernement pour maintenir la cohérence de la filière, en parlant du bilan et des comptes de résultat de l’entreprise, avant de faire quelques observations sur la filière en général. En quoi est-elle importante ? Comment le projet de Hinkley Point s’insère-t-il dans cette perspective ?
Le Gouvernement a décidé de remettre de l’ordre dans la filière nucléaire française car les comptes d’AREVA pour les années 2014 et 2015 ont révélé une situation dégradée. Celle-ci est due à plusieurs facteurs : une évolution défavorable du marché du nucléaire, directement liée à l’accident de Fukushima qui a entraîné l’arrêt des centrales japonaises et la décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire ; mais également des erreurs stratégiques des dirigeants d’AREVA, comme la volonté de positionner l’entreprise sur le secteur de l’architecte ensemblier ou l’acquisition d’Uramin. Vous connaissez aussi les difficultés rencontrées dans le cadre de la construction du réacteur Olkiluoto 3 – dit OL3 – et de l’EPR de Flamanville. Au total, AREVA a affiché des pertes à hauteur de 4,8 milliards d’euros en 2014, et encore 2 milliards en 2015.
Nous avons donc hérité d’une filière endettée, déchirée et désorganisée. Il fallait en prendre acte, regarder cette situation en face, sans aucun déni, et prendre de manière méthodique les décisions nécessaires – et souvent difficiles – pour y remettre de l’ordre, dans l’objectif de donner un avenir à AREVA tout en maintenant la pérennité de la filière nucléaire. Pour cela, il fallait régler deux problèmes : celui des comptes de résultat de l’entreprise et celui de son bilan.
Dès 2012, nous nous sommes penchés sur la question de l’export puisque AREVA et EDF se faisaient la guerre – il n’y a pas d’autre terme –, au détriment de l’ensemble de la filière, notamment des sous-traitants. Pour clarifier les rôles de chaque acteur économique, le 3 juin 2015, le Président de la République a décidé la refonte de la filière, marquée par la cession de l’activité réacteurs d’AREVA à EDF. Cette décision visait à aligner les intérêts des acteurs de la filière et à redonner à celle-ci la cohérence qui lui manquait. Les deux entreprises se sont mises d’accord sur les paramètres de cette cession ; EDF fera une offre ferme dès que la situation relative à l’EPR OL3 en Finlande aura été clarifiée. Dans cette configuration, AREVA conservera 15 % d’AREVA NP – la filiale de l’entreprise spécialisée dans l’ingénierie des réacteurs –, EDF en recevra 51 % et des actionnaires industriels japonais et chinois entreront au capital.
S’agissant du bilan de l’entreprise, AREVA sera recentrée sur les activités du cycle dans une nouvelle structure – on peut parler du « nouvel AREVA » – qui sera créée à cette fin. L’État a l’intention de recapitaliser le groupe à hauteur de 5 milliards d’euros.
Le Gouvernement a également dû oeuvrer pour trouver une solution aux problèmes du projet OL3 en Finlande. Des contacts ont été pris et maintenus ; un dialogue très étroit s’est engagé avec le Gouvernement de ce pays et directement entre les entreprises. Nous espérons formaliser un accord avec les Finlandais au mois d’avril afin de refonder la filière nucléaire française sur les bases juridiques les plus solides possible. L’objectif est de mettre fin à l’arbitrage en cours sur ce sujet.
Pour ce qui est du compte de résultat, AREVA doit restaurer sa compétitivité. Un plan de performance vise ainsi à économiser 1 milliard d’euros d’ici à 2017. À cet égard, l’entreprise fait des progrès satisfaisants. L’autre objectif du plan de performance est d’adapter l’entreprise à la situation des marchés, ce qui implique – ces chiffres sont connus et publics – une baisse des effectifs de quelque 15 % à 18 %, soit une suppression 6 000 emplois au niveau mondial, dont 4 000 en France.
Les conditions fermes, quoique négociées, que le Gouvernement a posées en vue de cet accord ont toutes été respectées. Il faut souligner la qualité du dialogue social dans cette situation difficile : l’accord a été signé par quatre des cinq organisations syndicales, qui représentent 75 % du personnel de l’entreprise. Signé le 19 octobre 2015, cet accord favorise la production, les réductions de postes touchant principalement les emplois au siège et les fonctions de support ; aucun site de production ne sera fermé et il n’y aura aucun départ contraint. L’ensemble des relations commerciales entre EDF et AREVA ont été revues. Ainsi, l’on a rééquilibré les contrats en matière de combustible, en particulier dans la conversion et le retraitement, pour permettre au nouvel AREVA de se construire sur des bases plus saines.
J’évoquerai maintenant la filière nucléaire dans son ensemble et la nécessité de la refonder, qui passe par la conquête de nouveaux marchés à l’export et le renouvellement du parc nucléaire de notre pays.
Cette filière représente 220 000 salariés et plus de 2 500 entreprises sur notre territoire. Elle engrange un chiffre d’affaires de 46 milliards d’euros, dont 15 milliards de valeur ajoutée. L’investissement, en particulier en recherche et développement, est crucial dans cette filière qui figure au quatrième rang des filières industrielles les plus innovantes en France du point de vue de la dépense consacrée à cette activité. C’est ainsi qu’EDF investit chaque année plus de 3 milliards d’euros pour la maintenance du parc existant. C’est aussi une filière qui embauche : la pyramide des âges montre qu’une grande partie des salariés qui ont, au départ, participé à sa construction est aujourd’hui en train de partir à la retraite. Le transfert des compétences représente donc un enjeu important, tout comme le développement de nouveaux emplois, en particulier pour accompagner le démantèlement des centrales.
La signature du contrat Hinkley Point est déterminante pour la filière nucléaire. Ce projet est parfois contesté au motif qu’il mettrait EDF en danger ; pourtant, jusqu’à l’année dernière, la soutenabilité de la trajectoire financière d’EDF ne faisait aucun doute. L’entreprise n’est pas en difficulté et ses résultats 2015 sont bons ; mais le monde a changé et les activités d’EDF doivent désormais évoluer dans une situation de concurrence qui n’était pas la même il y a encore quelques années. Ce n’est donc pas Hinkley Point qui fait problème, mais ce contexte, lié à la baisse des prix de marché et au changement de l’environnement économique, notamment en raison des bouleversements du marché de l’énergie.
Face à cette situation mouvante, le compromis nécessaire autour d’EDF n’a pas encore permis de préparer l’avenir. L’État s’est pendant longtemps octroyé des dividendes élevés, alors que les consommateurs bénéficiaient des tarifs les plus bas d’Europe. Encore aujourd’hui, les tarifs d’EDF sont en moyenne de 14 % inférieurs à ceux des autres pays européens. Les salariés enfin ont bénéficié d’une progression salariale déconnectée de la productivité réelle de l’entreprise, du fait de la croyance collective selon laquelle on pourrait toujours, à l’avenir, augmenter les tarifs.
Ce compromis montre aujourd’hui ses limites. Ses recettes étant en baisse à cause du prix de marché, EDF doit réaliser des investissements importants pour pérenniser son avenir. Pour assurer la soutenabilité de la trajectoire financière de l’entreprise, l’État, l’entreprise et ses salariés, ainsi que les consommateurs doivent tous consentir des efforts partagés. Ces efforts sont déjà engagés, mais il faudra certainement aller plus loin. Ainsi, le Gouvernement travaille sur des chantiers de régulation pour sécuriser notre approvisionnement énergétique et réduire nos émissions de gaz à effet de serre, conformément à nos engagements internationaux ; ces évolutions pourront avoir un impact indirect sur les prix de l’électricité. Le travail est en cours au sein du Gouvernement pour actionner l’ensemble de ces leviers qui permettront à EDF de s’adapter à son nouvel environnement et de continuer à accomplir ses missions. Tous ces efforts forment une perspective cohérente.
Le Gouvernement soutient la filière électronucléaire française et le projet d’investissement à Hinkley Point pour tout un ensemble de raisons. D’abord, EDF travaille depuis plusieurs années sur ce projet qui ne représente que 15 % des investissements prévus par l’entreprise dans les prochaines années. Ensuite, le gouvernement britannique s’est engagé auprès d’EDF à acquérir l’électricité produite à un prix garanti pendant trente-cinq ans – une réponse attendue et nécessaire à la situation actuelle de prix de marché bas. Cet engagement, validé par la Commission européenne, permet de sécuriser la rentabilité du projet.
La France n’entend pas sortir du nucléaire, qui reste le principal moyen de production de l’électricité dans notre pays, et le Gouvernement s’est engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans ces conditions, alors qu’EDF est le premier exploitant mondial du nucléaire et que le chantier de Hinkley Point bénéficie d’une technologie 100 % française, il serait difficile de comprendre que la France ne soit pas présente dans ce premier investissement nucléaire post-Fukushima en Europe.
Dans ces conditions, pour qu’EDF assure le nécessaire renouvellement d’une partie de son parc nucléaire, il n’est pas possible de renoncer à ses ambitions à l’export. Bien entendu, EDF doit s’assurer que toutes les conditions sont réunies avant de prendre la décision finale : c’est aussi le rôle de l’État actionnaire, qui sera particulièrement vigilant sur ce dossier. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement a déjà indiqué à plusieurs reprises son objectif, en l’occurrence que la décision relative au projet Hinkley Point soit prise dans les prochains mois – normalement, en mai.
Voilà les premiers éléments que je souhaitais porter à votre connaissance ; je suis à présent disponible pour répondre à vos questions.