Intervention de Fabrice Angei

Réunion du 30 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Fabrice Angei, membre de la direction confédérale de la CGT :

La CGT a découvert le projet de loi dans la presse et a reçu une convocation pour en discuter la semaine suivante. La CGT n'a pas participé au déjeuner de réécriture du projet de loi, celle-ci résultant de la mobilisation citoyenne et syndicale.

La CGT est opposée à ce projet de loi, même remanié, comme sept Français sur dix si l'on en croit les sondages ; si l'on organisait un référendum dans le pays sur ce texte, on n'aurait plus besoin d'en discuter. Nous demandons le retrait du texte, mais nous ne défendons pas le statu quo, puisque nous avons proposé un code du travail pour le XXIe siècle poursuivant une tout autre logique. Nous ne nous inscrivons pas dans une démarche d'amendement à la marge du texte, puisque l'ensemble de sa philosophie ne nous convient pas. Je me retrouve néanmoins dans 98 % des propos de mon camarade de la CGC – ou inversement –, ce qui remet en question la vision simpliste de la division syndicale.

Le projet de loi repose sur l'idée que les droits et les garanties des salariés doivent s'effacer devant les impératifs économiques et les intérêts financiers. Il promeut la baisse du coût du travail et fait du salarié une variable d'ajustement et de déflation pour conquérir des parts de marché. Cette philosophie s'oppose au droit du travail, qui vise à rééquilibrer le lien de subordination existant entre l'employeur et le salarié. Les droits et les protections des salariés n'ont jamais constitué un frein à l'efficacité économique, bien au contraire. La loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail et celle du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi ont instauré les ruptures conventionnelles – dont le nombre atteint des records – et les plans de maintien dans l'emploi, qui s'avèrent un échec ; si ces mesures de flexibilité avaient amélioré la situation de l'emploi, cela se saurait, puisque le chômage n'a jamais été aussi élevé dans toutes les catégories de la population. Il conviendrait d'analyser également les exemples européens avec attention, car les assouplissements y ont accru la précarité et la pauvreté, principalement celles des jeunes et des femmes.

Le projet de loi bâtit une nouvelle architecture des relations sociales : la loi fixe des grands principes, la négociation collective définit le droit et le volet supplétif instaure des minima inférieurs aux dispositions législatives actuelles. Les dérogations découlant des accords de branche permettent déjà d'indemniser les heures supplémentaires à un simple supplément de 10 %, mais une seule branche applique ce niveau. Les accords d'entreprise engendreront donc une régression sociale dans ce domaine, et il s'agit là d'un exemple parmi tant d'autres.

Le projet de loi donne la primauté aux accords d'entreprise, inversant ainsi la hiérarchie des normes, la loi cessant de fixer un socle commun et de prévoir des dérogations. Il y aura donc autant de codes du travail que d'entreprises, et le degré de protection des salariés dépendra de la présence de forces syndicales. En outre, l'inspection du travail rencontrera des difficultés pour jouer son rôle. Ce projet ne procède à aucune simplification, complexifie les relations sociales, ne supprime aucune rigidité et aggravera la situation économique et le chômage.

Mme Myriam El Khomri souhaite fluidifier le dialogue social, mais les accords d'entreprise le nient. Lors de l'examen de la loi du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, dite loi Fillon, le groupe parlementaire socialiste s'était opposé au renversement de la hiérarchie des normes en saisissant le Conseil constitutionnel.

L'adaptation ne doit pas entraîner de régression sociale, mais maintenir des droits voire apporter de nouvelles garanties pour les salariés. Voilà ce qu'est le progrès social ! Le Gouvernement ne veut pas entendre sur ce point les jeunes et les salariés, qui seront massivement en grève demain.

Les accords d'entreprise génèrent, dans la très grande majorité des cas, une régression sociale. Dans les deux tiers des établissements, il n'y a pas de délégués syndicaux ; cette situation concerne toutes les structures employant de dix à vingt salariés et dans la majorité de celles en comptant entre cinquante et cent. Par ailleurs, les négociations obligatoires n'ont pas lieu dans notre pays. La peur des représailles s'est répandue dans les entreprises, et l'action syndicale se trouve criminalisée – on attend toujours que vous votiez la loi d'amnistie. Des personnes souhaitant monter des listes pour les élections professionnelles se font licencier, et un chantage permanent à l'emploi est organisé.

Le référendum chez Smart sur l'augmentation du temps de travail hebdomadaire à 39 heures payées 37 a soulevé de nombreuses questions, notamment celle du corps électoral puisque les cadres, qui sont au forfait-jours et donc ne sont pas concernés par cette modification, ont pu voter. On ne peut pas confondre le référendum d'entreprise et le droit à la consultation des salariés, car le premier diffère de la démocratie sociale ; la CGT défend la seconde, les salariés devant disposer de temps pour analyser les accords et en discuter. Il serait opportun de prendre en compte dans les négociations les cahiers revendicatifs élaborés dans les entreprises. Si l'on veut soutenir la démocratie sociale, reprenons également la périodicité biennale des élections professionnelles.

Au lieu d'accorder des droits aux salariés, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, dite loi Rebsamen, a réduit le rôle des organisations syndicales et des délégués du personnel. On ne croit pas au mandatement de salariés dans les conditions prévues par ce texte ; on devrait plutôt conférer un pouvoir de négociation aux commissions régionales instaurées par cette loi.

Neuf salariés sur dix sont couverts par un accord de branche et une convention collective, et il est nécessaire de renforcer le poids de ces accords dans notre droit social.

L'inversion de la hiérarchie des normes et la flexibilité ont été mises en place en Allemagne, en Espagne, au Portugal et en Italie. On a constaté une chute sans précédent des accords de branche en Espagne et au Portugal – ce qui est logique puisqu'ils ont été vidés de leur substance –, mais également une diminution du nombre d'accords d'entreprise. On vise à renforcer le dialogue social et, au final, on l'affaiblit. Quant aux salariés, ils ont toujours été perdants dans cette évolution.

Ainsi, le référendum d'entreprise, que l'on appelle le référendum chantage, peut être déclenché à partir d'un accord signé entre un employeur et des organisations syndicales ne représentant que 30 % des salariés. Cela constitue une atteinte portée à la représentativité, au droit d'opposition, et nous réclamons, conformément aux principes de la démocratie sociale, une application stricte de l'accord majoritaire, signé par des syndicats représentant 50 % des salariés. Les accords minoritaires ne sont qu'un contournement des organisations syndicales et un encouragement à la création de syndicats maison ; en outre, ils n'améliorent en rien la situation de l'emploi, celle-ci nécessitant d'autres politiques économiques et sociales.

Les médecins du travail sont moins de 5 000 aujourd'hui en France et ont 55 ans en moyenne. Le projet de loi porté par Mme El Khomri ne cherche pas à régler ce problème, mais à gérer la pénurie. Ainsi, la médecine du travail est éloignée des salariés qui en ont besoin ; l'impossibilité de reclasser un salarié inapte se trouvera renforcée par cette inaction, ce qui multipliera les licenciements. Le projet de loi devrait plutôt se concentrer sur l'aménagement et la transformation du poste de travail ou sur la mutation du salarié vers un autre poste.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion