Intervention de Célia Gautier

Réunion du 30 mars 2016 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Célia Gautier, responsable International et Europe, du Réseau action climat-France :

Le Réseau action climat est une coalition de plus de 900 organisations non gouvernementales, présente dans les négociations internationales depuis l'origine de la convention des Nations Unies sur les changements climatiques.

La COP21 est l'aboutissement d'un cycle mais aussi un point de départ puisque ce texte n'a pas de valeur tant qu'il n'est pas ratifié. L'accord reste à concrétiser dans les politiques publiques et dans les actions des acteurs non étatiques et territoriaux.

C'est à l'aune de cette concrétisation que l'on pourra juger de la crédibilité de l'accord et du rôle de la présidence française de la COP qui, comme vous le savez, se poursuit jusqu'à la passation avec les autorités marocaines à la COP22 en novembre prochain. La France a encore une responsabilité en tant que présidente de la COP. Elle se doit d'être exemplaire pour être crédible dans sa facilitation des négociations.

Comment concrétiser cet accord ? Que peut faire la France ? Quelle est sa responsabilité ?

Au niveau international, de nombreux points restent à préciser, que ce soit sur la mise en oeuvre ou sur les règles de fonctionnement de l'accord une fois qu'il sera en vigueur.

Il reste aussi beaucoup de choses à concrétiser au niveau européen. Le paquet énergie-climat 2030 est la traduction de l'accord en Europe, il correspond à la contribution européenne à l'action climatique. Au niveau national, la concrétisation passe évidemment par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et par sa mise en oeuvre.

L'enjeu au niveau international dépasse largement celui de la ratification. Celle-ci est évidemment un point essentiel puisqu'elle met en jeu la crédibilité de l'accord. La concrétisation suppose aussi que tous les États mettent en place rapidement des plans de décarbonisation et de transition énergétique pour honorer leurs engagements. Si, dans les deux ou trois ans à venir, ces plans ne sont pas présentés, si les gouvernements ne montrent pas de volonté de réformer leur système politique pour tenir leurs engagements, on pourra douter du respect des contributions nationales présentées en 2015, même si elles courent jusqu'à 2025 ou 2030. Vous comprenez bien qu'il faut mettre en marche le processus politique rapidement.

2018 est un moment clé pour faire le point à la fois sur la mise en place des réformes politiques et sur la volonté des États de rehausser leurs engagements puisque l'accord nous place sur une trajectoire de réchauffement de trois degrés.

Il revient à la France de faire du rendez-vous de 2018 cet instant politique où tous les États annonceront des engagements supérieurs. La responsabilité de la France est aussi engagée au niveau européen puisque, pour l'instant, l'Union européenne n'a pas l'intention d'aller plus loin que le paquet énergie-climat 2030. Or, en l'état, ce paquet est insuffisant pour respecter les trajectoires de long terme de l'accord de Paris, c'est-à-dire une neutralité en gaz à effet de serre qui se traduirait par zéro émission de CO2 au plus tard en 2050. L'objectif européen est aujourd'hui une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95 % en 2050 par rapport à 1990. Il faudrait donc viser le haut de cette fourchette pour respecter l'accord de Paris. Or, la Commission européenne penche plutôt pour le bas de la fourchette. Il faut donc relancer la dynamique au niveau européen. La question du prix carbone est effectivement très importante mais la réforme devra être plus large.

La ministre Ségolène Royal porte au niveau européen l'idée d'une hausse des prix via un corridor de prix carbone sur l'ETS. Cette proposition est intéressante mais elle risque d'être longue à faire accepter au niveau européen, voire de ne jamais l'être tant les oppositions sont fortes. C'est pourquoi en France, se pose la question d'un prix carbone qui permettrait de compenser la forte baisse du prix du pétrole. La consommation de carburant des Français augmente aujourd'hui à cause de la baisse du prix du pétrole. C'est le moment d'augmenter la composante carbone dans les taxes énergétiques pour qu'elle atteigne dès maintenant la valeur tutélaire du carbone – en 2016, 40 euros la tonne de CO2 – et assez rapidement les objectifs de la loi relative à la transition énergétique pour 2020, c'est-à-dire 56 euros.

En mettant en avant les acteurs non étatiques et l'agenda des solutions, la France a introduit une novation bienvenue. Il fallait montrer que les choses se déroulaient sur le terrain et donner envie d'agir. Désormais, la France, toujours présidente de la COP21, doit assurer le suivi de ces initiatives et favoriser l'instauration d'une véritable gouvernance permettant de s'assurer que les acteurs tiennent leurs engagements, tout en veillant, dans la mise en oeuvre des actions, au respect des droits humains et à la sécurité alimentaire. Le suivi de l'agenda des solutions relève de la responsabilité de la France. Les ONG souhaitent y être associées, à condition que les critères de sélection des initiatives soient définis en amont pour ne pas avoir à nous prononcer sur des projets que nous n'aurions pas soutenus dès le départ. L'agenda des solutions devrait être repris par le Maroc mais il est nécessaire de faire avancer les choses avant, notamment à Bonn.

La France doit se faire l'interprète de l'accord. L'objectif de long terme – la neutralité en gaz à effet de serre dans la deuxième moitié du siècle – est très flou. Ce langage convient à tout le monde, y compris aux producteurs pétroliers et aux énergéticiens.

La bataille qui se joue aujourd'hui est celle de l'interprétation. La France doit être l'ambassadrice de la version dans laquelle il faut financer les plans de décarbonisation au niveau national, donner des prix au carbone dans tous les pays et désinvestir des énergies fossiles.

La France a une responsabilité particulière dans ce domaine puisqu'elle détient des parts importantes dans les deux plus grands énergéticiens français que sont Engie et EDF qui continuent aujourd'hui à investir massivement dans le charbon. Quand bien même un processus est engagé pour ne pas investir dans de nouveaux projets, il reste énormément de centrales dans le monde appartenant à EDF ou à Engie qui continuent d'émettre des tonnes et des tonnes de CO2 chaque année. Céder ces centrales, comme l'a fait Engie cette année, ne résout rien. C'est un transfert de responsabilité mais le jeu est à somme nulle pour le climat. La France doit organiser la fermeture des centrales, dans le souci de la conversion professionnelle des salariés et de la lutte contre la précarité énergétique dans ces pays via le financement des énergies renouvelables.

Je souligne à mon tour l'importance de l'accès à l'énergie en Afrique. La France doit appuyer le financement des énergies renouvelables en Afrique. Les prêts ne suffiront pas, des dons seront nécessaires pour permettre aux communautés vulnérables d'accéder à ces énergies.

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