Sur la problématique du renseignement, Monsieur Boisserie, nous avons pu rencontrer certaines difficultés à faire valoir nos capacités en termes de remontée de l'information générale. Or nous avons, avec les 60 000 gendarmes qui travaillent dans les brigades territoriales, des capteurs capables de prendre en compte les signaux faibles et de les traiter. Nous avons mis en place une meilleure coopération dans le cadre du renseignement territorial et la gendarmerie y est désormais abonnée. Je pense en particulier aux antennes de renseignement territorial que je viens d'évoquer, au détachement de sous-officiers de gendarmerie dans les services départementaux de renseignement territorial (SDRT), au fonctionnement des bureaux de liaison dans les départements. Afin de conforter ce haut niveau de coopération, il me paraîtrait également opportun de réfléchir au positionnement du service central du renseignement territorial (SCRT). On aurait alors, en complément de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la DGSI qui font de l'information spécialisée, une chaîne de renseignement qui me paraîtrait plus performante.
Nous avons un travail à conduire au contact des élus et vous savez l'action que nous avons déployée pour que les gendarmes maintiennent ce contact à haut niveau, singulièrement auprès des maires, qui sont au coeur de la vie de notre pays, dans le but de mieux faire circuler l'information. Les retours que nous avons en ce domaine depuis quelques mois sont plutôt favorables, avec une meilleure prise en compte dans nos unités de cette problématique de renseignement au contact des élus et de la population.
Un travail important de sensibilisation est en outre à réaliser auprès de la population, pour que chacun comprenne qu'apporter des informations à la gendarmerie ne constitue pas une action de délation mais une participation spontanée à la vie de la société. À ce titre, le dispositif de participation citoyenne aussi appelé « Voisins vigilants » fonctionne plutôt bien. La petite barrière idéologique que j'évoquais a été franchie et nous disposons d'un outil qui nous permet de prendre en compte les préoccupations de sécurité exprimées par nos concitoyens dans la profondeur des territoires.
Concernant votre deuxième question sur la problématique régionale, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a des politiques de bassins, de lieux de vie à conduire. Nous sommes encore trop prisonniers des limites administratives, et je vois bien, aux confins de votre région, entre trois départements, la Dordogne, la Corrèze et la Haute-Vienne, qu'il faudrait parfois que des gendarmes aillent d'un département à l'autre pour se soutenir mutuellement. Le problème majeur se situe au niveau de l'évolution de la compétence des agents et des officiers de police judiciaire. Ce sujet fait l'objet de discussions avec la Chancellerie. Lorsque l'on aura fait évoluer ce dispositif, nous serons davantage dans une logique de bassin de vie qui répondra vraiment aux préoccupations locales.
S'agissant des attentats de novembre 2015, des conséquences ont évidemment été tirées par la gendarmerie en termes de politique d'engagement, de la même manière qu'elles avaient été tirées en matière d'équipement après les attentats du mois de janvier. Il y a des sujets qui nous sont apparus comme importants et qui nous ont conduits à modifier profondément les doctrines d'emploi ; j'en dirai un mot dans quelques instants.
Pour ce qui concerne les drones, leur intégration dans notre manoeuvre est en cours de réalisation. Pour ce faire, de nombreuses expérimentations technico-opérationnelles ont été conduites au cours de l'année écoulée. Ces dernières vont nous permettre de construire notre doctrine, d'affiner notre plan d'équipement et de préciser les nécessités de formation.
S'agissant de leur emploi durant l'Euro 2016, des études sont actuellement conduites afin de définir les champs missionnels possibles, dans le respect des règles relatives à la navigabilité aérienne et à la captation d'images.
Au sujet de l'intervention en région, il est nécessaire de ne pas travailler uniquement sur une logique parisienne et il faut que l'on soit capable d'avoir une efficacité sur l'ensemble du territoire national. Nous sommes très avancés dans la rédaction d'un schéma national d'intervention. Il s'agit effectivement de pouvoir apporter une réponse forte, par le feu, sur tout point du territoire national et ce, dans un délai de 20 minutes. Il a donc fallu retravailler totalement notre chaîne d'intervention. Pour ce faire, nous disposons de trois niveaux. Le premier échelon qui est le niveau élémentaire, est constitué des brigades de gendarmerie et des équipages de police. Ce sont les primo-engagés et ils se déplacent car on leur a signalé un fait anormal. Leur mission consiste à se poster, à observer et, le cas échéant, à riposter. C'est ce qui s'est produit à Dammartin-en-Goële où le tir d'un gendarme de la brigade sur un des frères Kouachi a permis de le blesser et de mettre un coup d'arrêt à la cavalcade meurtrière. Ces forces-là sont celles des primo-engagés qui agissent avec des moyens conventionnels.
Au-dessus de ce premier niveau il y a l'intervention intermédiaire, qui sera quant à elle menée par des PSIG modernisés, ou PSIG Sabre. Ils seront « dopés » avec des armements un peu plus puissants, des aides à la visée et de la protection balistique qui nous permettront d'engager le feu sur des tueries planifiées. Nous disposerons à cet effet d'un support législatif sur les cas d'ouverture du feu. En effet, lors des attaques contre Charlie Hebdo, l'équipage de police qui voit sortir les terroristes n'est pas en situation de légitime défense. Les agents ne peuvent pas engager le feu car à l'instant où ils arrivent, les terroristes ne tirent pas.
Nous sommes donc face à un problème juridique extrêmement important que nous sommes en train de résoudre avec vous Mesdames et Messieurs les parlementaires, dans le cadre de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, afin que, dans des situations de même nature où nous savons que les terroristes ont tué et qu'ils tueront encore, nous puissions les neutraliser. C'est un sujet très important car il faut bien sûr que les troupes puissent s'engager mais, s'il n'y a pas de support juridique, nous les mettons dans une situation de grande fragilité. Ce spectre intermédiaire, avec la brigade anti-criminalité (BAC) et le PSIG, fait partie du plan présenté par le ministre le 23 octobre 2015 à Rouen, plan qui est donc antérieur au 13 novembre et qui modifie en profondeur les doctrines d'emploi.
De fait, auparavant le gendarme se postait et attendait les unités nationales dont le GIGN. Aujourd'hui ce n'est plus possible car il n'y a pas de négociation possible avec l'adversaire. Nous sommes face à des terroristes qui rentrent, qui tuent et se retranchent, tout en attendant que les forces de l'ordre viennent à leur contact, ce qui nécessite que ces dernières arrivent très vite. Il a par conséquent fallu faire évoluer nos doctrines d'emploi, nos formations ainsi que nos équipements. C'est donc un exercice d'une ampleur considérable dans lequel nous sommes engagés et que je pense pouvoir mener à son terme au cours de l'été 2016. En tous les cas les équipements ont été commandés et sont en cours de livraison. Je serai le vendredi 1er avril à Reims pour observer les premiers effets sur le terrain de cette politique de sécurité que l'on met en place.
Enfin, le troisième niveau sera bien évidemment constitué des antennes du GIGN et du RAID en province et, au niveau supérieur, de leurs antennes nationales. Ces antennes nationales disposent d'autres capacités, notamment des capacités rares qui font la différence dans le domaine du contre-terrorisme, comme en matière d'explosifs. Nous avons beaucoup avancé sur cette question.
Sur la question du continuum, la gendarmerie est une force aujourd'hui ancrée au ministère de l'Intérieur mais qui reste sous statut militaire et qui, dans ses modes opératoires, reste une force de nature militaire parce que les gendarmes sont formés dans des écoles militaires et abordent les opérations de manière militaire, avec une méthode de raisonnement tactique et avec un statut particulier qui leur permet notamment de bâtir un engagement dans la durée et dans des conditions difficiles. Si les frères Kouachi ont été neutralisés assez vite, c'est précisément parce que le statut militaire de notre engagement nous permet de prendre en compte une zone, de la tenir dans la durée malgré des conditions météorologiques défavorables et de ne pas en bouger. Nous maintenons le dispositif à un point tel que, lorsque les frères Kouachi sortent, ils ne peuvent qu'être décelés. Et ceci est bien une mission de nature militaire. Par conséquent, nous nous inscrivons bien dans ce continuum paix-crise-guerre. Nous sommes la force charnière ; nous sommes capables, bien qu'engagés sur des missions de police, de basculer sur des théâtres plus difficiles. C'est ce que nous faisons en République centrafricaine, où notre engagement a été très apprécié.
La gendarmerie dispose d'un volume de 25 000 réservistes. La réserve est un concept extraordinaire. C'est un lien population-Nation-sécurité extrêmement fort. La réserve fonctionne du fait de sa dimension territoriale. Nous avons 25 000 hommes et femmes qui servent dans la réserve et 70 % d'entre eux ne sont pas des gendarmes retraités. Ce sont des personnes qui vivent dans la société, qui ont entre 20 et 40 ans et qui viennent de temps à autre consacrer une partie de leur temps à l'exercice de la sécurité dans le territoire où ils vivent. Notre réserve fonctionne bien, et elle peut servir de modèle à la garde nationale.
J'en viens à la question de Monsieur Fromion relative à l'opportunité de rebâtir des escadrons dérivés, c'est-à-dire des formations constituées d'un escadron de gendarmerie mobile et de réservistes engagés pendant une période longue en dehors de leur zone de vie. Cela ne marche pas car l'employeur ne peut pas libérer pendant trois semaines ou un mois un de ses employés pour qu'il rejoigne la réserve. Ce qui marche dans la réserve est le principe territorial : l'employeur libère son employé pendant une journée ou deux, cet employé exerce sa mission de réserviste là où il vit et il a donc intérêt à l'exercer dans de bonnes conditions. La mission qu'on lui confie est une mission valorisante : le réserviste participe ; il n'est pas subsidiaire et exerce véritablement une mission de gendarme. Cette réserve est par conséquent un atout que nous allons développer. L'armée de terre rencontre aujourd'hui certaines difficultés pour constituer sa réserve car pour un employeur, la motivation à laisser partir pendant un mois un employé qui va quitter son lieu de résidence pour servir dans le cadre du plan Vigipirate à Paris n'est pas évidente. C'est pourquoi il faut bâtir à partir de cette réserve une réserve plus large. D'ailleurs, après les attentats du 13 novembre, de très nombreuses personnes se sont présentées spontanément pour y servir. Des retraités, par exemple, exprimaient le souhait de protéger des sorties d'écoles. Ceci est une richesse.
La porosité entre la délinquance et le terrorisme est clairement établie. Nous travaillons donc de plus en plus dans le domaine du renseignement pré-criminel. Il faut que nous soyons en mesure d'établir ce lien très fort entre criminels et délinquants d'une part, et terroristes d'autre part. La loi sur le renseignement nous y aide. Nous sommes très sensibilisés à ces questions. La crise belge d'hier nous le rappelle une nouvelle fois car les deux individus identifiés sont connus pour des actes de grand banditisme.
La gendarmerie maritime a pris un essor considérable dans la protection des façades maritimes. Elle dépend de l'état-major de la marine et a par exemple des liens très forts avec le groupement dans le département du Var, liens qui s'établissent naturellement car bien que rattachée à l'état-major de la marine, la gendarmerie maritime reste avant tout constituée de gendarmes. En matière de renseignement, il y a un lien très fort ainsi qu'un abonnement aux mêmes bases de données départementales et nationales qui nous permet d'accomplir un travail efficace. Aujourd'hui, nous devons faire le même travail avec la gendarmerie de l'air, l'objectif étant d'amener celle-ci au niveau de la gendarmerie maritime et de la gendarmerie des transports aériens, qui est devenue un organe essentiel de la sécurité dans nos aéroports.
Pour répondre à Monsieur Villaumé s'agissant de l'adaptation à la menace, nous avons un plan de recrutement extrêmement ambitieux en 2016. Nous ne rencontrons aucun problème de recrutement. Nous avons organisé le premier concours national dans le courant du mois de mars avec un volume de candidats de l'ordre de 18 000 pour 2 000 postes pour les sous-officiers. Notre métier attire. Au regard des circonstances, nous avons décidé de former 2 317 sous-officiers en plus des 5 000 initialement prévus ; notre plan de charge est donc considérable. Compte tenu de la bonne annonce budgétaire, j'ai décidé de tout réaliser en 2016 plutôt que de répartir le plan sur deux annuités. Nous aurons atteint l'objectif fixé en fin d'année ; nous aurons formé toutes les nouvelles recrues sans dégrader la formation. Nous ouvrons par ailleurs une nouvelle école à Dijon. Ma seule inquiétude porte sur les gendarmes adjoints volontaires qui sont les jeunes qui s'engagent pour une période de un à cinq ans et sont le vivier principal pour alimenter le corps des sous-officiers. Nous allons ponctionner ce vivier cette année, il faut donc l'alimenter à nouveau. Nous avons lancé la campagne de recrutement à destination de ces jeunes et ce sujet de préoccupation devrait être réglé dans les semaines à venir.
En ce qui concerne la politique d'équipements, les achats ont été passés dans des délais qui sont très réduits mais les matériels arrivent, aussi bien les véhicules que l'armement. Nous sommes dans une dynamique d'équipement que nous n'avions pas connue depuis quelques années et qui nous permettra de faire face à la menace.
Sur le sujet sensible du schéma national d'intervention, il y a clairement débat. Je considère que sur le haut du spectre il existe des capacités rares qui font la différence en termes de contre-terrorisme. Je considère que ces capacités doivent être partagées, cela ne signifiant pas que l'on donne la même capacité à tout le monde. Il faut accepter l'idée qu'une force engagée qui n'aurait pas une capacité donnée demande le concours d'une autre force. En d'autres termes, la gendarmerie est en mesure d'aider en apportant une capacité de pénétration par explosifs en tout bâtiment. Nous travaillons sur ce sujet dans le cadre du schéma national d'intervention que nous allons présenter au ministre de l'Intérieur avec le directeur général de la police nationale (DGPN) et le préfet de police dans le courant du mois d'avril. Nous sommes en train de lister les capacités de toutes les unités spéciales, RAID et GIGN et nous avons obtenu que ces capacités annoncées soient vérifiées par un système d'évaluation. C'est une avancée considérable.
Monsieur Fromion, s'agissant de la garde nationale, nous pouvons effectivement nous appuyer sur la réserve de la gendarmerie. Notre marge de manoeuvre repose aujourd'hui principalement sur les escadrons de gendarmerie mobile et les réservistes. Chaque jour, près de 1 500 réservistes sont mobilisés sur les 25 000 dont nous disposons, ce qui est considérable. Les taux de charge des escadrons sont très importants, et j'ai ainsi dû désengager cinq escadrons à la suite des attaques survenues à Bruxelles afin de contrôler les péages autoroutiers de l'A1 et les postes frontières avec la Belgique. Il nous incombe de faire des choix, car nous devons toujours être présents sur les territoires pour assurer la sécurité, par exemple en prévenant les cambriolages. Je ne vous le cache pas, nous travaillons à flux tendu et c'est pourquoi nous avons décidé de limiter l'apport de la gendarmerie à la préfecture de police de Paris. La consommation d'effectifs pour du maintien de l'ordre est en effet trop gourmande dans la capitale, même s'il est évident que les mesures de précaution y sont plus importantes au regard de la sensibilité parisienne. Dans ce cadre, l'unité de coordination des forces mobile (UCFM), structure spécifique rattachée aux deux directeurs généraux (DGPN et DGGN), détermine si les demandes de renfort formulées sont réellement pertinentes ; si ce n'est pas le cas, nous engageons nos hommes sur d'autres missions.