Intervention de Véronique Descacq

Réunion du 30 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT :

L'insuffisance de la couverture des mandatés dans les petites entreprises – à laquelle M. Sirugue a proposé de remédier par deux pistes alternatives – n'est pas un sujet de préoccupation pour la CFDT, qui ne s'inquiète pas de l'éventualité qu'un salarié éprouve des difficultés à trouver une organisation syndicale qui le mandaterait, et pour cause : nous avons déjà fait cette expérience lors des accords sur la réduction du temps de travail, dans le cadre de l'application des lois Aubry, sans rencontrer de problèmes. Les organisations syndicales étant organisées par profession et par territoire, et compte tenu des moyens de communication modernes, il est toujours aisé de trouver la porte d'entrée menant à l'interlocuteur susceptible de mandater un salarié.

Quant à votre proposition de faire valider les accords issus de la négociation dans les petites entreprises par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), ce n'est pas une piste que nous envisageons : une telle mesure ne relève en effet plus du champ de la négociation collective, mais d'une décision administrative. Nous préférons en l'occurrence prévoir à l'échelle de la branche la négociation d'accords-types de deux catégories : les accords-types d'application directe et les accords-types pouvant être appliqués par la branche sous réserve de leur adaptation dans les entreprises, le mandatement pouvant alors intervenir. Dans ce domaine, la branche a toute sa place à tenir : songez aux dispositions de la loi Rebsamen concernant les commissions paritaires des TPE, qui ont permis à certaines branches de créer des commissions spécifiques aux TPE pouvant utilement contribuer à la négociation d'accords-types applicables à ces entreprises.

S'agissant du principe de publication des accords, madame Iborra, nous proposons qu'il n'appartienne plus à l'employeur de choisir unilatéralement si les accords doivent ou non être publiés. D'autre part, la question de l'évaluation est majeure : au fil des réformes adoptées ces dernières années, le contenu du modèle social et la manière dont il se construit ont profondément changé. Il est impératif d'en évaluer les résultats, ce qui a d'ailleurs été fait suite aux accords nationaux interprofessionnels de 2008 et 2013. Nous devons reconnaître que notre première réponse n'est pas forcément la bonne : il faut poursuivre le changement lorsque l'on constate que les orientations prises étaient malvenues ou insuffisantes. C'est précisément ce que nous avons fait au sujet des accords de maintien dans l'emploi : nous avons estimé que les mesures prises en 2013 n'avaient pas permis de développer ces dispositifs parfois utiles pour les entreprises et pour les salariés. En clair, il est légitime que les lois reviennent sur des expériences qui ont montré leurs limites.

La CFDT, madame Le Callennec, ne souhaite pas réformer à tout prix pour flexibiliser un marché du travail déjà très flexible. Nous ne croyons pas non plus un seul instant à la solution miracle d'une réforme du marché du travail qui libérerait les employeurs de leurs angoisses existentielles en matière d'embauche et qui, du même coup, donnerait naissance à une génération spontanée d'emplois. En revanche, nous croyons que la société et l'économie traversent des mutations profondes. Or, à n'y répondre qu'en réduisant le coût du travail et les contraintes, on s'engagerait dans une spirale qui tirerait vers le bas non seulement les droits des salariés, mais aussi l'économie dans son ensemble.

C'est pourquoi les réformes mises en oeuvre doivent selon nous poursuivre un triple objectif. Le premier vise à permettre aux entreprises de s'adapter au contexte nouveau en renforçant leur compétitivité ; de ce point de vue, le dialogue social est le moyen le plus pertinent de faire coïncider le nécessaire objectif de compétitivité des entreprises et celui de la protection des salariés. Le deuxième objectif consiste à attacher des droits à la personne afin de permettre aux personnes d'être plus mobiles et de changer de métier à mesure que les secteurs d'activité, qu'ils soient industriels ou agricoles, évoluent. C'est précisément le sens du compte personnel d'activité et de la sécurisation des parcours professionnels. Le troisième objectif, enfin, a trait à la montée en compétences et à l'ensemble des orientations relatives à la formation professionnelle, dont on ne saurait prétendre qu'elle continue encore aujourd'hui à favoriser les salariés les mieux formés. C'était le cas autrefois, en effet, mais la réforme de la formation professionnelle de 2014 était justement destinée à mettre fin à cette situation. Elle commence seulement à produire ses effets, mais elle va réorienter massivement les fonds alloués à la formation professionnelle en direction des personnes les moins qualifiées, qu'il s'agisse de salariés, de demandeurs d'emploi ou de jeunes en insertion ou en recherche d'emploi. Si je me félicite de cette deuxième version du projet de loi, c'est parce qu'elle parachève l'ambition défendue dans la réforme de 2014 en privilégiant les personnes les moins qualifiées.

Il va de soi que nous souhaitons être associés aux travaux de la commission d'experts créée par l'article 1er, au moyen d'échanges intelligents permettant aux organisations syndicales de formuler des contre-propositions. C'est d'ailleurs cette démarche pertinente qui a été adoptée avec le comité présidé par M. Badinter.

J'en viens au fameux principe n° 6 de l'article 1er concernant la laïcité en entreprise. Cette disposition suscite nombre de polémiques et de malentendus. Nous pensons que son retrait ne serait pas préjudiciable : l'article 1er suffirait en lui-même à conserver les règles telles qu'elles existent aujourd'hui dans le droit du travail et, en grande partie, dans la jurisprudence, comme l'a rappelé M. Censi. Toutefois, on peut légitimement se demander s'il suffit de préserver le droit actuel. Pour la CFDT, la question de la laïcité relève en partie de la pratique et du dialogue social. Légiférer sur ce sujet très sensible ne permet pas forcément de répondre aux nombreuses questions qui se posent dans les entreprises – nombreux sont nos militants qui nous signalent des problèmes liés non seulement à la pratique religieuse en entreprise, mais aussi aux relations entre les hommes et les femmes. Cela étant, s'il est tout de même décidé de modifier le droit positif, ce n'est sans doute pas dans le présent texte qu'il convient de le faire, car il ne permettra pas de s'appuyer sur un nécessaire débat citoyen plus large et instruit. À ce stade, nous en proposons le retrait, le premier principe suffisant à répondre à la question.

Je rappelle que la mise en place d'un régime complémentaire de santé, qui peut relever de la décision unilatérale de l'employeur, se fait toujours par la négociation – soit d'entreprise, soit de branche, comme nous le souhaiterions davantage. Autrement dit, le pouvoir unilatéral de l'employeur est extrêmement limité puisqu'il consiste à signer – sans le négocier – le contrat avec l'organisme prestataire.

Ce projet de loi permettra-t-il de remédier à la complexité du code du travail ? Il n'est guère possible de répondre à la complexité du marché du travail par un principe simple et unique. En revanche, cette nouvelle architecture nous paraît très pertinente, puisqu'elle vise à établir pour tous des règles qui protègent. La CFDT s'est notamment battue pour que la règle des 35 heures soit préservée dans l'ordre public social afin de protéger tous les salariés. En clair, il nous semble important que cet ordre public social protège tous les salariés, qu'il s'agisse des grands principes ou de règles plus détaillées concernant le volume horaire hebdomadaire ou le contrat de travail. Cela étant, certaines branches professionnelles ont toute légitimité pour négocier telle ou telle mesure, en matière de classifications par exemple. Ainsi, il nous semble pertinent que les branches se saisissent de la question des parcours professionnels au sein de chaque métier. De même, pour protéger les salariés, nous avons souhaité que la négociation qui permet de déroger à la durée minimale hebdomadaire du travail à temps partiel demeure de la responsabilité de la branche, car c'est là que se font la régulation économique et la concurrence entre les entreprises en la matière.

Le renvoi à la négociation d'entreprise nous semble intelligent à quelques conditions près, qui ont trait à la question du rapport de force. De fait, ce rapport de force est déjà pris en compte par la loi, qui prévoit la protection des salariés mandatés. De ce point de vue, le discours du patronat concernant le dialogue social direct – qui n'est pas synonyme de management – est un leurre, car il ne saurait y avoir de dialogue social direct entre personnes qui entretiennent un lien de subordination. L'intermédiation des organisations syndicales et la protection des salariés mandatés, dont nous souhaitons qu'elle soit étendue aux commissions paritaires de branche, sont des éléments essentiels. Autre élément essentiel : les accords majoritaires. Enfin, le rapport de force s'appuie sur un socle supplétif. Dès lors qu'il est à droit constant, l'employeur sait que s'il veut négocier, il doit passer par un accord d'entreprise et, par conséquent, donner des contreparties.

J'en reviens à la question du temps de travail et de la rémunération des heures supplémentaires. Il faut arrêter de dire que désormais, dans les entreprises, il sera possible de rémunérer les heures supplémentaires à un taux de majoration inférieur à 25 % et qui pourra descendre à 10 % : c'est faux. Quelle organisation syndicale signerait sans aucune contrepartie un accord majoritaire prévoyant une moindre rémunération des heures supplémentaires ? Cela n'a aucun sens. S'il peut y avoir une marge de manoeuvre entre 10 % et 25 %, c'est parce que, dans le cadre de la négociation au sein de l'entreprise, des contreparties peuvent être proposées qui sembleront pertinentes aux organisations syndicales, donc aux salariés : possibilité de choisir l'organisation de son travail, de faire financer le mode de garde de ses enfants, d'être indemnisé pour un transport en taxi selon l'heure à laquelle on termine, etc. Toutes ces modalités qui complètent ou remplacent les 25 % de majoration du paiement des heures supplémentaires ne peuvent être fixées ni par une loi ni par un accord de branche, mais par une approche au plus près des réalités et des besoins des salariés, afin de savoir ce que ces derniers demandent en contrepartie de l'abandon de ce seuil – qui, en mettant les choses au pire, atteindrait 10 %.

Voici ce que je veux dire sur ce sujet, et qui permet aussi de répondre à la question sur la hiérarchie des normes et le principe de faveur. Celui-ci est facile à appliquer lorsque l'on négocie sur les salaires : quand on parle chiffres, savoir ce qui est plus ou moins favorable relève de l'arithmétique élémentaire. Mais les accords que négocient aujourd'hui les représentants du personnel dans les entreprises et dans les branches sont beaucoup plus complexes : il s'agit d'un enchevêtrement de dispositions, de contreparties, de dérogations, d'avantages qui peuvent être appliqués au niveau de l'entreprise bien que l'on n'y ait pas nécessairement pensé au niveau de la loi ni de la branche. Dans cet enchevêtrement, qui va juger de ce qui est plus ou moins favorable ? Si l'on ne veut pas que ce soit le juge, afin de ne pas judiciariser les relations sociales, il faut que ce soient les organisations syndicales légitimement élues par les salariés et qui représentent au moins 50 % des voix. Je ne vois pas comment décréter un principe de faveur dans des accords qui ne sont pas uniquement financiers, mais qui constituent un ensemble complexe de contreparties touchant notamment à l'emploi.

Faute de temps pour m'exprimer plus longuement, j'espère que vous trouverez les autres réponses à vos questions dans le texte qui présente les propositions de modification formulées par la CFDT.

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