Je suis frappée par le discours que le maire d'Essen, dans la Ruhr, prononce chaque année à l'occasion d'une manifestation réunissant tous les énergéticiens allemands : il ne manque jamais de rappeler que le charbon est une énergie nationale ! Même le lignite est encore exploité en Allemagne, quitte à déplacer des villages pour l'extraire. La population proteste peu, car cette activité est traditionnelle et représente des emplois.
Il sera donc intéressant d'observer l'attitude de l'Allemagne face à un renforcement des contraintes en matière d'émission de CO2. Je doute qu'elle continue à pousser en ce sens. Je suis également curieuse des statistiques d'émission de CO2 après l'arrêt du nucléaire.
Il y a un paradoxe allemand : de coeur, nos voisins sont très « verts », mais la réalité l'est moins.
J'en viens à votre question sur la dérégulation et l'objectif des « trois fois vingt ». Je ne dirais pas que l'Europe a dérégulé ou libéralisé : elle a plutôt fait de la « re-régulation », c'est-à-dire changé une régulation pour une autre plus complexe.
Dans un marché libéral, l'électricien doit mettre sa production sur le réseau pour satisfaire la demande, puisqu'il faut équilibrer à chaque instant la production et la consommation. La fourniture se fait en fonction de coûts croissants : d'abord l'électricité la moins chère à produire, c'est-à-dire le nucléaire, puis le gaz, l'hydraulique de barrage, etc. – sachant que l'électricité hydraulique au fil de l'eau, elle, est dite « fatale » car sa production ne peut être arrêtée.
Les énergies renouvelables changent cet ordre d'appel : il est devenu obligatoire de les utiliser en premier lieu, comme s'il s'agissait d'énergies « fatales ». Il s'ensuit une modification importante des prix sur les marchés de gros. Il y a bien distorsion des règles par rapport à ce que serait un marché libéralisé.
Aurait-on fait mieux en conservant les prérogatives des opérateurs historiques ? Sans doute en matière d'investissement. L'Europe manque aujourd'hui d'investissements tant dans les lignes de transport que dans les moyens de production, et l'existence de gros opérateurs disposant d'importants moyens financiers aurait facilité les choses. Le programme nucléaire français n'aurait pas pu se faire dans un contexte de dérégulation. Investir pour cent ans est quelque chose de difficile ! Lorsque l'État imposait des obligations à ces sociétés qu'il détenait à 100 %, elles s'y conformaient. Dans une optique législative complexe associant libéralisation et re-régulation, il est beaucoup plus compliqué d'arriver à des objectifs.
Du reste, on ne peut pas vraiment parler de politique énergétique européenne. Le seul point sur lequel l'Europe a son mot à dire de manière forte est l'allocation des droits d'émission de CO2. Elle en a d'ailleurs beaucoup accordé notamment pour les centrales au charbon..
La formule britannique de prix plancher des droits d'émissions de CO2 jouera probablement en faveur des énergies renouvelables. A partir de cette année, , ce plancher sera de 16 livres par tonne, soit environ 19 euros, alors que le prix du marché est de 7 euros et qu'il pourrait tomber en dessous de cette valeur. La Grande-Bretagne est donc passée d'un système très libéral à une pratique plus interventionniste. En matière de CO2, d'ailleurs, ne serait-il pas plus simple de taxer les émissions ? La question reste d'actualité.
Vous m'interrogez aussi sur la différence de prix de l'électricité pour les industriels gros consommateurs en Allemagne et en France. Selon l'UNIDEN, les aménagements tarifaires pratiqués en Allemagne –non facturation du coût du transport et rémunération de l'interruptibilité – permettent à ces grandes sociétés de payer leur électricité 25 % moins cher qu'en France, quand bien même, du seul point de vue des tarifs, le coût de l'électricité est inférieur de 60 % en France. Mais l'Allemagne favorise ses grosses entreprises dans tous les secteurs.