Intervention de Franck Mikula

Réunion du 30 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Franck Mikula, secrétaire national au secteur emploi et formation professionnelle de la CFE-CGC :

En amont de la présentation du projet de loi, un certain nombre de rapports ont été publiés à l'occasion desquels nous avons été entendus. Je pense notamment à ceux de Jean-Denis Combrexelle, de Terra Nova, de Bruno Mettling ou de Robert Badinter. Nous avons, quant à nous, exprimé le plus souvent nos désaccords. Ainsi, si nous étions favorables à la première partie du rapport de Jean-Denis Combrexelle qui consistait à renforcer le dialogue social en donnant plus de moyens, de temps et de formation aux acteurs de ce dialogue, nous ne pouvions approuver toutes les orientations visant à renvoyer la négociation prétendument au plus près du terrain, mais en réalité au plus loin des syndicats.

De notre point de vue, le dialogue social doit être renforcé au niveau de la branche, car c'est là que se construisent les lois de chacune des professions. La ministre nous a demandé la raison du verrouillage dans la négociation de branche, qui empêche de moins bien rémunérer les heures supplémentaires. Nous lui avons expliqué que c'était le souhait des partenaires sociaux au niveau des branches. Il est en effet aussi de l'intérêt des chefs d'entreprise de maintenir cette régulation pour empêcher le dumping social.

Certes, les représentants interprofessionnels nationaux tiennent un autre discours. Ainsi, M. Gattaz dira exactement le contraire de ce que disent ses représentants dans les branches qui, eux, ont bien compris l'intérêt d'harmoniser les conditions sociales pour permettre le développement des entreprises. Faute de quoi, ce sera la loi de la jungle avec un code du travail par entreprise, et tout le monde se fera concurrence.

Le fondement même de ce projet de loi nous paraît profondément choquant. Il est bien illustré par une phrase de l'ouvrage de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen Le travail et la loi qui lie le chômage et le droit social. Cette position a suscité bien des polémiques : c'était la première fois, en effet que d'aussi éminentes personnalités établissaient ainsi un lien que nous contestons. Si un tel lien existait, il y a belle lurette qu'il n'y aurait plus de chômage en France, puisque, depuis au moins trente ans, on ne cesse de rendre plus flexibles les conditions sociales et d'assouplir le code du travail ! Cela a commencé avec un certain Yvon Gattaz, qui promettait la création de milliers d'emplois si l'autorisation administrative de licenciement était supprimée ! Aujourd'hui, c'est un autre Gattaz, Pierre, qui promet des millions d'emplois si on lui donne beaucoup d'argent avec le pacte de responsabilité et si le code du travail devient plus souple. Malheureusement, aucune de ces mesures n'a produit les résultats annoncés et la France compte plus de cinq millions de chômeurs.

S'agissant du présent projet de loi, je n'évoquerai que quelques points qui montrent bien la nouvelle architecture souhaitée du code du travail.

Aujourd'hui, le forfait-jours constitue un dispositif dérogatoire au régime normal de la durée du temps de travail très faiblement encadré par la loi ; ce qui a conduit la Chambre sociale de la Cour de cassation à invalider la plupart des accords de branche s'y rapportant, car ils ne respectaient pas les impératifs de santé et de sécurité des travailleurs.

Il était donc temps de donner un cadre législatif à ce dispositif. Mais ce texte le fait très mal, à notre sens. De fait, dans cette nouvelle architecture et cette nouvelle hiérarchie, il ne reste pratiquement plus rien dans la loi, désormais appelée ordre public. Nous proposons donc d'enrichir le dispositif législatif en inscrivant dans l'ordre public la durée maximale du temps de travail en jours – qui n'est pas définie aujourd'hui –, la durée des repos quotidiens, et la durée des repos hebdomadaires, que nous souhaitons voir exprimés en forfait de jours civils et non plus en heures, ce qui est par trop complexe. Nous proposons un jour civil minimum de repos par semaine, mais huit jours de repos par mois et vingt-six jours par trimestre de façon à garantir la santé et la sécurité des travailleurs tout en permettant une certaine flexibilité.

Il faudra aussi inscrire dans l'ordre public la définition du temps partiel, l'obligation de visites médicales effectuées par un médecin pour les salariés employés en forfait-jours, la définition d'un niveau minimum de rémunération, quitte à renvoyer la détermination de ce dernier à la négociation tout comme le nombre d'entretiens portant sur la charge de travail avec l'employeur ou son représentant.

Il importe d'organiser le contrôle et la mesure de la charge de travail : c'est le coeur du dispositif. C'est au plus près de l'entreprise qu'il faudra trouver les bonnes méthodes pour y parvenir – en s'appuyant peut-être sur le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), avec une mesure annuelle.

Ce projet de loi cherche par ailleurs à simplifier le régime du licenciement économique en partant du principe que faciliter les licenciements favorisera l'embauche. Certes, les choses ne sont pas dites ainsi et nous savons à quel point cela est faux ! Le texte devrait prévoir au contraire qu'avant de procéder aux licenciements économiques, il faut utiliser tous les moyens alternatifs pour éviter de devoir y recourir, tels le chômage partiel, la réduction du temps de travail ou le non-renouvellement des contrats précaires. Il faut tout tenter pour préserver les emplois dans l'entreprise. C'est précisément ce qu'ont fait les Allemands en 2008, alors que nous faisions, nous, le choix des licenciements et de la rupture conventionnelle.

Nous sommes favorables aux accords majoritaires mais pas à la procédure de référendum. Nous pensons que le dialogue social est assez mûr pour adopter une telle disposition. Les difficultés qui surviendront dans un premier temps ne dureront pas longtemps : le même prétexte avait été avancé en 2008 au moment de passer à 30 %. Les accords gagneront en légitimité en passant à 50 % sans que les syndicats soient contournés par le référendum.

Nous demandons le retrait des accords offensifs. La loi de sécurisation de l'emploi a créé les accords de maintien de l'emploi. Le présent texte propose des accords préservant l'emploi : cela existe déjà. Certes, on peut considérait qu'ils ne sont pas assez nombreux : on en comptait sept ou dix lorsque nous avons établi le bilan à l'occasion de l'accord national interprofessionnel (ANI) en janvier 2013 avec le cabinet du ministère du travail. À cette occasion, le MEDEF avait expliqué que le développement de ce type d'emploi était freiné par l'obligation de licencier pour raison économique les salariés qui n'étaient pas d'accord et préconisait leur démission, ce qui était totalement inacceptable. Aujourd'hui, un tel dispositif revient par la fenêtre avec les accords dits offensifs, dans le cadre desquels lorsque les salariés refusent, ils sont licenciés pour un motif personnel – ce sont des licenciements sui generis.

Cette disposition est totalement inutile, puisque les accords de maintien dans l'emploi existent déjà et offrent de réelles garanties de préservation de l'emploi, de durée. L'ensemble des représentants participent à l'établissement du diagnostic préalable et les efforts sont partagés entre les salariés et la direction – les dirigeants ne reçoivent pas de majoration de salaire contrairement à la pratique à la mode et il n'y a pas de distribution d'actions supplémentaires. L'article du projet de loi sur les accords offensifs sur l'emploi n'offre aucune de ces garanties et nous en demandons le retrait.

Le compte personnel d'activité (CPA) repose sur le compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP) et sur le compte personnel de formation (CPF), et, à l'issue de la concertation, s'est enrichi d'un compte citoyen. Il nous semble indispensable de créer un compte temps, même si la loi n'a pas à fixer son contenu ; il suffit ainsi qu'une case soit insérée dans le CPA, afin que le salarié puisse y stocker du temps. Il pourra l'utiliser pour abonder son compte de formation et pour gérer sa vie professionnelle. Cela constituerait les prémices d'une généralisation du compte épargne-temps (CET) que nous appelons de nos voeux ; ce processus prendra du temps, mais le législateur doit insérer cet étage dans le CPA afin de convenir dans le futur de dispositifs de portabilité et de fongibilité. Ceux-ci ne créeront certes pas d'emplois – pas plus que les mesures du projet de loi que vous examinerez –, mais nous devons favoriser l'autonomie à laquelle les salariés aspirent et les transferts d'activité entre la fonction publique, le secteur privé, le statut d'autoentrepreneur et le salariat.

L'avenir de la France dépend davantage de l'innovation et de la qualité du travail que d'un assouplissement du droit social. L'augmentation de la productivité ne sera possible qu'avec des salariés bien traités et plus autonomes, et en donnant davantage de pouvoir aux représentants des salariés. Il faut avancer vers la codécision que pratiquent d'autres pays et qui permet d'enrichir le dialogue social, de partager la définition de la stratégie de l'entreprise et de faciliter la gestion des emplois dans les périodes de crise.

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