Intervention de Didier Porte

Réunion du 30 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Didier Porte, secrétaire confédéral de FO :

Monsieur Sirugue, la pression est plus forte au niveau des entreprises, et la négociation peut s'y dérouler sous la contrainte d'un chantage à l'emploi ou d'éléments propres à l'entreprise. Lorsque la marge de manoeuvre de nos équipes se limite à négocier une remise en cause du code du travail, ce n'est plus une question de confiance vis-à-vis des syndicats d'entreprise. Il faut se mettre à la place de ces syndicats : on est en train de leur refiler cette remise en cause du code !

Quant aux deux propositions destinées à faire face à une multiplication des demandes de mandatement, je rappellerai notre position : nous souhaitons qu'il soit possible de désigner des représentants syndicaux à la main des syndicats et de travailler sur des accords de branche d'application directe. Ici, on prend le problème à l'envers. S'il faut une validation de branche comme il a pu en exister auparavant, pourquoi pas ? Mais telle est bien notre revendication.

Je le répète, il ne s'agit pas pour nous d'une évolution, mais d'une remise en cause, dans le cadre de la négociation collective, de l'un des piliers du pacte républicain et de notre République sociale : c'est une véritable rupture. Tous les citoyens sont concernés par le droit du travail, notamment les jeunes qui vivent actuellement une prise de conscience. Pour notre part, nous n'avons jamais confondu l'intérêt général, qui est de votre ressort comme parlementaires, avec l'intérêt particulier des salariés. Le droit du travail s'applique aux salariés, mais tout le monde a conscience du fait que ce projet de loi remet fortement en cause leurs droits.

En ce qui concerne les CDD et les CDI, l'importante négociation de la convention d'assurance chômage, qui est en cours, va peut-être sécuriser l'embauche en CDI en soumettant les employeurs à un dispositif de bonus-malus. En revanche, je ne vois pas ce qui, dans le présent projet de loi, garantira l'embauche en CDI.

Quant aux conséquences de la décentralisation du dialogue social au niveau européen, je citerai quelques chiffres. En Espagne, entre 2008 et 2013, le nombre d'accords de branche ou nationaux est passé de 1 448 à 706 ; le nombre d'accords d'entreprise, de 4 539 à 1 702 – on voit combien les Espagnols, eux aussi, font confiance à leurs syndicats d'entreprise ! – et le nombre de salariés couverts de 12 à 7 millions. Ces chiffres, qui émanent d'un institut syndical rattaché à la Confédération européenne des syndicats, ne sont pas contestables, eux non plus ! Au Portugal, l'évolution est comparable puisque le nombre de salariés couverts y a été ramené de 1,9 million à 328 000. La situation est un peu différente en Allemagne ; je n'y reviens pas.

La publication des accords d'entreprise sera bien une obligation. Peut-être faudra-t-il envisager de créer un site Négofrance, sur le modèle de Légifrance, auquel le juge chargé de trancher un contentieux pourrait se reporter au lieu de devoir se mettre en quête d'accords très disparates, de même que les avocats ou les défenseurs syndicaux. Cela risque d'être problématique.

Si nous n'avons pas parlé des demandeurs d'emploi, la question n'en a pas moins été évoquée. Nous attendons toujours l'étude qui nous prouvera que la déréglementation crée des emplois. Nous sommes solidaires des demandeurs d'emploi ; nous ne croyons pas que les salariés veulent garder jalousement leur emploi aux dépens des chômeurs, ni que la déréglementation permettra à ces derniers de retrouver des emplois corrects.

Tous s'accordent à considérer qu'il faut réduire le nombre de branches et redynamiser celles-ci. J'ai entendu la proposition concernant les commissions paritaires régionales interprofessionnelles issues de la loi Rebsamen mais, pour notre organisation, ces CPRI, qui peuvent apporter des éléments favorables au droit du travail au sein des petites entreprises, ne sauraient être un lieu de négociation. Le risque est de dévitaliser la négociation de branche au profit d'une négociation interprofessionnelle pour les TPE.

S'agissant du CPA, il faudra aussi prendre garde qu'il ne devienne pas un outil de remise en cause des grandes garanties collectives et d'individualisation des droits. De ce dernier point de vue, il peut être dangereux d'affecter des droits non plus à un statut, mais à une personne.

La hiérarchie des normes contribue à la lutte contre le dumping social ; c'est l'une des raisons pour lesquelles nous y sommes attachés ainsi qu'au principe de faveur. L'égalité de droits et de traitement au niveau national, dont on entend parler en ce moment, fait partie des valeurs républicaines auxquelles nous tenons. Faire primer l'accord d'entreprise représenterait une véritable inversion de la hiérarchie des normes, favoriserait le dumping social et balkaniserait le droit des salariés. Comme l'a dit mon camarade, il y aura bientôt autant de codes du travail que d'entreprises : du point de vue des valeurs, cela pose d'énormes problèmes.

En ce qui concerne le dialogue social direct, il s'agit d'une revendication patronale destinée à contourner les syndicats, qui sont pourtant les représentants officiels et légitimes des salariés, désignés par leur vote. Alors que la loi de 2008, défendue par le patronat et certaines organisations syndicales, visait à accroître la légitimité syndicale – je le dis d'autant plus librement que nous n'en étions pas signataires –, cette légitimité même est aujourd'hui battue en brèche ! Sachez que 80 % du contentieux prud'homal émane de salariés d'entreprises dépourvues de syndicat. En d'autres termes, lorsque les organisations syndicales sont présentes au sein des entreprises, le contentieux est réglé en amont, sans qu'il soit nécessaire de le porter devant les prud'hommes. Lorsque le patronat le comprendra, il aura fait de gros progrès !

Quant au taux de syndicalisation, je pourrais évoquer à ce sujet la discrimination syndicale, mais il me faudrait beaucoup plus de temps.

Le problème de la médecine du travail est lié au manque d'attractivité de cette profession. Il faut y remédier au lieu d'adopter des dispositifs destinés à contourner le déficit de médecins du travail.

Par ailleurs, notre organisation syndicale est également à l'initiative de l'article de loi relatif à la mise à disposition de locaux aux syndicats. Je vous invite à relire le rapport de l'IGAS, dans lequel M. Dole préconisait une loi obligeant les communes, les départements et les régions, à héberger les syndicats, conformément à un usage datant de la création des bourses du travail. On nous a expliqué qu'on ne pouvait pas aller aussi loin : pour une raison de constitutionnalité, il n'était pas possible en effet d'imposer à des structures régionales, départementales, ou municipales, une telle obligation. Pour autant, l'hébergement des syndicats pose des difficultés dans les grandes villes. Donner aux organisations syndicales les moyens de représenter les salariés passe par la mise à disposition de locaux leur permettant de travailler dans de bonnes conditions. C'est une question de démocratie.

S'agissant du droit à la déconnexion, j'ai l'impression que l'on réinvente le droit au repos. Il est clair, là encore, que le texte ne va pas assez loin. D'abord, l'entrée en vigueur de ce droit va devoir attendre le 31 décembre 2018. Ensuite, on manque de précision sur sa teneur. Enfin, son application ne sera pas uniforme, ce qui aboutira à renforcer les différences de conditions de travail. Il semble en effet que certaines modalités seront réservées aux entreprises de moins de 300 salariés, tandis que les entreprises de plus de 300 salariés bénéficieront d'une charte. Nous revendiquons la mise en place d'une vraie négociation dans le cadre d'un ANI, pour assurer l'égalité de traitement entre les salariés s'agissant du droit à la déconnexion. Je rappelle en outre qu'aucune sanction n'est prévue en cas de non-respect de la disposition dans les entreprises. C'est donc complètement insuffisant.

En matière de télétravail, on progresse, même si c'est encore insuffisant. Ce sujet doit faire l'objet de négociations, et aboutir à un accord véritablement encadré. Il faut se pencher sur la question de l'isolement des salariés en télétravail, sur les conditions matérielles assurées aux intéressés. Les grands principes ont été mis en place : il faut à présent les renforcer. Le télétravail évite en effet à certains salariés de faire trois heures de transport par jour. C'est particulièrement appréciable en région parisienne.

Pour le CPA, il faut commencer par travailler sur le contenant ; nous verrons pour la suite. Comme l'a dit la ministre, nous ne participons pas à la commission de réécriture.

Par ailleurs, la constitutionnalisation du principe de faveur est une idée intéressante. Je n'ai pas de mandat pour en parler devant vous, mais, a priori, nous ne sommes pas contre.

J'en viens au code du travail. Aujourd'hui, il ne convient à personne. Mais il faut que l'on s'accorde sur certains objectifs. Ainsi, le code du travail n'est pas fait pour créer des emplois. Cela étant, notre organisation s'interroge. Que font les chambres consulaires ? Que font les organisations patronales ? Elles devraient, elles aussi, assurer un suivi et une assistance aux employeurs. En effet, personne ne peut connaître le code du travail sur le bout des doigts ; il faut être juriste pour cela. On veut simplifier le code du travail pour le rendre accessible aux employeurs des TPE et PME. Mais un code du travail réduit à quelques feuillets risque d'être problématique.

Je terminerai sur notre opposition au plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans la mesure où cela ne permettait pas de prendre en compte l'ensemble des préjudices subis par les salariés. Seul le critère de l'ancienneté était retenu. Mais quid de l'âge du salarié licencié ? Quid de sa situation par rapport à l'emploi ? Il est parfois plus compliqué de retrouver du travail dans certains bassins d'emploi, quand on a cinquante ans, que l'on est moins mobile, etc.

Sans compter que l'on était dans une stratégie d'évitement du juge. Je rappelle tout de même que les juges sont paritaires – il y a des employeurs, et des salariés. On met en avant l'insécurité juridique. Mais le code du travail visait à l'origine à apporter de la sécurité juridique aux salariés, et pas aux employeurs. Or certaines dispositions, notamment dans le cadre du licenciement économique pour cause personnelle, peuvent aboutir au licenciement du salarié qui n'accepte pas la mise en place d'un accord pour l'emploi. Dans ces conditions, le salarié peut-il avoir une vision à long terme ?

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