Intervention de Jean-Claude Mailly

Réunion du 30 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO :

La France est un pays de pluralisme politique ; vous allez voir que c'est aussi un pays de pluralisme syndical. Nous n'avons pas les mêmes analyses sur ce projet de loi.

La concertation préalable n'a abordé que certains points : nous n'avons jamais eu un texte complet en main. Nous avons reçu la version initiale en même temps que les médias. Quelques consultations ont eu lieu ensuite sur la base du texte, avec la ministre du travail et le Premier ministre, au cours desquelles nous sommes convenus que nos conceptions étaient très différentes.

Nous pensons que ce texte introduit une rupture dans l'histoire de nos relations sociales. La France est le premier pays au monde en termes de couverture conventionnelle ou statutaire : plus de 90 % des salariés français sont couverts par une convention collective ou un statut. À titre de comparaison, dans un pays comme l'Allemagne, seuls 60 % des travailleurs sont couverts par une convention collective car, depuis dix ou quinze ans, le patronat allemand a remis en cause une série de branches, qui ne fonctionnent plus ; c'est d'ailleurs pourquoi les Allemands ont recréé un SMIC, parce que certains salariés ne bénéficiaient plus d'aucun salaire minimum, ce salaire étant négocié par branche.

Notre articulation des niveaux de négociation collective est républicaine. Nous tenons à ce que, dans ce que l'on appelle la hiérarchie des normes, il y ait la loi, des accords nationaux interprofessionnels, des accords de branche et des accords d'entreprise. Tous ces niveaux doivent être respectés. Or on est en train de remettre en cause cette articulation. Dans certains cas, la branche est contournée. Par exemple, sur les heures supplémentaires, les premières heures payées au-delà de la durée légale du travail sont actuellement payées 25 % de plus, les suivantes 50 %. On peut, par un accord de branche étendu, passer de 25 à 10 %. Une seule branche – dans le secteur du tourisme et des loisirs – a négocié ce type d'accord, ce qui signifie qu'il n'y a pas eu de demande en ce sens dans les autres branches, y compris du côté patronal. Avec ce texte, la branche n'existe plus, on passe directement à l'entreprise. Je pourrais multiplier les exemples. La supplétivité n'est pas toujours à droit constant, contrairement à ce que pensent certains : des possibilités de déroger à certaines normes supplétives sont laissées aux employeurs.

On peut aussi se poser des questions sur la manière dont sera conçue demain la branche. Des commissions paritaires nationales vont être créées, dont on ne connaît pas le statut juridique, et qui seraient à la fois des structures d'interprétation des accords, comme cela existe aujourd'hui, et de négociation. La branche pourrait être au service des entreprises. De fil en aiguille, son rôle est remis en cause, et cela ne se passe pas qu'en France. Dans de nombreux pays européens, il existe la même volonté de remettre en cause les niveaux nationaux de négociation au profit de négociations d'entreprise. Je vous renvoie à l'avis de la Commission européenne du 13 mai 2015 sur le Programme national de réforme français, dans lequel elle conseille à la France de faciliter « les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l'organisation du temps de travail ». D'autres points de cet avis se retrouvent dans le projet de loi. La politique économique suivie au plan européen est aujourd'hui de caractère libéral et elle impose plus de flexibilité et de précarité.

Mon deuxième point porte sur les modalités de négociation. L'entreprise est le lieu où la pression peut être la plus forte sur les salariés, tandis que la liberté est plus grande au niveau de la branche, ce qui n'exclut pas, bien sûr, les négociations d'entreprise – et nous avons signé des accords dans toute une série d'entreprises quand il y avait des difficultés. Si l'on prévoit, ce qui était déjà prévu en 2008, un critère de 50 % et aujourd'hui un critère de 30 % plus référendum, c'est bien pour justifier une dérogation en moins pour les salariés. Nous sommes donc opposés au référendum. Nous pensons qu'il serait beaucoup plus responsable de rester par exemple à 30 % et de laisser vivre le droit d'opposition. Un syndicat a trois possibilités : ou il signe un accord, ou il ne le signe pas mais ne s'y oppose pas, ou il ne le signe pas et s'y oppose. Nous pensons que c'est plus démocratique qu'un système dans lequel une organisation syndicale qui aurait obtenu 32 % des votes a huit jours pour essayer de convaincre une autre organisation et parvenir à 50 % : cela fait huit jours de bordel dans l'entreprise, avant de pouvoir demander un référendum.

La démocratie sociale n'est pas la démocratie politique. Il faut une majorité de voix des députés pour qu'une loi soit votée, mais nous ne sommes pas quant à nous en mesure de décider seuls ; nous sommes plusieurs organisations mais surtout nous avons en face de nous des employeurs. On ne peut calquer un modèle sur l'autre. Nous considérons que le référendum est un outil de court-circuitage des organisations syndicales.

En ce qui concerne les accords de maintien de l'emploi, lorsque vous avez voté en 2013 la loi sur la sécurisation de l'emploi qui faisait suite à l'accord national interprofessionnel que n'avait pas signé FO, un salarié refusant de voir modifier son contrat de travail était, aux termes de l'accord, licencié pour motif personnel. FO a obtenu des élus de la Nation que ce soit un licenciement économique personnel, ce qui signifie que le salarié bénéficie des procédures de reclassement et d'accompagnement. Dans le présent projet de loi, ce n'est plus un licenciement économique : on retrouve le licenciement individuel, allant contre ce que vous avez voté en 2013.

Les négociations annuelles obligatoires (NAO), ensuite, passent à trois ans et, si l'inflation repart, seuls ceux qui ont signé l'accord sur trois ans pourront demander une réouverture de la négociation.

S'agissant de la durée du travail, tous les congés ne sont pas garantis dans le supplétif. On peut, par accord majoritaire ou référendum dans l'entreprise, remettre en cause certains congés existants.

Sur la médecine du travail, nous étions opposés à ce qu'a dit le COCT. Alors que l'on comptait 7 000 médecins du travail il y a quelques années, il n'y en a plus que 5 000 aujourd'hui. Comme on ne veut pas recruter, on espace les visites, auxquelles tous les salariés n'auront plus droit. Sur le travail de nuit, par exemple, l'obligation de visite préalable et le contrôle tous les six mois par le médecin du travail disparaissent.

Le licenciement économique est un des points que nous avons découverts à la dernière minute et auquel tient beaucoup M. Gattaz, président du MEDEF. Contrairement aux propos que celui-ci a tenus à la sortie de la rencontre du 14 mars, à Matignon, il a dit dans la salle de réunion que, mise à part la remise en cause du barème, la réforme allait dans le bon sens.

Cela pose le problème du périmètre – national ou international – car une grande entreprise sait mettre un établissement en difficulté par des prix de transferts, des fonds propres, etc. On met en avant la présence du juge ; or celui-ci peut d'ores et déjà se prononcer. Entre-temps, il aura fallu que le comité d'entreprise prenne un expert, que l'étude soit réalisée et que, si l'on constate que c'est abusif, on saisisse le juge… Et les gens auront été licenciés ! C'est là un des points clés.

S'agissant des TPE et des PME, il y a d'autres solutions. Il est ainsi tout à fait possible de passer des accords de branche d'application directe, ce que réclament d'ailleurs certaines organisations patronales telles celle des artisans. On peut négocier pour les TPE et PME des accords spécifiques. Nous ne sommes pas favorables au mandatement. Lorsqu'il a été institué, nous pratiquions le double mandatement : nous mandations une première fois le salarié pour négocier et une seconde fois pour vérifier le contenu de l'accord. Il est vrai qu'à l'époque, les chefs d'entreprise envoyaient un salarié vers une organisation syndicale afin de le mandater pour bénéficier des exonérations de cotisations sociales, tout en proposant de payer sa cotisation syndicale…

Si l'on procède en revanche par accord de branche, et qu'on permet à un syndicat de désigner un représentant syndical membre de l'entreprise, y compris dans les TPE et PME, sans pour autant demander d'heures de délégation – ce qui n'est pas concevable dans une entreprise de huit salariés –, le rôle du syndicat sera préservé sans le court-circuiter.

Sur le CPA, nous avons joué un rôle clé dans les négociations que nous avons menées à cet égard avec les organisations patronales. Certes, l'accord n'est pas encore signé, car deux d'entre elles ont dit qu'elles ne le feraient pas – c'est sans doute dû au débat sur le projet de loi, et j'ignore ce que fera le MEDEF. Deux points ont été intégrés : le compte personnel de formation (CPF) et le compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP). Si nous voulons que cet outil fonctionne, il ne faut pas charger la bourrique en intégrant par exemple d'autres dispositifs tels le compte épargne temps (CET). Veillons à ne pas créer une usine à gaz ! Il faut commencer par appliquer le dispositif, en vérifier ensuite le fonctionnement et le compléter le cas échéant. Je rappelle à cet égard que seuls 10 % à 15 % des salariés bénéficient d'un CET.

Nous avions demandé au Gouvernement la suspension du projet de loi – et non son report. Nous militons aujourd'hui pour son retrait, la philosophie générale du texte, qui nous pose un problème de fond, n'ayant pas été discutée, et de nombreuses dispositions constituant pour nous des remises en cause de droits. Nous participerons donc aux actions du 31 mars.

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