Je me réjouis également d'évoquer avec vous les questions d'emploi plutôt que les problématiques budgétaires – je tiens à ce propos à souligner que le soutien de votre commission nous est toujours précieux.
Le premier point que je voudrais aborder est la montée en puissance de la gendarmerie dans le contexte que nous connaissons. Depuis deux ans, nous avons véritablement accéléré le mouvement pour adapter notre grande force – 100 000 hommes et femmes – à la menace que nous rencontrons. Il y a plusieurs leviers sur lesquels nous avons porté notre effort.
Le travail de renseignement, tout d'abord. Nous avons la capacité d'aller chercher des signaux faibles sur la profondeur du territoire national. Nous avons donc porté un effort particulier sur le renseignement territorial et avons notamment décidé la création, sur trois ans, de 75 antennes de renseignement territorial dans les secteurs dans lesquels nous sommes impliqués. Ces antennes nous permettent d'avoir des informations de première qualité sur les départs au djihad, les retours potentiels ou la vie dans la cité. C'est un point essentiel dans la lutte antiterroriste.
Nous développons également nos capacités en matière d'analyse prédictive, de renseignement criminel et d'observation-surveillance. Nous considérons qu'il y a une porosité importante entre le terrorisme et la grande délinquance. Nous avons donc porté un effort important sur l'observation-surveillance.
Nous avons, dans le même temps, resserré nos liens avec les services spécialisés, notamment la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Nous avons clairement décloisonné le suivi des personnes signalées et assignées à résidence. Par le passé, certaines personnes assignées à résidence en zone gendarmerie n'étaient en effet pas forcément signalées à nos unités, ce qui entraînait des difficultés. Nous avons donc progressé, notamment après l'attentat de Saint-Quentin Fallavier, dans l'Isère, grâce à la création, auprès du ministre de l'Intérieur, de l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) qui rassemble tous les services qui ont à connaître du renseignement. Cette structure permet de fluidifier les échanges et de s'assurer que les personnes signalées sont suivies dans la durée sur toutes les parties du territoire national. Cette avancée, qui ne s'est pas faite sans difficulté, suivant la volonté du ministre, a permis d'enregistrer de réels progrès dans ce domaine.
Le deuxième levier est la surveillance du territoire. Il y a là un travail très important à accomplir par la gendarmerie en matière de contrôle des flux et des frontières, qui constitue aujourd'hui un point essentiel de notre dispositif. Nous avons affecté 500 personnes supplémentaires à cette mission. Il s'agit de mieux contrôler les axes de communication, terrestres, aériens et ferroviaires. La problématique belge nous oblige à ériger cette action au premier rang de nos priorités. C'est peut-être une piste de travail pour l'armée de terre, j'y reviendrai.
En termes d'intervention, sujet sur lequel nous avons également beaucoup travaillé en 2015, nous avons décidé de créer trois antennes régionales du GIGN à Nantes, Tours et Reims, qui viennent compléter les trois antennes existantes à Toulouse, Orange et Dijon. Avec la complémentarité de la police nationale, nous disposerons de forces d'intervention du haut du spectre sur l'ensemble du territoire national. Pour ce qui concerne le spectre intermédiaire, nous avons pu renforcer budgétairement les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) à hauteur de 150 PSIG dans les trois années à venir, dont 50 dès cette année. Avec ces PSIG "Sabre", nous disposerons alors d'une capacité de primo-intervention un peu plus forte que celle dont nous disposions jusqu'à présent. Nous pourrons alors engager nos forces pour stopper toute velléité terroriste sur les territoires de notre ressort.
Le deuxième point que je voulais aborder concerne les armées. Je considère que le débat est ouvert : les forces de sécurité intérieure ne sont pas en difficulté. Je considère que nous ne sommes pas face à une rupture stratégique – que serait par exemple la présence de Daesh sur le territoire et l'impossibilité pour nous d'y manoeuvrer –, mais plutôt face à une évolution de la menace. Les armées peuvent apporter leurs compétences pour répondre à cette menace.
Lorsque l'on aborde cette question des armées, la difficulté est que l'on raisonne davantage en termes d'effectifs que de missions. Or si l'on raisonne en termes d'effectifs, on aboutit à un dispositif du type Vigipirate renforcé, qui peut conduire à un saupoudrage des moyens. Si la menace est nouvelle, il faut au contraire également adapter les missions des armées. J'évoquais à l'instant le contrôle des flux et des frontières : je pense que les armées, avec leur savoir-faire et leurs moyens, peuvent précisément apporter une plus-value dans ce domaine. C'est la raison pour laquelle je milite pour que l'on s'empare réellement de cette mission nouvelle grâce aux armées. En avril, dans l'Isère, nous allons expérimenter avec l'armée de terre ce que pourrait être une action gendarmerie-armées dans le contrôle du territoire. Nous allons voir comment un groupe de combat d'infanterie pourrait, en appui de gendarmes officiers ou agents de police judiciaire (OPJ, APJ), exercer une mission utile de contrôle du territoire. C'est cette logique que nous déployons en Guyane, avec la mission Harpie, où la coordination avec les armées se passe très bien : les gendarmes remplissent leurs missions d'OPJAPJ, et les armées sont en soutien pour apporter la force si nécessaire. Il y a donc là un équilibre à trouver, qui se ferait à droit constant, et qui serait à la fois plus efficace et plus valorisant pour les armées que les gardes statiques ou des patrouilles inutiles. Il nous appartiendra de tirer tous les enseignements de cette expérimentation afin de proposer, le cas échéant, l'extension de ce concept à l'ensemble des forces de sécurité.
Pour conclure, je dirais donc que nous avons besoin des armées mais qu'il faut désormais raisonner en termes de missions nouvelles et plus seulement en termes d'effectifs.