Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 22 mars 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

Le Parlement européen a adopté le 11 novembre dernier une proposition de réforme de la loi électorale de l'Union européenne, qui doit permettre de définir des règles électorales communes à tous les États membres pour les élections européennes. C'est une proposition ambitieuse.

Cette possibilité lui est directement offerte par les traités. Si le Conseil arrive à trouver un accord sur la base de cette proposition – ce qui est loin d'être gagné, puisqu'il faudra l'unanimité – les parlements nationaux devront ensuite ratifier ce texte. C'est pourquoi il me semble utile que nous entamions cette réflexion en amont.

Pour le moment, les élections européennes s'organisent bien plus en une addition de vingt-huit campagnes distinctes, malheureusement souvent centrées sur des enjeux nationaux, qu'en un vaste débat paneuropéen. Il est urgent de redonner un souffle à ce scrutin, pour lequel l'abstention est en constante augmentation.

Aujourd'hui, le Parlement européen est la seule institution parlementaire au monde dont les membres sont élus selon plus d'une vingtaine de lois différentes !

Quelques exemples pour vous montrer cette diversité : certains États membres ont divisé leur territoire national en plusieurs circonscriptions régionales, alors que la plupart des États membres constituent une circonscription unique. L'âge de la majorité électorale est fixé à 18 ans dans tous les États membres, sauf en Autriche, où il est fixé à seize ans, et le vote est obligatoire dans seulement quatre États membres. Un dernier exemple : dans la plupart des États membres, les électeurs ont la possibilité d'exprimer des votes préférentiels afin de changer l'ordre des noms sur la liste. Au Luxembourg, il est possible de voter pour des candidats appartenant à différentes listes et, en Suède, les électeurs peuvent également ajouter ou supprimer des noms sur les listes !

L'adoption de règles électorales uniformes de Lisbonne à Vilnius devrait faciliter l'émergence d'un véritable espace public européen, au sein duquel les citoyens identifient clairement les grandes propositions en débat.

La proposition du Parlement européen vise à « européaniser » ces élections européennes, et je pense que nous devons résolument soutenir cet objectif général.

La proposition du Parlement européen prévoit que « le Conseil décide à l'unanimité de la création d'une circonscription électorale commune, dans laquelle les listes seront emmenées par le candidat ou la candidate de chaque famille politique à la présidence de la Commission européenne ».

Elle ne précise toutefois pas les modalités qui présideraient à la formation d'une telle circonscription électorale commune, et notamment le nombre de députés européens qui seraient élus de cette manière, ou la façon dont seraient constituées les listes électorales.

Je crois que la création d'une circonscription électorale transnationale permettrait de donner un nouveau souffle démocratique aux élections européennes, et participerait à la construction d'un véritable « espace public européen » plutôt qu'à l'addition de vingt-huit élections nationales comme c'est le cas aujourd'hui. En effet, la constitution de listes transnationales permettrait d'éviter que les campagnes des élections européennes, menées par les partis nationaux, ne soient captées par des questions politiques nationales, comme cela tend malheureusement à être le cas aujourd'hui.

Même si c'est encore difficile à imaginer, une circonscription à l'échelle européenne renforcerait donc considérablement la dimension européenne de ces élections, et renforcerait la légitimité démocratique du Parlement européen.

La proposition du Parlement européen consacre la procédure de désignation d'un candidat tête de liste mise en place pour la première fois lors des élections européennes de 2014. Elle prévoit en outre que les partis politiques européens désignent leurs candidats au poste de président de la Commission européenne au moins douze semaines avant la date de début de la période électorale.

Cette procédure doit être pérennisée, car elle permet aux citoyens européens de mieux identifier les responsables des politiques menées et les grandes propositions des différents partis politiques européens.

La proposition du Parlement européen prévoit que les bulletins de vote utilisés lors des élections européennes accordent « la même visibilité aux noms et aux logos des partis nationaux qu'à ceux des partis européens ». Elle prévoit également que les États membres encouragent et facilitent l'utilisation de ces affiliations lors des émissions électorales à la télévision et à la radio ainsi que sur les supports de campagne électorales.

Je suis favorable sur le principe à ces dispositions, qui devraient permettre de renforcer la visibilité des partis politiques européens.

Toutefois, je pense qu'elles ne devraient pas être trop prescriptives, afin de laisser la souplesse nécessaire aux partis mais également d'éviter les risques contentieux relatives à la présentation des bulletins de vote.

Quid des listes qui n'ont pas d'affiliation à un parti européen ? La notion de « même visibilité » sous-tend que les logos devraient-faire la même taille : n'est-ce pas un peu trop précis ? Que se passera-t-il si une liste n'a pas respecté cette obligation, l'élection sera-t-elle annulée ?

Pour mémoire, l'apposition de plusieurs logos sur les bulletins de vote est déjà possible en France.

En effet, le code électoral dispose que « chaque candidat, chaque binôme de candidats ou liste de candidats peut faire imprimer un emblème sur ses bulletins de vote ». La jurisprudence du Conseil d'État considère que « ces dispositions ne font pas obstacle à ce que plusieurs emblèmes soient imprimés sur les bulletins de vote d'une liste de candidats ».

Le Parlement européen propose d'instaurer un seuil pour l'attribution des sièges, qui devra être supérieur à 3 % et ne pourra être supérieur à 5 % des suffrages exprimés. Aujourd'hui, le droit européen autorise déjà la fixation d'un seuil minimal pour l'attribution de sièges - qui ne peut pas être supérieur à 5 % -, mais ne l'impose pas.

L'introduction d'un seuil minimal de 3 % n'aura des conséquences que pour deux États membres : l'Espagne et l'Allemagne, qui ont opté pour un système de circonscription unique, et qui disposent respectivement de cinquante-quatre et quatre-vingt-seize sièges au Parlement européen.

En effet, lorsque moins de vingt-six sièges sont à pourvoir, il existe un seuil « naturel » pour l'attribution des sièges, puisqu'une liste ayant recueilli moins de 3 % des voix ne pourra mathématiquement obtenir aucun siège.

En réalité, l'introduction d'un seuil obligatoire entre 3 % et 5 % répond à une forte demande du Gouvernement allemand. En effet, en 2011, la Cour de Karlsruhe a invalidé le seuil de 5 % en vigueur depuis 1979 pour les élections européennes en Allemagne, considérant qu'un tel seuil représentait une violation de l'égalité des chances des partis. Une nouvelle loi a donc été votée en 2013 par le Bundestag, mettant en place un seuil de 3 % pour les élections européennes. Ce seuil a également été invalidé par la Cour de Karlsruhe en février 2014.

Je suis plutôt défavorable à cette disposition, car le principe même de l'introduction de seuils électoraux obligatoires porte atteinte à la représentativité du scrutin et au pluralisme politique – et ne permet pas de lutter véritablement contre l'extrémisme !

La proposition du Parlement européen prévoit que chaque État membre fixe un délai pour l'établissement des listes des candidats aux élections au Parlement européen. Ce délai serait de minimum douze semaines avant le début de la période électorale, coordonné avec la date du choix par chaque parti de son candidat à la présidence de la Commission européenne.

Actuellement, il existe une grande diversité entre les pratiques des États membres en ce qui concerne ces dates limites de dépôt des candidatures, qui vont de trois mois à moins de trois semaines. Il est d'un mois en France.

Je suis favorable à l'introduction d'un délai commun à tous les États membres pour le dépôt des listes de candidats, mais je trouve que le délai de douze semaines proposé par le Parlement européen est trop long pour les partis, et je souhaite qu'il soit raccourci à huit semaines. Cela reste supérieur au délai prévu pour les élections nationales, pour prendre en compte les spécificités d'une campagne électorale européenne, notamment dans la perspective de la mise en place d'une circonscription unique.

Sur la parité, le texte prévoit que la liste des candidats aux élections au Parlement européen « assure l'égalité des genres ». Je suis évidemment très favorable à cette disposition. Aujourd'hui, les femmes ne représentent que 37 % des membres du Parlement européen !

La proposition du Parlement européen prévoit que les partis politiques qui participent aux élections du Parlement européen « respectent les procédures démocratiques et la transparence dans la sélection de leurs candidats aux élections ». Cette disposition me semble floue : signifie-t-elle que les partis politiques devront automatiquement organiser des primaires ? Elle pourrait constituer une ingérence dans la libre organisation des partis politiques, consacrée par l'article 4 de la Constitution.

Le texte proposé par le Parlement européen actualise la liste des incompatibilités auxquelles sont soumis les parlementaires européens, et ajoute à cette liste le mandat d'un parlementaire régional ou de membre d'une assemblée régionale investie de pouvoirs législatifs. C'est à mon avis une bonne chose.

La définition de règles électorales communes dans les États membres se heurte à une difficulté : comment harmoniser les règles présidant à l'élection des députés européens tout en préservant la capacité des électeurs à comprendre les règles du scrutin, et donc en restant proche des traditions électorales nationales ?

En ce qui concerne la date et l'heure du scrutin, les rapporteurs du Parlement européen n'ont pas souhaité modifier la période électorale actuellement définie par l'Acte électoral, qui s'étend du jeudi matin au dimanche suivant (les britanniques votant par exemple le jeudi). Je le regrette.

En revanche, le Parlement européen a choisi d'imposer la clôture du scrutin à 21 h le dimanche au plus tard. Les résultats ne pourront être rendus publics qu'après la clôture du scrutin. Avant ce moment, aucune prévision fondée sur des sondages auprès des électeurs à la sortie des urnes ne pourra être publiée. Il me semble qu'une heure butoir à 20 h serait probablement préférable à celle de 21 h, trop tardive pour permettre une véritable « soirée électorale ».

En ce qui concerne l'envoi de matériel électoral aux électeurs, les règles prévues sont les mêmes que celles qui s'appliquent lors des autres élections dans l'État membre.

Je tiens à rappeler que je suis personnellement fermement opposé à la dématérialisation de l'envoi du matériel électoral, car la propagande papier constitue une information indispensable aux électeurs, en particulier dans certaines zones rurales. Le maintien de la propagande papier est d'autant plus nécessaire pour les élections européennes que les citoyens se sont encore insuffisamment approprié ce scrutin.

Le texte du Parlement européen prévoit que les États membres peuvent introduire le vote électronique et le vote sur internet et doivent, le cas échéant, adopter des mesures suffisantes pour assurer la fiabilité des résultats, la confidentialité du vote et la protection des données, mais il ne l'impose pas.

La proposition du Parlement européen prévoit que tous les citoyens de l'Union, y compris ceux qui résident ou qui travaillent dans un pays tiers, ont le droit de voter aux élections au Parlement européen.

Pour mémoire, les Français établis hors de France peuvent voter par procuration aux élections européennes. Mais ce n'est pas le cas dans tous les États de l'Union européenne. Cinq États membres appliquent actuellement des régimes juridiques privant du droit de vote leurs ressortissants résidant à l'étranger.

Je suis très favorable à la proposition du Parlement européen. Il serait souhaitable d'aller encore plus loin dans cette démarche d'extension du droit de vote, en élargissant le droit de vote aux élections européennes aux citoyens de pays tiers résidant légalement depuis plus de cinq ans dans l'Union européenne.

Comme vous le savez, tout citoyen de l'Union peut voter dans un autre État membre que le sien, s'il y réside.

Mais comment s'assurer que, par exemple, un citoyen français habitant en Belgique ne vote pas dans les deux États ?

La proposition du Parlement européen prévoit que la date limite pour l'établissement et la finalisation de la liste des électeurs est fixée à huit semaines avant le premier jour du scrutin.

Si je partage l'objectif de cette proposition, je crois qu'il est préférable de raccourcir au maximum la date butoir d'inscription sur les listes électorales, afin de favoriser la participation des citoyens aux élections, et je propose que ce délai soit plutôt fixé à quatre semaines plutôt que huit semaines.

Cela nécessite de pouvoir avoir des échanges rapides et efficaces avec les autres États membres pour éviter la fraude. Le Parlement européen propose également de créer une autorité de contact chargée d'échanger avec ses homologues des autres États membres des données sur les électeurs. Je soutiens cette démarche, à condition que toutes les garanties nécessaires en termes de protection des données personnelles soient apportées.

Pour conclure, le rapport présente quelques pistes de réflexions sur des sujets connexes. Tout d'abord, la révision de la répartition des sièges au Parlement européen, aujourd'hui très déséquilibrée… Le Parlement européen doit faire une proposition en ce sens qui rentrerait en vigueur avant les prochaines élections, mais au vu de la complexité et de la sensibilité politique de ce sujet, cela devient urgent !

Ensuite, l'amélioration de la place politique et médiatique donnée aux élections européennes.

Enfin, je pense qu'il faut repenser les modalités des élections européennes en France : la réforme de 2003 devait permettre de renforcer la légitimité démocratique des élus français au Parlement européen en les rapprochant de leurs électeurs, et de limiter la dérive qui consiste à faire de ce scrutin un enjeu de politique intérieur, mais treize ans plus tard, force est pourtant de constater que les mêmes questions se posent toujours…

Je propose que nous passions maintenant à l'examen des amendements proposés par le groupe SRC et par Pierre Lequiller.

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